Le joueur d’Ombre [Prologue]

de Image de profil de Héloïse S. MrchllHéloïse S. Mrchll

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Les hommes tombèrent à genoux dans un claquement de fer, noyant leurs chausses dans la boue rougeâtre. Aucun d’eux n’osait lever la tête, tous gardaient les yeux baissés sur la terre humide dans laquelle ils avaient été jetés, leurs poings enchaînés dans des entraves de fer auquel nul n’avait su échapper. Autour d’eux, les hommes de la reine veillaient, une hampe épaisse surmontée d’une pointe en fer dans la main, une épée recourbée à la hanche, et une hache à double tranchant dans le dos. Sa Magnificence n’avait jamais su plaisanter sur ce genre de sujets. L’un des hommes s’avança vers les prisonniers, les toisa un instant de toute sa hauteur, et se tourna vers l’un de ses subordonnés.

« Allez chercher une corde, solide, ainsi que le cheval de bât. Libérez-le de ses charges et installez-le sous un arbre, dont la branche la plus basse est assez haute pour pendre ceux-là.

— Ne voulez-vous pas plutôt les exécuter, capitaine ?

— Ce sont des contrebandiers, on les pend. »

Le sergent ne chercha pas à discuter plus sur le sujet, il s’éloigna vivement des prisonniers et alla vaquer à ses tâches. Le capitaine, jugeant que les captifs ne fileraient pas en douce, envoya ses autres hommes rassembler les marchandises des contrebandiers. Après un dernier regard pour les prisonniers, il s’éloigna également et supervisa l’installation du noeud coulant à une branche de saule. Gendric Sanfort baissa un peu plus les yeux, les épaules affaissées par le poids de la sentence qui le condamnait. À ses côtés, ses camarades n’avaient guère meilleure mine. Certains, parmi les plus dévots, priaient pour le salut de leur âme tandis que d’autres se lamentaient du sort qui les attendait. Quelque part à sa gauche, l’un des hommes pleurait, geignait dans sa barbe qu’il ne méritait pas ça. Aucun d’eux ne le méritait. Pas pour quelques sacs de blé.

« Il est bien triste de vous voir ainsi. »

Gendric releva la tête et chercha des yeux l’origine de cette voix. Elle n’appartenait à aucun des hommes de la reine, il en était certain. Celle-ci était plus douce, plus suave, plus mielleuse, telle une pomme enrobée de caramel. Un ténor doux, tranquille, guère perturbé par les événements récents, comme si tout le sang versé et qui embourbait la terre n’était qu’une délicieuse mascarade. N’osant élever la voix de peur d’attirer les soldats, Gendric se contenta de survoler du regard chaque endroit à sa portée, à la recherche de celui à qui appartenait cette voix semblant venir d’ailleurs.

« Je suis ici. »

Gendric tourna vivement la tête. À sa droite, un homme s’appuyait nonchalamment contre la cargaison que les soldats avaient confisquée aux contrebandiers, les bras croisés sur la poitrine. Il était plutôt grand, et svelte, et sa posture relativement redressée laissait à supposer qu’il s’agissait d’un homme au statut important. Malgré la fraîcheur de la nuit, il ne portait qu’une chemise de lin fin, aussi grise qu’un nuage plein d’orage, avec comme par-dessus un surcot de cuir noir doublé de gris. Ses chausses, noires, semblaient légères, soutenues aux hanches par une ceinture de cuir argenté. Enfin portait-il une paire d’heusses noires aux pieds, toute une tenue qui lui donnait une allure à la fois étrange et majestueuse.

L’homme se redressa souplement et approcha des prisonniers d’un pas léger, si aérien que Gendric crut l’espace d’un instant que ses pieds ne touchaient guère le sol. L’homme avança dans le plus grand silence, sans la moindre succion de botte dans la terre bourbeuse, et s’arrêta devant le maître contrebandier. Celui-ci leva le nez et planta les yeux dans ceux, gris, de l’étrange inconnu.

« Il est dommage, reprit ce dernier, de finir ainsi malgré vos talents. Remarquables, soit dit en passant. Je connais votre réputation mieux, je crois, que la plupart des gens n’oserait s’en vanter.

— S’il plaisait à m’sire de nous libérer, répliqua le contrebandier, on pourrait encore user d’nos talents.

— Vous libérer… je le peux, certes. Mais que me vaudrait cela ? Qu’est-ce que des hommes tels que vous auraient à m’offrir ?

— Tout, s’empressa de répondre Gendric. Tout m’sire. On s’mettrait au service de m’sire, si ça lui plaisait.

— À mon service ? C’est une proposition intéressante… »

Dans le lointain, l’écho des soldats au retour se fit entendre. Les muscles du contrebandier se crispèrent, et du coin de l’oeil put-il voir ses pairs en roidir de même. L’homme en revanche ne sourcilla guère, aucun tressaillement quelconque ne vint perturber sa posture. Gendric jeta un rapide coup d’oeil par-delà l’homme, à la recherche de ceux de la reine, qui approchaient. Puis il releva la tête.

« Nous ferons tout ce que vous demand’rez, m’sire ! »

Ses pairs hochèrent vigoureusement la tête en signe d’approbation. Une minute durant, l’homme ne bougea toujours pas, scruta de ses prunelles grises celles, plus sombres, du vieux contrebandier. Enfin, un sourire fourbe, presque crochu, étira ses lèvres blanches. Gendric eut à peine le temps de battre des cils que l’homme avait disparu. Désorienté, il regarda tout autour de lui sans trouver trace de l’étrange personnage. Lorsque les soldats revinrent près des prisonniers, ceux-ci baissèrent à nouveau les yeux, cachant leur visage dans l’ombre, comme si cela pouvait faire la moindre différence.

Soudain, un cri déchira la nuit. Tous se figèrent dans le camp. Un deuxième cri retentit. Les hommes de la reine se saisirent de leur lance et bandèrent leurs muscles dans l’attente du combat. Le capitaine s’époumona à la ronde, demanda qui allait là. Nulle réponse ne lui vint, aussi invectiva-t-il ses hommes de se tenir prêts. Alors, sans un bruit, des mains géantes sortirent des ombres et se dressèrent au-dessus du campement. Non pas, pensa Gendric. Les mains étaient d’ombres, à la fois noires et transparentes, s’étirant dans la nuit jusqu’à couvrir la lueur de la lune. Les soldats écarquillèrent les yeux, la peur s’empara peu à peu de leur coeur. Et avant même que l’un d’eux n’eût l’idée de faire preuve de courage, les mains s’abattirent sur la garnison, entraînèrent avec elles les soldats qui s’enfoncèrent dans la terre. Certains tentèrent de s’enfuir, vainement. D’autres mains apparurent, les attrapèrent et les tirèrent avec elles dans les ombres, où ils disparurent à leur tour, corps et cris.

En quelques minutes à peine, tout était redevenu calme, et les seules traces qui subsistaient encore des hommes de la reine étaient leurs chevaux et la corde de potence, qui se balançait doucement au bout de sa branche. Dans un « clic » métallique, les fers qui jusqu’alors entravaient les contrebandiers tombèrent avec un bruit mat dans la boue, laissant leurs poignets aussi libres qu’ils l’étaient avant l’arrivée des soldats. Gendric se releva, immédiatement imité par ses comparses, et se massa les poignets, quelque peu endoloris par les fers. Il regarda tout autour de lui à la recherche des soldats, sans en trouver aucun. Et alors qu’il s’extasiait de ce fait, l’homme qui s’était présenté tantôt réapparut, aussi soudainement que la première fois.

« Satisfait de ma prestation ? » demanda-t-il d’une voix suave.

Gendric tomba à genoux, aussitôt suivi par ses comparses. Il ramassa une dague, à demi dissimulée dans la boue, et la tendit à l’homme en courbant la tête.

« Maître des ombres, nous sommes pour toujours vos obligés. »

Un sourire étira les lèvres fines de l’homme, qui se saisit de la dague avec délicatesse.

« Apprêtez les chevaux, ordonna-t-il, et équipez ceux que vous ne pourrez monter de tout ce qui reste. Nous pourrions en avoir l’utilité. »

Gendric se releva prestement, et d’une voix de tonnerre ordonna à ses hommes de rassembler les chevaux, les vivres et le matériel. Puis il s’inclina devant l’homme, et partit s’occuper des préparatifs du départ. L’homme le regarda partir, puis leva la dague devant lui, et son sourire s’agrandit.

Maître d’Ombre. Cela lui plaisait énormément. Et bien qu’il ne demeurât pour l’instant qu’un joueur, il était certain d’obtenir ce qu’il désirait. Tout ce qu’il devait faire, c’était se montrer patient. Ainsi, les pièces viendraient d’elles-mêmes à lui. N’était-il pas, d’ailleurs, en train d’en contempler une ?

Eh bien, Votre Grâce, pensa-t-il avec grande satisfaction. Êtes-vous prête à jouer avec moi ?

Comme en réponse à sa pique, la dague luisit d’un éclat bleu. Un nouveau sourire s’étira sur ses lèvres.

Et d’une. N’en manque plus que neuf.

D’un mouvement du poignet, l’homme attira les ombres, qui s’enroulèrent autour de la dague. Et lorsqu’elles s’en furent, elles l’emportèrent avec elles.

Que le jeu commence.

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En réponse au défi

Prologue

Lancé par Mickaël Glenn
Un bon roman d'aventure, historique, de SF, fantastique ou autre a très souvent un prologue.
Le prologue est un texte court, plus court qu'un chapitre qui annonce l'histoire en elle-même. Un bon prologue ne rentre pas dans les détails, n'essaye pas d'expliquer non plus, mais donne envie de lire le roman en immergeant le lecteur dans une scène énigmatique et forte en émotions.
Dans ce défi je vous propose donc d'écrire un bon prologue de roman. Si vous avez un projet de roman ce peut être l'occasion d'en écrire le prologue mais vous pouvez l'écrire sans avoir même d'idée de roman.

Commentaires & Discussions

Le joueur d’Ombre [Prologue]Chapitre6 messages | 8 ans

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