Into the Deep (Sophie Griselle)
2022, 500 pages, Snag.
Résumé : Le jeune et brillant océanologue Sam Luzarche découvre une créature marine qui défie les lois de la biologie non loin du point le plus profond sur Terre, près d’une île du Pacifique où les habitants ont mystérieusement disparu. Mais quand son passé familial fait irruption, l’enjeu de sa découverte, qui pourrait changer le monde, prend une tournure personnelle...
J’ai suivi le processus d’écriture de ce roman en « lecteur fantôme » sur l’Atelier des Auteurs (anciennement Scribay) et assisté à l’alchimie ultime : la transformation d’un manuscrit publié gratuitement en feuilleton sur internet en une œuvre acceptée par un éditeur digne de ce nom (le Graal ultime), publiée, puis disponible pour de vrai en librairie. Une opération de haute magie, suffisamment rare pour être soulignée. Ayant du mal à lire en ligne, j’étais curieuse de relire ce roman en format papier. La lecture de la Forme de l’eau de Daniel Kraus et Guillermo Del Toro m’a donné envie de m’y replonger (j’aime bien les lectures thématiques) et je dois dire que je ne suis pas déçue !
Ce roman possède en effet de grosses qualités, et surtout, la principale : il nous transporte dans un autre monde, à la fois séduisant, dangereux et mystérieux. Il se dévore : les 400 pages s’avalent comme rien ! Dès le premier paragraphe, le lecteur est happé par les mystères soulevés, dans une histoire qui fait référence aussi bien à Lovecraft qu’à Dan Simmons (pour l’habillage scientifique et la dimension horrifique). Les conflits entre personnages sont savoureux d’injustice et donnent envie de poursuivre pour savoir comment tout ça va se terminer. Pas de temps mort pour nous sortir de la lecture : l’immersion est totale, du début jusqu’à la fin.
C’est également un roman à « créature » (mon genre favori) et, comme d’habitude, j’attendais beaucoup de celle-ci. Rien de tel qu’un bon monstre pour pimper une histoire !
C’est aussi une intrigue très intelligente et habilement menée, qui explore toutes les pistes, toutes les possibilités du scénario, et nous laisse la porte ouverte, à nous, lecteur, pour tirer des conclusions. Enfin, c’est une très belle fable sur le pouvoir d’attraction des fonds, qu’ils soient liquides, ou mentaux...
Le roman est particulièrement bien structuré, avec un prologue très accrocheur, et un épilogue qui laisse une porte bien ouverte, dans la pure tradition du roman fantastique. Aucune question n’est laissée en suspens, et les points noirs du début du roman sont résolus, que ce soit au niveau de l’intrigue, des personnages ou même du rythme. Je vais quand même vous détailler les petites choses qui m’ont gênée, même si certaines trouvent leur résolution à la fin.
Parlons de la forme, d’abord.
La narration à la première personne, dans ce roman, n’est pas très bien passée pour moi, même si j’ai fini par m’y habituer. Principalement parce qu’à part nous faire de l’expo sur le milieu et son histoire, le narrateur ne nous dit rien de ce qu’il est, ce qu’il pense (ou le fait de façon maladroite). Ses conflits intérieurs (et c’est dire s’il en a...) passent uniquement à travers de tirades grandiloquentes et de dialogues assez lourds et peu naturels, en s’exprimant sous la forme de conflits avec les autres. Tout cela culmine au cours d’une scène de drama interminable (20 pages !) et éprouvante, qui fait bien mal à la tête. Mais là encore, il s’agit d’un style, auquel on s’adapte facilement à la lecture.
Le rythme : tout va un peu trop vite à mon goût, surtout au début. Tellement vite que parfois, j’ai dû relire des passages pour comprendre que ça y est, le perso n’est plus sur le bateau, mais dans l’eau, puis dans le bathyscaphe, et enfin, sur l’île... ça va vite, très vite ! En revanche, les passages de disputes (nombreuses), eux, prennent bien leur temps, avec forces redites. Faut dire que les persos ne désarment pas, de vrais requins-bouledogues !
Justement, les persos, parlons-en ! Ils sont tous détestables, et peuvent, au début, paraître un peu caricaturaux. Le héros est un genre de Jacques Mayol dans le Grand Bleu, en plus égoïste et tête brûlée encore. Beau comme un dieu tahitien, adulé par toute son équipe, les femmes et les dauphins, il est en plus supra-intelligent : il a soutenu sa thèse à 20 ans, tout en ayant eu le temps de devenir champion mondial de plongée en apnée. Un Gary Stu de compétition (ce qui est renforcé par l’usage de la 1° personne), mais pas sympa, en plus. La façon dont il traite son entourage est ignoble : sa copine Ophélie, qu’il n’utilise que pour le sesque et la lessive, ses amis et ses subordonnés, dont il risque la vie sans cesse « pour la science »... Mais la palme d’or du salaud revient à son père, le vrai méchant de l’histoire : une caricature de savant fou (évidemment prix Nobel), un genre de Tywin Lannister croisé avec le professeur Hojo et Heihachi Mishima. Enfin, Ophélie, la copine du héros, est évidemment canon, intelligente, mais potiche (et traitée comme telle, j’y reviens tout de suite) ... En tout cas, c’est la seule qui manifeste un comportement normal et humain dans cette histoire.
Sachez tout de même que, quoi que vous pensiez des personnages dans la première moitié du roman, vous changerez d’avis sur eux dans la seconde partie. C’est là toute l’intelligence de l’intrigue !
Le second vrai point faible est donc, selon moi, la peinture du milieu scientifique que ce roman nous donne, dont les réalités sont très éloignées de ce que vivent les personnages. Thèse à 20 ans, directeur de mission à un âge où les gens normaux rempilent pour leur 5° année de doctorat, budget illimité venant du CNRS — et pour un ethnologue en plus...! —, navire-labo de pointe qui ferait pâlir un méchant de James Bond... Tous ces éléments sont un peu gros. Bon, je reconnais qu’ils servent bien l’intrigue. Mais de ce côté-là, j’attendais plus de ce roman qui se veut aussi une réflexion sur l’éthique scientifique. Quid des chercheurs sans poste qui bossent gratos sur le bateau, de ceux dont les rêves se sont brisés sur les écueils du manque de moyens et de soutien institutionnel, mais qui continuent à grenouiller dans ce milieu auquel ils ont consacré leurs plus belles années ? Adam, le personnage qui sert de carpette au héros et à son père, pourrait entrer dans cette catégorie là, mais le roman ne s’intéresse pas vraiment à lui, à son histoire et son ressenti. Idem pour Ophélie, la copine du héros, qui pour le coup, ne sert vraiment à rien d’autre que... d’être la copine du héros super brillant, surhomme et beau gosse. Ok, la place des chercheuses est questionnée à travers la façon dont elle est traitée (et encore, de manière assez caricaturale), mais tout cela manque de dimension socio-éco. Dommage !
Bilan
Mais je chipote. En dépit de ces petits détails qui pourront très bien ne pas être un problème pour d’autres, j’ai passé un excellent moment de lecture avec ce roman qui, pour moi, possède la qualité principale d’un bon livre. À savoir, susciter une soif de lecture qui pousse à tourner les pages jusqu’à la fin, et nous transporter dans un monde onirique (et parfois dangereux), hors de notre réalité. De ce côté-là, mission accomplie !
Ça ressemble à :
- Abyss, le film de James Cameron
- La Forme de l’eau, de Guillermo Del Toro
- Le cauchemar d’Innsmouth, de H.P. Lovecraft
- L’arc du père Hoyt dans Hypérion, de Dan Simmons
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