Chapitre 34
Nicole n’arrivait pas à accepter la mort de Tom. Tout était allé si vite, sur cette plage. Son corps avait été immédiatement enlevé par une ambulance. À croire que celle-ci attendait juste à côté, prête à intervenir. Il n’y avait eu qu’une cérémonie privée, à laquelle elle n’avait pas pu assister, et il avait été incinéré. Sûrement pour supprimer toute trace des nanorobots présents en lui. Ce soir-là, en se promenant en dessous du mémorial de l’USS San Francisco, face à l’océan Pacifique, elle y repensait. Le bruit des vagues, la diversité des espèces végétales et la douceur du soir, lui permettaient de se vider un peu la tête, de fuir cette ville et son agitation. Comme souvent, elle était parmi les dernières personnes à arpenter les allées du parc, profitant du coucher du soleil.
Son téléphone sonna, et elle le prit dans sa main. Mais elle n’eut pas le temps de décrocher en faisant glisser son doigt sur l’écran qu’une voix se fit entendre, ce qui la fit sursauter.
- Nicole, c’est moi, Tom !
L’écran, qui représentait habituellement des icones d’applications mobiles, venait de se déformer en une sorte de silhouette de visage multicolore constituée de ces symboles.
- Comment ça Tom ? Tom est mort…
Les mots avaient du mal à sortir de sa bouche.
L’improbable silhouette colorée se reforma sur l’écran.
- Tu te rappelles le projet Phénix ? Le téléchargement d’un humain dans un ordinateur. Nous avons réussi !
Nicole s’assit toute tremblante sur le premier banc qu’elle trouva, elle était en état de choc. Le Soleil qui déclinait à l’horizon commençait à produire des teintes orangées dans le ciel, et l’écran de son smartphone se découpait sur ce bout de nature, avec en son centre le visage surréaliste et coloré de ce fantôme surgit du passé.
- C’est… c’est impossible. Tu n’es pas Tom ! Tu n’es qu’un programme !
- Je suis tout ce que Tom a pu être, tout ce qu’il a pu dire ou penser au cours de son existence, la somme de ses émotions et de ses souvenirs. Je suis la sauvegarde de sa personnalité. C’est même moi qui t’ai expliqué tout cela.
- Pour moi tu ne seras jamais Tom ! Tu n’es qu’une machine.
- Je sais que cela est difficile à accepter, considère-moi comme un prolongement de Tom, comme son esprit.
- C’est hors de question !
- Je me rappelle même tes paroles sur cette plage. Quand tu disais que nous ne sommes pas des individus isolés dans notre tête, que ce sont les interactions avec notre environnement et avec les autres qui déterminent qui nous sommes. C’est toi qui avais raison. J’ai failli disparaître, dilué à l’infini dans le réseau, sans motivation. Et là, j’ai senti quelque chose. Il y a une autre entité comme moi. J’ai un rival. Un autre, qui semble être partout à la fois, tapi dans l’ombre, et qui représente une menace.
- Et pourquoi une menace ?
- Il est là, comme moi, dans la structure d’Internet, et il refuse d’entrer en contact. Personne dans le projet Phénix n’avait pensé à la possibilité d’avoir été devancé. Il ne peut pas y avoir deux intelligences d’une telle puissance sur le réseau !
- Pourquoi ? Pour le pouvoir ? La seule manière de fonctionner pour les gens comme vous.
- Mais le monde a toujours fonctionné de la sorte, et les ordinateurs sont entrés dans la partie tardivement. En 1940, avec Alan Turing. Cet homme a conçu la première machine électromécanique intelligente, pour déchiffrer le dispositif d’encodage Enigma des nazis. Son invention a permis de raccourcir la seconde guerre mondiale de deux ans, et de la gagner. Cette machine est l’ancêtre des ordinateurs, elle a ouvert la voie de l’intelligence artificielle. La guerre des cerveaux fabriqués par l’homme venait de commencer…
- Mais nous ne sommes pas en guerre !
- Dans le monde des grandes entreprises, si. Et entre les grandes puissances mondiales, de plus en plus dépendantes de l’informatique, encore plus. Cette nouvelle forme de guerre, à la fois réelle et numérique, à laquelle se livrent toutes les nations a même un nom : la guerre hybride. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle dans laquelle les états comme les entreprises investissent des milliards chaque année, c’est la domination du monde qui est en jeu ! Une domination totale.
- Eh bien, continue d’écrire l’histoire de la guerre, mais laisse-moi en dehors de tout ça ! Moi, c’est la vie qui m’intéresse. Celle que Tom a sacrifiée pour assouvir des rêves de pouvoir et d’immortalité.
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