~ POINT DE VUE STEPH ~

— Et tu penses qu’il sera à la hauteur ?

— Il a toujours su protéger sa famille dans n’importe quelle situation.

— Là, il s’agit de supprimer une vie.

— Si c’est le seul moyen d’en finir, il le fera.

Mon téléphone se met à sonner au moment où j’allais répondre à Mark.

— Camelin, j’écoute.

— Docteur Santana à l’appareil. Je vous appelle au sujet de Madame Dumas. Ses examens sont terminés, vous pouvez venir la chercher.

— J’arrive tout de suite.

Je raccroche et préviens Mark.

— Surveille tes arrières. On ne sait pas ce qui se passe dans leur tête … surtout avec Chris, me dit-il alors que je pars.

Je monte dans ma voiture et prends la direction de l’hôpital tout en regardant dans le rétroviseur intérieur. Pour m’assurer que je n’étais pas suivi, j’emprunte différentes routes pour me rendre à l’hôpital. J’y arrive une demi-heure plus tard, me gare puis me dirige à l’accueil.

— Bonjour, Commandant Camelin. Je souhaiterais voir le docteur Santana, dis-je à la secrétaire, en lui montrant ma plaque.

— Il vous attend dans son bureau. C’est au fond du couloir, à droite.

— Je vous remercie.

Je suis le couloir et quand je suis enfin arrivé devant le bureau concerné, je frappe à la porte.

— Comment ça s’est passé ? interrogeais-je.

— Très bien.

— J’ai des papiers à signer ?

— Oui, son autorisation de sortie.

Le docteur Santana fouille dans ses papiers et en sort une feuille d’autorisation de sortie.

Après l’avoir signée, j’aide Madame Dumas à se lever et nous partons. Je dois rester aux aguets, il s’agirait pas que je perde un témoin maintenant. Je l’aide à s’installer dans la voiture. Durant tout le trajet, je discute avec Madame Dumas tout en regardant dans le rétroviseur intérieur. Je me gare devant le commissariat et amène Madame Dumas à l’intérieur. Nous nous installons dans mon bureau pour être un peu plus au calme.

— Nous allons faire votre déposition et ensuite nous allons appeler vos souvenirs pour faire un portrait-robot.

— Pendant que c’est frais.

— Vous allez me raconter tout ce qui s’est passé, dans les moindres détails.

Je la vois réfléchir un moment puis elle commence à me raconter.

— Ils sont entrés comme des fous en défonçant ma porte d’entrée. Un homme a demandé à une autre personne de rester dans l’entrée pendant que lui et la troisième personne cherchaient le tableau. Ils ont fait un boucan pas possible au rez-de-chaussée puis ils sont montés au premier. Ils sont entrés dans ma chambre et ont commencé à fouiller. Pendant que l’un cherchait, l’autre regardait autour de lui et il s’est approché de l’endroit où je me trouvais. Je croyais qu’il allait me tuer, mais il a juste entrouvert la porte de mon dressing et il m’a fait signe de ne pas bouger et a refermé la porte. Ensuite, il a demandé à l’autre homme s’il avait trouvé le tableau et il lui a répondu que oui.

Elle s’arrête un moment pour reprendre ses esprits. Elle est encore chamboulée, c’est normal. Je n’ose imaginer ce que Chris lui aurait fait s’il l’avait vu.

— Prenez votre temps. Voulez-vous un verre d’eau ? lui demandais-je.

— Je veux bien, merci.

Je me lève et vais lui chercher un verre. Je reviens quelques instants plus tard, et le lui donne. Elle prend le verre et le boit d’un trait. Elle le pose ensuite sur le bureau et continue son récit.

— Après, plusieurs voitures sont arrivées. La personne qui était en bas a crié quelque chose, mais ils ne l’ont pas entendu.

— Qu’est-ce que c’était ?

— On a de la visite. Elle a dit « on a de la visite ».

— Vous dites « elle », donc la troisième personne est une femme ?

— Oui, c’est une femme.

— OK. Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

— Un des deux hommes a regardé par la fenêtre puis ils sont partis tous les deux de la chambre en emportant le tableau. Quelques minutes après, des coups de feu ont retenti et vous êtes arrivés.

Je termine de taper ce que Madame Dumas vient de me dire sur l’ordinateur.

— C’est tout ce qui s’est passé ?

— Tout à fait. Je vous ai tout dit.

J’enregistre la déposition, l’imprime puis la lui donne.

— Vous pouvez relire votre déposition pour être sûre de n’avoir rien oublié et vous signez en bas de la feuille.

Elle fait ce que je viens de lui dire et elle me rend la feuille. En la prenant, je vois sur ma montre qu’il était presque dix-sept heures. Je range la déposition de Madame Dumas dans le dossier de l’enquête en cours et me lève.

J’ aide Madame Dumas à faire de même et l’amène dans la salle principale. Je l’installe à un bureau qui semble vide et demande à Greg de faire le portrait-robot avec elle.

Greg lui explique le rôle et le fonctionnement du portrait-robot pendant que je sors mon téléphone portable de ma poche de pantalon.

— Allô.

— Natasha, c’est moi. Il faudrait que tu ailles chercher ton frère à l’école, prévins-je.

— Je suis déjà sur la route.

— Désolé de ne pas avoir téléphoné avant.

— Tu en as pour longtemps ? me demande ma fille.

— Bah, c’est une affaire assez compliquée, au final.

— C’est toujours celle de la galerie d’art ?

— Oui. Bon, tu vérifies que ton frère fasse bien ses devoirs, tu lui fais prendre son bain, dis-je, à ma fille.

— Ouais, comme d’habitude.

— Merci, ma chérie.

Greg m’appelle.

— Bon faut que je te laisse. À tout à l’heure.

Je raccroche et range mon téléphone.

— Vous avez fait vite. Vous êtes sûre de vous ? interrogeais-je.

Elle lève la tête et son regard se porte sur moi.

— Sachez, monsieur le Commandant, que quand je vois des visages fort plaisants, je ne les oublie pas.

Avec Greg nous nous regardons et nous comprenons chacun ce que l’autre pense.

— Tu me l’imprimes en plusieurs exemplaires puis tu le fais passer à tous les commissariats.

Je récupère la première copie et vais dans le bureau qu’occupe Mark.

— Je ne te dérange pas ?

— Tu arrives au bon moment. Je ne te présente pas le Marshall Ben Turner. C’est lui qui aura la charge d’Amélie Dumas durant l’enquête.

— Si je prends en compte ce qu’elle a dit dans sa déposition, il n’y a que John qui l’ait vue.

— On ne peut jamais être sûr à 100 %. Règle numéro 11.

— Je les connais toutes par cœur et aucune ne dit qu’il faut interpeller des Marshall — sans vouloir te vexer — pour protéger une personne qui n’a pas besoin de l’être, lançais-je.

— Écoute...

— Non, c’est toi qui va écouter. Ils sont intervenus chez elle parce que Chris voulait récupérer son tableau. Maintenant qu’il l’a en sa possession, il ne s’occupera pas de savoir si cette femme respire encore ou pas. Puis, il n’y a que John qui l’ait vue.

Mark s’apprête à me répondre mais vu sa tête, je sens qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Je tourne la tête et vois Eddy Cortez, le commissaire divisionnaire, venir dans notre direction.

Je vais vous avouer un secret … quand le commissaire divisionnaire se déplace, c’est que ça sent pas très bon pour le commissariat en question et là en l’occurrence … c’est nous. Ca faisait longtemps d’ailleurs qu’il n’était pas venu nous voir.

— Les emmerdes continuent.

Eddy ouvre la porte d’un coup sec et entre. Tous les regards se tournent vers lui.

— Turner, vous n’avez rien à faire ici ! s’exclame-t-il, en lui montrant la porte.

Ah là, je suis d’accord avec lui, on n’a pas besoin de lui ici.

— C’est moi qui lui ai demandé de passer au poste. Ça vous pose un problème ? lance Mark.

Mark a l’air remonté et en règle générale, le pitbull va ressortir. Ca va exploser.

Avant qu’Eddy ne lui réponde, il demande à Ben de respecter sa mission.

— Effectivement, ça me pose un problème.

Et voilà, Eddy relance les hostilités. Que le combat commence.

— Et en quoi ?

— Premièrement, vous êtes à la retraite. Deuxièmement, ce n’est pas votre affaire.

— La retraite, c’est vous qui m’y avez obligé et deuxièmement, cette enquête c’est la mienne.

— C’est celle du Commissaire de cet établissement. Or, vous ne l’êtes pas.

— Et vous le voyez où ce commissaire ?

— Justement. Où est-il ?

— Nous n’en savons rien. C’est pour cela que nous avons demandé à Mark de prendre son poste, le temps que l’on sache où il se trouve, lui dis-je.

— Et de quel droit l’avez-vous nommé responsable des opérations ?

— Il connaît le dossier sur le bout des doigts puisqu’il a déjà eu à faire à ces deux personnes.

— Il me semble qu’ils étaient trois jusqu’à présent, non ?

— La troisième personne est un gars de la maison, en mission.

Bon ok, j’arrange un peu la vérité mais bon, il est vraiment en mission pour nous maintenant alors …

— Je vais me répéter encore une fois, mais de quel droit vous envoyez des hommes en mission ? Vous devez vous référer à un de vos supérieurs et en l’occurrence, moi. Et je ne crois pas vous avoir donné le feu vert pour ça.

Je jette un coup d’œil à Mark.

— On n’a pas vraiment eu le temps de vous informer parce qu’il fallait agir vite.

— Camelin, vous savez sans doute que vous n’êtes qu’un commandant parmi tant d’autres.

— Où voulez-vous en venir ? lui demandais-je.

Ah bah tiens, ça va être ma fête maintenant alors que j’avais rien demandé pour une fois.

— Vous pensez peut-être que vous êtes indispensable à cette équipe, mais vous n’êtes qu’un pion parmi les autres.

— Autant jouer cartes sur table. Pourquoi ne pas dire clairement que vous m’avez dans le collimateur ?

— Attention à ce que vous dites.

— Vous pensez sérieusement que je vais me taire ? Vous commencez à me connaître maintenant pourtant.

— Faites attention à ce que vous exprimez face à votre hiérarchie ou alors vous serez dans le même sac que Matthews et Bernard, et là, je ne pourrais plus rien faire pour vous.

Alors là, chose à ne pas faire. S’attaquer à John et à Nicole.

— Qu’est-ce que ma fille vient faire là-dedans ? intervient Mark.

— Figurez-vous que depuis qu’elle est entrée dans ce commissariat, je n’ai jamais eu autant de problèmes à régler.

— C’est ça qui vous dérange ? Le fait qu’elle fasse son travail ?

— Elle fait son boulot d’une manière qui n’est pas très orthodoxe. Elle n’en fait qu’à sa tête, elle ne respecte pas les ordres qu’on lui donne. Ça me rappelle le temps où vous étiez en service, Mark.

— Tel père, telle fille, lui rétorque celui-ci.

— Et c’est bien ce qui me dérange.

— Pourquoi ? Parce que vous ne pouvez pas la contrôler comme vous le faites avec les autres ? intervins-je.

Eh voilà, fallait que j’ouvre ma bouche. Soyez rassurés, elle ne reste pas longtemps fermée.

— Stéph ! me dit Mark, d’un ton sec.

— Attends, je viens de comprendre pourquoi il fait ça.

— Pourquoi je fais quoi ? me demande Eddy, en prenant l’air étonné.

— D’habitude, on ne vous voit jamais et là, on vous a sur le dos à longueur de temps.

— Je sais faire mon boulot quand il le faut.

— On ne vous a jamais dit que c’était pas beau de mentir ?

— Où tu veux en venir ? me demande Mark.

— Il veut s’approprier l’affaire.

— Vous vous trompez, se défend Eddy.

— Alors, expliquez-moi pourquoi vous teniez tant à récupérer Erika Müller lorsque nous l’avions avec nous. Pourquoi le commissaire Ness a disparu de la surface de ce commissariat ?

— Si je me souviens bien de ce que vous m’avez dit, c’est de votre faute si Laurent est parti. Vous avez préféré que ce soit Mark qui dirige les opérations, non ?

— Jamais il n’aurait laissé tomber ce commissariat même après ce que je lui ai dit. Il doit avoir une telle pression sur les épaules qu’il a complètement changé de comportement.

— Qui sait ? Peut-être qu’il a pris conscience de certaines choses. me répond Eddy.

— Quelles choses ? demande Mark.

— Allez savoir. Je ne suis pas dans sa tête.

— Mais c’est vous qui donnez les ordres et quand il s’agit de mettre la pression, vous savez de quoi vous parlez.

— Vous êtes en train d’aller sur un terrain qui vous est totalement inconnu, Camelin. Si vous ne voulez pas vous retrouver à la circulation, faites attention. Tout le monde a des choses à cacher et je me ferais une joie de déterrer vos squelettes du placard.

— Vos menaces ne me font pas peur et si j’étais vous, je ferais attention de toujours bien surveiller mes arrières, lui répondis-je, en m’avançant également vers Eddy.

Au fur et à mesure que nous nous rapprochons l’un de l’autre, nous nous tenons l’un devant l’autre, tête contre tête. Mark décide d’intervenir avant que la situation ne s’envenime encore plus.

— C’est parce que c’est un gros poisson que vous vous incluez davantage ?

— De quoi vous me parlez, maintenant ?

— Je vous parle de Cook.

— De Cook ? Et alors ? questionne Eddy.

— C’est un très gros morceau … même le plus gros de votre carrière. C’est pour ça que vous voulez tant mener cette affaire ? Vous croyez qu’en l’attrapant à vous tout seul, vous aurez une promotion ?

Nous échangeons un regard avec Mark car nous voyons Eddy serrer la mâchoire. Évidemment que c’est ça mais il ne l’admettra jamais.

— En effet, c’est un gros poisson à lui tout seul, mais ce n’est pas pour les raisons que vous croyez que je fais tout ça.

— Alors, expliquez-vous ! lançais-je.

— Je ne crois pas que je doive donner des explications. C’est moi qui donne les ordres, ici.

Eddy sort du bureau en laissant la porte ouverte. Tout le monde le suit du regard, jusqu’à ce qu’il sorte complètement du commissariat.

— Tu crois que ça va nous emmerder pour la suite ? demandais-je à Mark.

— Il suffira de frapper au bon endroit quand le moment sera venu.

Je sors du bureau, vais prendre mes affaires et monte dans ma voiture afin de rentrer chez moi.

~ POINT DE VUE MARK ~

Je reste encore une bonne heure au poste pour travailler sur l’affaire. Je fais le tour des hommes qui sont restés.

— Est-ce que quelqu’un a trouvé quelque chose ? demandais-je au hasard.

Je vois que tout le monde se regarde mais personne n’ouvre la bouche. Une seule personne se détache des autres : il s’agit de Matthieu Bennett, l’apprenti de Stéph. Il n’est là que depuis quelques mois, mais il est très doué d’après Nicole. Il regarde autour de lui et lève la main.

— Une seule personne ? lançais-je, en regardant les autres.

Je laisse encore quelques minutes aux autres pour se décider.

— Vas-y. Dis-moi ce que tu as trouvé ?

— Je me suis renseigné sur les activités de Cook lorsqu’il était en prison et je pense tenir une piste.

— Laquelle ?

— Il a eu plusieurs compagnons de cellule et un a été libéré. J’ai … j’ai appelé le procureur pour demander un parloir avec les personnes qui ont fréquenté Cook en prison et qui y sont encore.

— Tu l’as obtenu ?

— Il vient de me le faxer.

— Bon boulot. Trouve les adresses de celui qui est sorti.

— J’y travaille.

Nicole avait raison. Il est plutôt doué.

— Ça, c’est ce que j’appelle un travail de flic, lançais-je en retournant dans le bureau de Laurent pour y récupérer mes affaires.

Je m’arrête devant un magasin pour y acheter un sandwich et reprend la route.

Quand j’arrive devant la chambre où a élu domicile ma fille, je ne vois pas le Marshall qui est censé garder la porte. Je continue mon chemin en fronçant les sourcils. Je frappe à la porte de la chambre puis entre.

— Génial, je vais pouvoir y aller, dit Éric, en me voyant entrer.

— C’est comme ça que tu fais ton boulot ?

Éric regarde Nicole et elle me répond à sa place.

— C’est moi qui lui ai dit de venir. Il est debout toute la journée.

— Je plaisantais, répondis-je.

Éric esquisse un sourire.

— À quelle heure tu veux que je vienne demain matin ? me demande Éric.

— Vers sept heures trente. Ça devrait aller.

Éric met sa veste, dit au revoir et sort nous laissant seuls.

— Alors, comment ça s’est passé pour toi, aujourd’hui ? demandais-je à ma fille.

— Le gynéco est venu tout à l’heure. Il m’a expliqué beaucoup de choses sur la grossesse.

— Et ?

— Il y a beaucoup d’inconvénients, d’autant plus que j’ai une grossesse à risque, dit-elle.

— C’est bien, tu as conscience qu’il faut que tu restes tranquille.

— Papa.

— Quoi ? Je te connais par cœur, avouais-je.

— J’ai surtout conscience que c’est peut-être ma dernière chance d’avoir des enfants, alors je ferai ce qu’il faut pour qu’ils viennent au monde en bonne santé.

— Tu te compliques trop la vie, mais bon, j’ai l’habitude.

— Puis, j’ai beaucoup réfléchi.

Tiens donc, Nicole qui réfléchit avant d’agir.

— À quoi ? questionnai-je.

— Aux bébés. Je me languis de savoir si ce sont des filles, des garçons ou les deux.

— Et toi, tu aimerais avoir quoi ?

— Les deux.

— Pourquoi les deux ? Tu préférerais pas avoir que des filles ou que des garçons ?

— Non, je préfère avoir les deux et je ne sais pas pourquoi. Mais après, si je me trompe et que ce sont des filles ou des garçons, je les aimerai autant, explique-t-elle.

Je la regarde avec mon célèbre regard bleu perçant et je vois dans son regard une telle joie ! Je suis tellement content. Elle mérite vraiment d’être heureuse après tout ce qu’elle a traversé.

— Et toi, ta journée ? me demande-t-elle.

— Poussin, je ne suis pas censé t’en parler.

— Papa, s’il te plaît. Si tu ne dis rien, je vais recommencer à stresser.

Il y a un moment de silence puis je décide de lui répondre. Elle sait très bien de toute façon que je vais essayer de lui cacher des informations, elle me connaît par cœur.

— On a eu des emmerdes, avouais-je.

— Oh bah, rien n’est simple dans une enquête comme celle-là.

— La propriétaire du tableau a identifié John. On est obligé de suivre la procédure, donc Stéph a pris sa déposition et un autre lui a fait faire le portrait-robot. J’ai fait venir Ben...

— Ben ? C’est Stéph qui a dû être content que tu le fasses venir, déclare-t-elle.

— Je voulais la mettre sous sa protection, mais Stéph n’a pas la même vision de la chose que moi, alors il l’a un peu rembarré.

— Et ensuite ?

— C’est là que les emmerdes sont arrivées, lui répondis-je.

— C’est-à-dire ?

— Eddy est arrivé. Il a déboulé dans le bureau de Laurent au moment où Stéph me faisait part de son opinion sur le témoignage de Madame Dumas.

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Se proclamer chef des opérations. Il souhaite conclure cette affaire tout seul.

— Il t’a dit ça ? Il ne manque pas de culot, dit-elle, outrée.

— Oh non, il n’a rien dit.

— Alors...

— C’est Stéph qui a posé le doigt sur le problème. Eddy veut tous nous écarter, un par un, pour qu’on puisse le nommer à la tête des opérations.

— J’imagine que vous l’avez remis à sa place.

— C’est surtout Stéph qui l’a fait. Ensuite, il est parti, informais-je.

— Il ne va pas en rester là, à mon avis. Mais vous avez quand même trouvé quelque chose ?

— Un petit nouveau a un début de piste, mais je ne sais pas où ça va nous mener.

— Quel nouveau ?

— Il est assez grand, brun avec les yeux bleus.

— Je vois de qui tu parles. Il est très doué en informatique et dans ses interrogatoires. Qu’est-ce qu’il a trouvé ?

— Il s’est renseigné sur les activités de Chris lorsqu’il était en prison. Apparemment, il a eu plusieurs compagnons de cellule. Il a appelé le procureur pour avoir un parloir avec ceux qui y sont encore, expliquais-je.

— Il a réussi à l’avoir ? me demande ma fille.

— Non seulement il a réussi à l’obtenir, mais il lui a faxé l’autorisation dans la demi-heure qui a suivi.

Elle en reste bouche bée.

— Je lui tire mon chapeau.

— Quand je suis parti, il travaillait sur ceux qui sont sortis.

— Il faudrait aussi jeter un œil sur les relevés bancaires et téléphoniques de Chris. Ça m’étonnerait qu’il se la joue seulement avec Eva Cox.

— Ça m’étonnerait aussi.

Nous passons la plupart du temps à parler de nos histoires du passé et aussi de l’avenir que nous aurons, une fois cette histoire terminée. Nous rions beaucoup.

Nous passons une bonne soirée dans cette chambre d’hôpital, j’imagine que d’autres n’ont pas cette chance.

~ POINT DE VUE JOHN ~

J’ai suivi l’ordre de Chris concernant la planque. Je me suis réfugié à l’endroit où j’avais emmené Nicole quand je l’avais fait sortir de l’hôpital, en douce.

Je me suis installé sur le canapé avec une bière à la main. Tout en réfléchissant, je pose mon arme sur la table située devant moi. Je pense à ce que je pourrais faire pour que Chris me fasse enfin confiance, mais ce n’est pas une tâche facile. Chris est une personne à fort caractère, il est aussi têtu qu’une mule. Je sais que la prochaine affaire que je traiterai avec lui et Eva sera la tâche qu’il n’a pas finie, il y a tant d’années. A vous dire la vérité, je suis tenté de prévenir Mark pour le tenir au courant, mais si je le fais, je risque de mettre plus en péril ma couverture et celle d’Alex. Je dois prendre une décision. Pendant que je réfléchis à tout ça, quelqu’un frappe à la porte. Je me redresse aussitôt et reprends mon arme. Je vais devant la porte d’entrée et regarde dans le judas. La personne qui a frappé à la porte n’est autre qu’Alex.

Comment sait-il que je me trouve là ? Je reste derrière la porte et pointe mon arme dessus tout en ouvrant la porte. À peine est-elle ouverte que je tire Alex à l’intérieur. Je referme la porte aussitôt et Alex lève les bras au niveau de ses épaules.

— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? demandais-je en lui braquant l’arme dessus.

— Il fallait que je te parle.

— Comment tu m’as trouvé ?

— Je t’ai suivi, me répond Alex.

Je m’avance vers Alex, mon arme toujours pointée sur lui et commence à le fouiller. Je trouve le téléphone portable d’Alex dans sa poche.

— Enlève la batterie et pose-la sur la table, lui dis-je.

Alex s’exécute et se retourne vers moi en attendant la suite.

— De quoi veux-tu parler ? questionnais-je.

— Je souhaiterais d’abord que tu baisses ton arme.

— Tu parles ou tu t’en vas.

— D’accord, je vais parler.

— Je t’écoute, lui dis-je.

— Je voudrais qu’on parle des projets de mon père et d’Eva.

— Et ?

— Tu dois savoir qu’il veut finir ce qu’il a commencé.

— Qu’est-ce que tu veux faire ?

— Il faudrait les changer de place.

— Ils ne risquent rien là où ils sont, lui répondis-je, en fronçant les sourcils.

— Je connais mon père et...

— … moi je connais Mark.

— Mon père ne va pas mettre longtemps pour les retrouver. Et quand ça sera fait, il va tous les tuer.

— Si je fais le moindre mouvement, je risque de foutre ma couverture en l’air.

— Il y aura bientôt d’autres emmerdes que ta couverture.

— Comme quoi ? La tienne ? lui demandais-je, ironiquement.

Il faut que je me méfie de lui, je ne sais pas si je peux lui faire confiance.

Nous nous regardons encore droit dans les yeux, à nous lancer des pics.

— Tu veux vraiment mettre fin aux agissements de ton père ? lui demandais-je.

— Si tu as entendu ce que j’ai dit à Nicole, tu devrais le savoir.

— Comment tu comptes t’y prendre ?

— Dans un premier temps, nous devons nous faire confiance et agir ensemble.

— Tu m’excuseras, mais je ne fais pas confiance à n’importe qui.

— Je sais que pour toi la confiance est sacrée, mais tu me connais, non ?

— Justement. La confiance, c’est une valeur qui se mérite.

— Tu vois, tu râles parce que mon père ne te fait pas confiance, mais tu penses pareil que lui sur la confiance.

— Qu’est-ce qui me dit que tu es sincère ?

— Tu vas avoir besoin de moi, que ça te plaise ou non.

— J’en doute.

— Tu dirais quoi, si j’assurais ta couverture pour que tu puisses vaquer à tes occupations extra-professionnelles ?

Je commence à réfléchir à ce qu’Alex vient de me dire. Mais puis-je lui faire confiance ?

— Faut voir. Tu comptes me couvrir comment et qu’est-ce que tu veux en échange ?

— Je sais que ta femme est à l’hôpital. Il y a forcément des moments où tu voudras aller la voir. Au moins, une fois par mois.

— Comment tu es au courant ?

— C’est Marie qui m’a donné le tuyau.

— Qu’est-ce que tu comptes obtenir de moi ?

— Je te l’ai dit. Je voudrais qu’on se fasse confiance. Quand le moment sera venu, il faudra que tu fasses quelque chose pour moi, c’est tout.

— On y arrive. Vas-y, je t’écoute.

— J’aimerais que tu me laisses m’occuper de mon père.

— T’es au courant qu’il va falloir l’abattre ?

— C’est moi qui dois le faire, me répondit Alex.

— Tu comptes le faire quand ?

— Quand le moment sera venu.

— Si ton père découvre notre jeu, il va nous tuer tous les deux. Tu le sais, ça ? Il se fichera que tu sois la chair de sa chair.

— Je prends le risque. Il a fait trop de mal autour de lui.

Suite à ce qu’Alex vient de me dire, je baisse mon arme. Ok, je vais lui laisser le bénéfice du doute.

— La bière est dans le frigo.

Alex baisse ses mains et va se servir.

— Tu l’as trouvée comment, ta planque ? me demande Alex.

— Secret professionnel.

— Tu comptes y rester longtemps ?

— Aussi longtemps que nécessaire. Tu peux y rester, si tu veux, lui dis-je.

— Tu me demandes de rester là, avec toi ?

— Tu ne vas pas me dire que ça ne t’a pas traversé l’esprit ?

— Si, bien sûr.

Je me ravis qu’Alex ait accepté, je vais pouvoir, à présent, garder un œil sur lui.

Alex ouvre la bière et commence à l’ingurgiter. Nous discutons de tout et de n’importe quoi pendant que nous buvons. Quand nous avons fini, je me lève du canapé.

— Tu as une préférence ? questionnais-je.

— Pardon ?

— Tu veux manger quelque chose de spécial ?

— Je ne savais pas que tu cuisinais.

— Disons pour faire court que j’y ai été forcé.

— Comment ça ? demande Alex, intrigué.

— Assure-toi que ta copine sache cuisiner, avant de t’engager.

— Je comprends pourquoi Nicole ne s’est jamais mise à la cuisine.

— Alors tu crois que c’est ma faute si elle ne s’y est jamais intéressée ?

— Bah, si tu lui concoctes de bons petits plats, c’est normal.

— Ça, c’est ce que tu crois.

— Je ne comprends plus rien à ton histoire.

— Elle se joue de moi. Elle sait cuisiner, mais elle préfère que ce soit moi qui le fasse.

Alex reste dans la cuisine à m’observer en train de cuisiner le rôti de bœuf. J’y ajoute des haricots verts. Je mets ensuite le tout dans un plat, pendant qu’Alex prépare la table. Il a même trouvé une bouteille de vin rouge qui va accompagner le repas.

— Je peux te poser une question ? demandais-je à Alex.

— Oui.

— Il y a quelque chose qui me gêne dans cette histoire. Quel est ton rôle ? Quelles tâches t’a-t-on assignée ?

— Je suis chargé de la mise en place des actions de mon père et d’Eva. Je prends le matériel, les armes dont ils ont besoin. Je veille à ce que tout roule.

— Tu le trouves où, le matériel ?

— J’ai mes sources.

Je l’observe et essaie de le lui faire dire en lui faisant mon regard « qui tue », mais sans succès.

— Secret professionnel. Si je te le dis, je serai obligé de te tuer.

— Pour ça, il faudrait que tu saches tirer convenablement.

Pendant que nous rions et finissons la soirée, la nuit commence à tomber et aucun de nous ne dort. Nous réfléchissons à ce qui va se passer à présent.

Quels sont les projets de Chris et d’Eva ? Quand passeront-ils à l’action ? Allons-nous rester en vie jusqu’au bout de la mission ?