Chapitre sept : Je suis un humain./Humanus sum.

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Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent de nouveau et je suivis Wolf. Au bout d'un long couloir aux murs ornés de motifs rappelant l'antiquité dans lequel se trouvait même une sorte de moitié de fontaine d'où un filet d'eau coulait doucement contre un côté du mur, il ouvrit une porte à l'aide d'une carte. Lorsque j'entrai, je pus découvrir une énorme chambre composée d'un grand lit à baldaquin, d'une petite fontaine au centre sur laquelle trônait une statuette de la déesse de la beauté nue, Vénus, qui avait un de ses bras levé vers le ciel en signe de respect. Un canapé à la conception antique était placé près d'une grande fenêtre aux longs rideaux blancs. Une porte était ouverte et donnait sur une immense salle de bain. Je pouvais voir la baignoire pouvant sans doute recevoir plus d'une personne, toujours dans le style antique, qui s'y trouvait en plus d'un lavabo et d'une cabine de douche moderne. Alors que je regardais plus attentivement la jolie fontaine, je remarquai l'inscription qui s'y trouvait :

« Memento mori[1] ».

En la lisant, j'eus soudainement envie de rire. Pour moi, cette inscription pouvait rappeler aux personnes de passage dans cette chambre que la vie était courte et qu'il fallait bien l'utiliser mais elle avait pour but surtout, de rappeler que personne n'était immortel et au-dessus des autres. Et moi, l'esclave, vu comme un objet divertissant et destiné à servir autrui, je me dis que c'était réellement hypocrite. Cette phrase était connue de tous dans la société et j'en connaissais son histoire grâce mon père. Dans la Rome antique, elle fut prononcée par un esclave pour rappeler à des généraux revenus victorieux, de ne pas être envahis d'arrogance. Elle était également symbolique de la vanité et cet aspect-là allait à ravir avec les personnes peuplant cet hôtel ! Le Gouverneur avait décidément, une vision très étrange de sa société parfaite...

-Nathan !

Je sursautai sous la voix autoritaire, totalement absorbé par mes pensées, et me tournai vers Wolf qui me fixait. J'eus la surprise de découvrir qu'il était torse nu, ce qui me fit rapidement revenir à ma réalité. Je ne l'avais même pas entendu se déshabiller. C'est là que je me posai enfin la bonne question : où allais-je dormir ? Pas de panique ! J'allais sans doute dormir sur le canapé. Après tout, aucun dominus[2] n'aurait payé une chambre pour son servo[3] !

-Pas la peine de me regarder avec ces yeux effrayés... soupira-t-il. Nous allons seulement prendre un bain, la baignoire a déjà été préparée. Il faut y aller avant que l'eau ne refroidisse, alors déshabille-toi.

Et sur ses mots prononcés sur un ton calme comme si cela était totalement normal, il partit dans la salle de bain, s'attendant à ce que je le suive. Mon cœur s'emballa sous la peur. Pas question ! S'il tenait à ce que je me lave, je le ferai après lui !

-Nathan, viens ici tout de suite, fit une voix glaciale. Ne m'oblige pas à venir te chercher. À moins que tu ne veuilles que je te déshabille moi-même comme hier soir ?

L'enfoiré.... Non... Il ne s'était pas montré si dur avec moi ces derniers jours ! Alors pourquoi maintenant ? Était-ce dû à mon rejet après cette nuit ? Ou à la perspective de voir son père ? De peur qu'il mette à exécution sa menace, - je n'étais pas idiot, je savais que je n'avais aucune chance dans un corps à corps contre lui, je ne mangeais à ma faim que depuis 3 jours, sans compter qu'il était beaucoup plus imposant que moi... -, je finis par marcher lentement jusqu'à la salle de bain. Il était déjà installé dans la gigantesque baignoire remplie d'eau fumante, de mousse mais aussi de pétales de roses...

-Nathan, détends-toi, je veux seulement que tu profites du bain. Il est déjà tard et je n'ai pas envie que tu attendes que j'ai terminé pour prendre le tien, nous nous levons tôt demain. Je te promets que je ne te regarderai pas, que je ne lèverai pas la tête jusqu'à ce que tu sois caché par la mousse, alors dépêche-toi avant que je ne perde patience. Je ne comprends pas ton excès de pudeur... Je présume que tu n'es jamais allé aux bains publics !

Effectivement, j'y avais échappé jusqu'à maintenant ! Tremblant mais un tout petit peu soulagé de voir qu'il ne regardait effectivement pas vers moi, je me déshabillai et finis par entrer dans l'eau chaude à l'opposé de Wolf en faisant attention à ne pas le toucher, ce qui ne fut pas dur, vu la grandeur de la baignoire ! Une fois que je fus bien installé et caché par la mousse et les pétales mais également aussi rouge qu'une tomate bien mûre, Wolf finit par relever la tête et poser son regard sombre sur moi.

-Alors, ce n'était pas si terrible ! dit-il avec un léger sourire moqueur.

Je ne répondis rien et savourai la sensation de l'eau sur mon corps. Je m'autorisai même à m'amuser un peu avec la mousse blanche et les pétales en essayant d'ignorer le plus possible la présence d'un autre homme nu dans le même bain que moi, même si ce n'était pas facile parce que je sentais son regard. Je sursautai donc violemment lorsqu'une main se posa sur la mienne qui jouait sur la surface de l'eau. Je rencontrai alors ses yeux et constatai qu'il s'était rapproché...

-Il va être temps d'aller se coucher.

Sur ces mots, il me lâcha et sortit devant moi, ne se souciant absolument pas de sa nudité. Je ne pus m'empêcher de lorgner sur son dos puissant, ses bras musclés et ses fesses fermes... Heureusement, il ne me vit pas et j'espérais de tout mon cœur qu'il n'avait pas senti mon regard sur lui mais je vis bien son sourire en coin alors qu'il entrait dans la cabine de douche. Merde...

Je restai dans la baignoire jusqu'à ce qu'il termine de se rincer et de se préparer, et sorte enfin pour aller dans la chambre. Là seulement, je sortis de l'eau qui commençait à devenir tiède, appuyai sur le bouton pour la vider et me dépêchai d'aller me rincer à mon tour. Enroulé dans une serviette autour de mes hanches, en plus d'une autre sur mes épaules, je retournai vite fait dans la chambre prendre dans ma valise un t-shirt, un pantalon de pyjama, un boxer et des chaussettes en ignorant comme je le pouvais, Wolf qui était déjà couché. Une fois vêtu et les dents brossés, je partis tout naturellement m'allonger sur le canapé qui avait l'air confortable.

-Qu'est-ce que tu fais ?

Je sursautai de nouveau sous le ton glacé de mon domini[4].

-Je.... Je me couche...

-Sur le canapé ? Vraiment ?

Je ne répondis pas, figé par le ton froid de sa voix, me contentant de le regarder sans comprendre. Et je le vis soulever la couverture.

-Viens.

Mon cœur s'affola de nouveau. NON, NON, NON !

-Non... dis-je en tournant la tête de droite à gauche.

Je vis alors Wolf se redresser dans le lit, les traits de son visage s'étaient considérablement durcis et je constatai qu'il était torse nu. Il ne devait pas avoir l'habitude qu'on lui oppose un refus si je me fiais à son visage. Et un refus venant d'un esclave, c'était l'insulte suprême...

Il ne dit plus rien mais se leva. Je remarquai qu'il portait heureusement un pantalon de pyjama. Sa nudité m'aurait gêné et aurait été plus que mauvais signe. En avançant, Wolf me sembla sur le moment, aussi féroce que son tatouage. Il marcha rapidement vers moi qui me recroquevillais sur le bord du canapé. Tout ce que je pus faire était de continuer de dire « non » de la tête, complètement paniqué. Sans évidemment prendre en compte mon refus, il me souleva comme si je ne pesais pas plus qu'une plume.

-NON ! LÂCHEZ-MOI ! LÂCHEZ-MOI ! JE NE VEUX PAS !!

Je gigotais dans tous les sens mais rien à faire. Mes larmes coulèrent abondamment sur mes joues. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me retrouvai sur le lit.

-NATHAN.

Sous la voix autoritaire, je me calmai sur le coup et ouvris mes yeux que j'avais fermés parce que je ne voulais pas le voir. Si je ne le voyais pas, alors ce serait comme si ce n'était pas réel, non ? Je pus constater à travers mes larmes que Wolf était au-dessus de moi mais ne me touchait plus.

-Je ne vais rien te faire, m'affirma-t-il en essuyant mes joues.

Il fit ensuite quelque chose qui me stupéfia complètement puisqu'il rabattit la couverture sur moi et s'allongea un peu plus loin dans le grand lit, me laissant de l'espace, avant d'éteindre la petite lampe de chevet. Il me tourna le dos et alors que sa respiration se faisait plus calme, je finis peu à peu par me détendre. S'il avait voulu me violer, ne l'aurait-il pas déjà fait plutôt que de me tourner le dos ? Sur cette réflexion et épuisé par toutes mes émotions, je finis par fermer les yeux et m'endormir.

Le lendemain matin se passa calmement. Le petit-déjeuner nous fut servi dans la chambre et j'eus encore la surprise de manger à la même table que mon domini[5]. Il me laissa aller dans la salle de bain, seul cette fois, pour prendre une douche rapide et il fit de même. Je sentais qu'il y avait comme une gêne entre nous, alors nous ne parlâmes pratiquement pas. Le trajet en voiture fut également dans le silence. Au bout de quelques heures durant lesquelles je pus encore tranquillement profiter du paysage, nous arrivâmes dans une petite ville remplie de belles fontaines et de bâtiments au style antique faits de jolis arcs et de colonnes.

Il devait s'agir d'une de ces nouvelles villes construites pour célébrer le nouveau gouvernement qui s'était mis en place durant mon enfance. Je ne fus donc pas surpris de voir quelques hommes en toges blanches et des femmes en robes à la mode antique marcher vers le plus grand bâtiment sans doute de cette ville. Un loup était gravé dessus. La famille Wolf... Le père de l'homme qui m'avait acheté devait être quelqu'un d'important pour travailler ici !

Sans surprise, je suivis mon dominum[6] jusqu'à l'entrée de ce bâtiment dont le grand hall contenait une énorme voûte que je pris plaisir à détailler. Elle était composée de belles gravures et de peintures représentant des moments importants de ce qui constituait notre société : l'agriculture, l'apprentissage, le gouvernement formé par des membres de la secte ayant renversé le pouvoir, etc. Et tout cela convergeait jusqu'à un point ultime : le Gouverneur.

Après être entrés dans l'ascenseur, - eh bien oui, le Gouverneur avait certes, remis la décoration et l'architecture antiques au goût du jour mais il avait tout de même gardé la modernité acquise au cours de ces dernières générations, même pour les maisons et bâtiments qu'il avait faits construire -, nous montâmes plusieurs étages et les portes finirent par s'ouvrir sur un énorme bureau dans lequel se trouvait un homme brun se tenant debout et tourné vers la vitre qui donnait sur la ville. Son allure me dit quelque chose et mon cœur s'accéléra. En nous entendant, il se tourna vers nous et mes craintes se confirmèrent.

Alors que mon cœur se serrait et que la haine prenait possession de chaque parcelle de mon corps, me faisant me rappeler du jour où mon existence avait basculé, des hurlements de ma mère, des supplications de mon père et des pleurs de ma petite sœur, je découvris avec effroi dans quel endroit je venais de mettre les pieds. Sous mes yeux se tenait l'homme qui avait détruit ma famille, celui qui avait détruit ma vie : le Gouverneur Wolf...

[1] = « Souviens-toi que tu vas mourir. »

[2] Nominatif singulier de "dominus"=maître.

[3] Datif singulier de "servus"=esclave.

[4] Génitif singulier de "dominus"=maître.

[5] Génitif singulier de "dominus"=maître.

[6] Accusatif singulier de "dominus"=maître.

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