Les blocages sur un manuscrit : causes probables

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Cela fait plus d’un an que je travaille sur un roman qui me pose pas mal de soucis : le Feu et l’Argile (titre que je déteste et qui sera modifié). Ce roman raconte l’histoire d’amour impossible (eh oui, encore une, sinon c’est pas drôle) entre un semi-orc (sexy, hein, l’orc) et une humaine. Il est raconté à la troisième personne en mode narrateur omniscient et suit plusieurs points de vue : celui de l’orc, de l’humaine, mais aussi de nombreux autres personnages. Jusqu’ici, tout va bien... sauf que j’avance vraiment comme un escargot sur ce maudit bouquin. Et quand le premier jet est une torture de bourreau mandarinal, c’est pas bon. Un premier jet, normalement, ça se « torche » vite. Battre le fer pendant qu’il est encore chaud, dit le dicton. Sinon, c’est qu’il y a un problème... non ?

Si ça vous arrive aussi, c’est probablement à cause de l’un des facteurs suivants :

1) Vous avez changé de méthode d’écriture : en passant, par exemple, du jardinier à l’architecte, ou vice-versa. Pour le Feu et l’Argile (argh, je déteste ce titre !) j’ai voulu sortir de ma zone de confort et m’essayer à un style fantasy très fleuri et soigné, en passant beaucoup de temps sur chaque phrase. Et oui, c’est ça l’expérience : on s’aperçoit de ses défauts d’écriture et on espère les changer. Plus question, donc, d’écrire n’importe quoi n’importe comment ! Prendre le temps, traquer les répétitions, les verbes faibles, les participes présents, les phrases trop longues, varier la syntaxe et le lexique... Il parait que c’est ce qu’il faut faire pour bien écrire. Faut reconnaitre que ça bloque pas mal.

J’ai également voulu construire mon roman à la manière « architecte », avec un plan hyper carré. Ce que je ne fais jamais d’habitude : j’écris tout d’une traite, presque sans m’arrêter, en apnée, de manière « intuitive », puis je fais une grosse correction après. C’est ce qui marche le mieux pour moi et m’a permis de boucler une énorme saga de space-opera en moins de 3 mois. Mais là, c’est pas la même... cela fait plus d’un an que je me casse les dents sur ce roman (destiné pourtant à rester un modeste one-shot). Cette semaine, m’étant aperçue que j’avais réécrit tout un arc sur un personnage mort précédemment, j’ai même dû revoir toute la structure et modifier tous les chapitres, sur lesquels j’avais pourtant passé beaucoup de temps. Youpi, la fête !

2) La mayo ne prend pas : Je ne sais pas si ça vous le fait, mais moi, je « sens » quand un passage est efficace ou pas. C’est pour ça que j’ai cru dur comme fer au Vaisseau Noir et que je l’ai envoyé à autant de ME (et resterai persuadée, malgré les échecs, que ce roman – s’il était né sous une meilleure étoile – aurait pu marcher). Là, je ne sens rien du tout ! Tout me parait plat et sans relief, sans enjeu ni tension dramatique en dépit des tragédies qui s’enchainent dans ce foutu bouquin. Je passe mon temps à supprimer et réécrire de zéro des segments entiers du roman, moi qui suis plutôt adepte du bricolage à coups de peinture et de copiés-collés d’habitude ! Récemment, j’ai lu le post d’une autrice très appréciée sur Wattpad qui avait disparu des réseaux pendant plus d’un an, avant de refaire surface tel un phénix. Elle parlait de « flamme », ou de « magie », qui disparait un matin (c’est ce qui s’est passé pour elle). Les mots de cette conteuse très douée pour raconter une histoire poignante en peu de mots ont immédiatement fait écho à ce que je ressentais. Les bonnes histoires ne nous appartiennent pas, elles ne font qu’emprunter nos doigts pour être écrites, et on sait quand « c’est » là ou pas. Vous aussi, j’en suis sûre !

3) une petite voix vous dit « c’est pas bien original tout ça, ma p’tite dame... et puis ces personnages, on les connait déjà non ? C’est pas eux qui meurent dans le tome 3 de la saga truc ? » Ben oui, en fait, dans le Feu et l’argile, il s’agit des persos secondaires d’un autre roman que j’ai déjà écrit (ouille ouille !). On sait comment ils vont finir... et si connaître déjà la chanson ôte au lecteur toute envie d’en savoir plus, c’est presque pire pour l’auteur qui écrit l’histoire. D’où le problème d’écrire avec un synopsis, au lieu de laisser les choses suivre leur cours... plan qui nous oblige à rédiger des passages « techniques », pour expliquer telle ou telle action d’un perso, ou dire qu’un autre se rend à tel endroit, etc. Dans son billet « n’écrire que ce qu’on a envie d’écrire », Lionel Davoust (cœur sur lui) conseille, dans ces cas-là, de ne pas s’entêter à écrire ces passages forcés. S’ils vous ennuient, c’est qu’ils ennuieront le lecteur aussi... et c’est pareil avec ce qu’on a envie d’écrire, d’ailleurs. J’ai envie d’écrire une énième histoire vue et revue, et avec des persos qu’on connait déjà, dans un univers familier ? Ben oui, malheureusement. En théorie, c’est ma façon de la traiter, ma voix personnelle pour la raconter, qui la rendra originale (ou pas, mais ça, c’est un autre problème).

4) le truc est une chimère avec une tête de hibou et des pattes de dragon : vous avez fait de votre mieux pour – enfin ! – obéir à un cahier des charges et produire un texte identifiable du premier coup d’œil, dès la lettre d’intention. Sauf que, une fois de plus, vous avez commis un produit hybride qui ne tient pas la route, à la croisée des genres (enfin, ça, c’est ce que vous dites pour vendre le truc) et ne répond PAS aux critères du roman honorable et publiable. Pire encore, vous avez truffé votre bousin de violence et de SEXE éhonté. Vous avez beau couper, ratiboiser, édulcorer... la forme finale du machin reste très bizarre, limite insultante, comme ce montage photo de poulet aux pattes écartées avec la tête de Kim Kardashian. Que faire dans ces cas-là ? Il parait qu’il faut jeter...

5) le texte est inexploitable, illisible, impubliable (pour les raisons listées ci-dessus) : vous avez l’impression de travailler pour rien. En fait, non : il parait que c’est en faisant des erreurs qu’on progresse... il s’agit donc d’essayer de considérer ce roman qui traine la patte comme un exercice qui ne donnera pas forcément de résultats, mais qui vous aura appris certaines choses. En tout cas, c’est comme ça que j’ai décidé de voir les choses, et j’ai donc décidé de mettre un gros coup de fouet pour finir ce fichu truc. J’imagine que vous avez tous de tels romans dans vos tiroirs... non ?

6) vous manquez de confiance en vous : un interminable périple de silence éditorial, quelques bêta-lectures au bilan désastreux, le manque de succès de vos petites créations sur les plateformes ont fini par avoir raison de votre légendaire et inébranlable confiance en vous. Non, vous ne serez pas la prochaine JK Rowling, le nouveau Jay Kristoff ou Victor Dixen, encore moins Dan Simmons, Anne Rice ou Tanith Lee et vous l’avez enfin compris. Vous avez honte de ce que vous osez sans vergogne étaler sur la place publique (heureusement que les pseudonymes existent !), mais n’arrivez pas à produire autre chose. Pire encore, en imaginant le rire moqueur, la grimace furieuse, la mine agacée ou le sourire condescendant de l’éditeur (ou le néant total qui s’ouvre devant vous), vous n’arrivez plus à écrire du tout, c’est le début de la fin, les carottes sont cuites ! Que faire ? C’est à vous de voir. Moi, je suis obligée de continuer à écrire : c’est une malédiction, une méchante fée qui s’est penchée sur mon berceau. Je suis donc obligée de finir ce roman. Et tous les autres.

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