Il avait une apparence humaine dans ses mouvements, sa vitesse d’évolution, le silence de ses articulations. Mais il paraissait plus sous contrôle dans tout ce qu’il faisait. C’était cela sa différence. Comme à leur première rencontre, quand elle avait entendu le son de sa voix pour la première fois. C’était une sorte d’assurance innée. D’où cela lui venait-il ? Elle se le demandait en le regardant évoluer ainsi.

- N’oublie pas que le professeur Osada m’a aussi beaucoup appris avant ton arrivée, dit-il.

Elle eut la sensation qu’il venait de lire dans ses pensées. Comme si l’expression de son visage, ou son moment d’hésitation à le regarder l’avait trahie. Il était à présent capable de comprendre les sentiments, de décrypter les émotions, peut-être même d’avoir l’intuition de ses pensées ? Un robot pouvait-il réellement lire dans les pensées d’une humaine ?

Dans la douceur de cette soirée du mois de mai, la première sortie de Masato fut un moment unique. Le robot marchait facilement dans le laboratoire. Mais la course et le franchissement d’obstacles inconnus étaient une nouveauté pour lui. Il suivait la jeune femme pour analyser ses pas et sa manière de courir. Très vite il prit de l’assurance et ne tarda pas à se tenir à côté d’elle. Ils étaient comme deux étudiants ordinaires qui couraient ensemble dans les jardins de l’université.

Les promeneurs qui les voyaient de loin ne faisaient même pas attention à eux tant le comportement du robot était alerte et naturel. Mais quand ils passaient suffisamment près, ils découvraient avec stupéfaction que l’un des deux individus n’était pas un humain. Sa silhouette, sa souplesse, ses déplacements étaient parfaitement imités, mais de près c’était un être fait de matériaux synthétiques. C’était ce qui était le plus troublant. Les gens avaient l’impression que leurs sens les avaient trompés. Ils avaient beau se trouver sur le campus de l’une des universités les plus modernes du Japon, la vision de ce robot, si à l’aise dans ses évolutions avait quelque chose de déroutant.

Kyoko et Masato avaient longuement discuté de l’apparence à donner à ce dernier. Lorsqu’il était encore relié à son support dans la salle du laboratoire il était blanc et noir, comme la plupart des robots expérimentaux au Japon. Une manière de se démarquer des humains avec ces couleurs si peu « organiques ». D’autres scientifiques construisaient des robots qui au contraire imitaient parfaitement le visage, la peau, et leurs expressions, ce qui était toujours déstabilisant. Ces robots humanoïdes, aussi parfaits que possible, ressemblaient toujours à des cadavres animés. Même sur des photos, on voyait qu’il leur manquait quelque chose dans les yeux pour constituer des êtres vivants, une étincelle de vie sûrement.

Ils avaient donc décidé de donner à Masato une allure sans équivoque, une vraie apparence de robot. Il était un peu plus petit que Kyoko, on aurait dit son petit frère quand ils couraient l’un à côté de l’autre. Cette taille plutôt petite avait pour but d’être rassurante. Elle donnait l’impression de pouvoir dominer physiquement le robot en cas de danger, d’avoir le dessus sur lui.

Il était de couleur noire pour ses éléments visibles en fibre de carbone, et ils avaient remplacé le plastique blanc par un joli bleu foncé plus discret. De loin, ces couleurs plutôt sombres ne se remarquaient pas. Elles ressemblaient à des vêtements. Ce n’était que de près que l’on comprenait la véritable nature de Masato. Mais à l’opposé, ses gestes et ses déplacements semblaient si souples et si naturels que les gens se demandaient si ce n’était pas au contraire un humain déguisé en robot, avec un masque sur le visage, jusqu’à se rendre à l’évidence.

Il était vraiment unique. Ni imitation humaine, ni étalage de technologie. Il était à mi-chemin entre l’homme et la machine. Il était en train de se faire une place dans le monde, sa place.