Le chaperon noir de jais

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Note : Il aurait dû s'agir là d'un conte du Vendeur de bougies, mais je me rends compte qu'il risque d'être bien plus long que les autres. L'histoire se déroule en Terre des Murmures, plusieurs siècles avant l'histoire d'Amset et Orbia ou celle de Maya. 


 Notre histoire démarre dans les froide contrées de la Majorique, en des temps immémoriaux où les noms mêmes de Lithé et Meroclet n’avaient encore jamais été prononcé en ces lieux. Dans un village de pêcheur, en bord de mer, vivait Skuld, une jeune orpheline qui vivait de rapines. La fillette était frêle et ne devait son salut qu’à sa petitesse qui lui permettait de se faufiler telle une souris parmi la foule du marché quotidien. Elle parvenait alors à subtiliser harengs, coquillage et, les beaux jours, un quignon de pain. Elle était l’ainée de deux petits garçons qu’elle se devait de nourrir, qu’ils grandissent et deviennent grands et forts comme les solides gaillards du pays. En cette période, cependant, il ne s’agissait là que de deux bambins braillards.

 Hélas pour elle, la fillette, en grandissant, peinait de plus en plus à chaparder ses maigres repas. On la reconnaissait, on la surveillait du coin de l’œil et si d’aventure elle s’approchait de trop près d’une échoppe, on lui criait dessus. Et c’était pire quand elle était prise en flagrant délit. On la poursuivait et elle devait jouer des coudes pour sauver sa peau. Par trois fois déjà, on l’avait attrapée. Elle avait écopé de raclées monumentales. C’était couverte de bleu qu’elle s’était trainée jusqu’à son abri de fortune où ses frères, bien ingrats, l’avaient rabrouée pour son échec.

 Un jour qu’elle surveillait les occasions de rafler sa pitance, elle sentit tous les regards posés sur elle. Plus d’une fois, on l’insulta et on la pria de déguerpir fissa. Pas un seul instant les pêcheurs baissèrent leur garde. Alors, quand le soleil déclina et qu’ils commencèrent à ranger leurs marchandises, la petite Skuld partit. Son estomac gargouillait et elle s’imaginait déjà devoir supporter les babillages de ses deux frangins qui la houspilleraient pour ce nouvel échec. Leurs jours de diète étaient de plus en plus courants. Si cela continuait ainsi, la famine aurait raison d’eux.

 Le cœur en peine et l’estomac sur les talons, la fillette ne remarqua pas de suite qu’elle était suivie. L’homme passa soudain devant. La surprise la figea et l’empêcha de lui rentrer dedans. L’individu se pencha vers elle et exposa un large sourire de dents blanches. Son trop grand chapeau empêchait de voir ses yeux. De longs cheveux couleur de neige lui tombaient jusqu’aux épaules. Skuld s’étonna de ne voir ni barbe ni moustache. Les hommes du pays en avaient tous, mais pas lui. Se pouvait-il qu’il s’agisse d’un étranger ? Il ne paraissait pas bien costaud non plus. Pourtant, il se déplaçait avec un gigantesque sac au dos, si grand que Skuld et ses deux frères auraient pu y entrer entier.

 — Bonjour, petite… Tu me sembles avoir connu une bien piètre existence, je me trompe ?

 Sa voix avait quelque chose de surnaturel, aussi Skuld recula d’un pas, effrayée. Elle avait entendu les adultes parler de ces gens, dans les pays par-delà la grande mer, qui faisaient la guerre aux noms de leurs dieux. On disait qu’ils tuaient les femmes et mangeaient les enfants. Cet inconnu pouvait-il être de ces monstres ?

 — N’aie pas peur. Je ne veux que ton bien, petite Skuld. Je t’ai vue, au marché, tout à l’heure. Tu peinais à t’approcher. On te connait trop. Ce dont tu as besoin, c’est d’un moyen de passer inaperçue, tu ne crois ?

 Si l’enfant avait d’abord eu peur, les mots de l’homme firent écho dans son esprit. C’est vrai, elle aimerait être aussi discrète que lorsqu’elle n’avait encore que sept ans ! Timidement, elle acquiesça.

 — C’est ton jour de chance ! Vois-tu, je suis un humble vendeur de bougies. Mais figure-toi, petite Skuld, que j’ai aussi avec moi une tenue qui te siéra à merveilles.

 L’homme avait dit cela en déposant son énorme sac dans la neige fondue et sale à force d’être foulée. Il chercha à l’intérieur quelques instants. Il en extirpa finalement une cape d’un noir de jais surmontée d’un capuchon. Dans les contrées majores de ces temps, on pouvait difficilement faire moins discret ! Il n’est pas plus simple de repérer une tâche noire que si elle se trouve sur un décor d’un blanc profond. Même une fillette le savait et Skuld afficha une mine sceptique.

 — Je comprends que tu doutes, mais sache, petite Skuld, que ce chaperon noir a une bien utile propriété. En portant le capuchon sur ta tête, plus personne ne fera attention à toi. Tu pourrais même danser au milieu de la place publique, tu n’attirerais pas le moindre regard !

 Bien que d’abord dubitative, Skuld ouvrit grand ses yeux. L’idée de pouvoir éloigner d’elle toute l’attention des autres la séduisait plus que de raison. L’homme l’aida à enfiler le chaperon noir de jais sans qu’elle n’ait le temps de refuser l’objet. Suite à quoi il s’inclina légèrement.

 — Je t’en fais cadeau, petite Skuld. Je ne demande rien en retour, si ce n’est que tu en profites bien. Bon courage pour la suite.

 Sans demander son reste, le mystérieux vendeur de bougies récupéra son sac et s’éloigna. Skuld avait les yeux rivés sur le tissu qui était plus doux que tout ce qu’elle n’avait jamais touché. Lorsqu’elle voulu remercier l’homme, il avait déjà disparu. Trop jeune à l’époque, elle ne s’était alors pas demandée comment cet inconnu connaissait son nom.

 Ajustant la capuche sur sa tête, Skuld rentra chez elle. Il n’y avait de toute façon personne sur son chemin pour l’interpeller. Mais une fois à sa cabane de fortune, ses frères ne remarquèrent pas sa présence. Ils jouaient sans se soucier d’elle, comme si elle avait été invisible. Elle s’assit d’abord dans un coin et surprit leur conversation à son sujet. Ils espéraient qu’elle reviendrait vite avec de quoi manger, et elle se mordit les lèvres, sachant que ce ne serait pas le cas ce soir-là. Mais ils s’avouèrent aussi tout l’amour qu’ils lui portaient, et cela la rassura. Parfois, elle avait l’impression d’être la bonne à tout faire de ces deux garnements. Ne pouvant se résoudre à les décevoir ce soir-là, elle attendit qu’ils s’endorment, affamé, pour se dévêtir du chaperon noir de jais. Même ses propres gargouillis et sa voix n’avaient pas trahi sa présence aux garçonnets.

 Le lendemain, elle testa sa nouvelle tenue sur le marché où elle avait ses habitudes. Comme prévu, personne ne la remarqua. Elle put ainsi s’approprier tout ce qu’elle voulait, sans avoir à se presser. Elle se servait littéralement sur les étales aux yeux des vendeurs sans qu’ils réagissent. C’était tout juste s’ils s’étonnaient plus tard de la disparition de quelques victuailles. Skuld s’en donna à cœur joie et ramena chez elle quantité de nourriture, plus qu’ils n’en avaient jamais vu.

 Les semaines qui suivirent furent synonyme d’opulence, voire même d’excès, pour les trois orphelins. Le chaperon noir de jais offrait moult possibilités à la petite Skuld qui s’en servait à merveille. Elle n’avait besoin d’aucune précaution, si ce n’était de garder la capuche sur sa tête. Les quatre-cents coups lui étaient permis. Aussi profita-t-elle de la vie comme jamais depuis que la maladie avait emporté ses parents.

 Jeune enfant, elle était loin de se douter de ce qui se tramait à l’époque. Les adultes avaient beau en parler devant elle, elle ignorait à quel point la situation risquait de s’aggraver de jour en jour. Les marins étaient formels, un immense navire, loin des petites embarcations de pêche de l’époque, semblait s’approcher du pays. On parlait alors de ce qui s’était passé si récemment en Assyr et en Cobaltique. Le Culte, cette religion naissante, s’y était imposée en écrasant ses détracteurs sans aucune pitié. On parlait d’une troisième Croisade, ici, en Majorique. Les uns s’inquiétaient tandis que les autres s’en moquaient, sûrs que les Clans du pays sauraient lutter contre cette menace.

 Comme ils se fourvoyaient…

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