II. 2 - Mutinerie.
Les jours passèrent et bientôt les ventres hurlaient d’appétit. Les soupes à l’oignon de Seraya et les patates moisies ne suffisaient pas à remplir correctement les panses. De plus, il fallait compter encore un jour de marche pour rallier Rothegonie, s’il parvenait à ne pas ralentir le rythme déjà infernal… Le moral se trouvait donc au plus bas. Plus personne n’entendait Nalric cependant, il était dans un tel état de colère qu’il fermait la marche en marmonnant des choses incompréhensibles.
“ Il devient fou ? demanda un bleu, inquiet, à Rendan.
— Non, il s’essaye à la sorcellerie, je crois.”
Cependant Nalric était loin d’être le seul mécontent de la situation. La faim, la fatigue et l’apparition de la pluie finirent par donner des idées impensables quelques jours avant à certains. Ce fut le cas chez la bleusaille. Quand une horde recrute, cela ne peut être qu’une seule personne à la fois, dans ce cas elle se force à s’intégrer aux membres déjà présents… Mais il arrive, plutôt souvent avec une horde d’expérience, que ce soit par paquet ; et là, le souci de l’intégration est tout autre, les bleus arrivent ensemble, donc restent ensemble. Pour les Lames d’Extrême Ouest, le cas s’avérait vrai. Les membres d’expériences, bien ancrés dans la horde, ne se souciaient guère (ou que trop peu) des petits nouveaux. Ces derniers se regroupaient alors, encore plus en temps de crise. Ils étaient cinq, depuis la matinée, à se tenir en retrait, non loin de Nalric, et à discuter en zieutant parfois quelques supérieurs. Seuls Grem, fraîchement surnommé “Qu’un bras”, et Dolmak qui bavardait avec Rendan semblaient prendre leur mal en patience. De plus, la perte de trois bleus en l’espace de peu de jours avait ajouté du mécontentement au sein de la bleusaille. L’un d’eux fit le mauvais choix qu’il crut le bon sur le moment ; il sortit une dague et attrapa Nalric, il posa la pointe sur son cou côté jugulaire (à peu près, ses compétences en matière d’anatomie pouvant être discutables).
“ Oh là ! Bande de bouseux !”
S'écria-t-il alors que ses quatre comparses sortirent également leurs armes.
“ Lâche-moi, foutre dieu, avant que je ne te massacre ! pesta Nalric, loin d’être intimidé.
— La ferme, la grincheuse !”
La horde se tourna, il ne manquait plus qu’une mutinerie pour magnifier cette journée. Ils ne sortirent pas les armes de suite, cependant.
Le commandant s’approcha, mains dans le dos. Antorn Chafferly ne quittait jamais ses origines ; né dans un Royaume de l’Est, d‘ascendance noble, il jouait de son savoir sur les étiquettes en toutes circonstances. Impeccable, droit et lettré, il prenait la tête de la horde de manière naturelle et d’aucun n’osait remettre ses compétences en question. Un magnifique bretteur, qui excellait davantage en diplomatie. Muni d’un tact légendaire, peu l’avait déjà vu perdre la face en joute verbale. La tête levée, présure théâtralement, il toisa les mutins avec arrogance.
“ Allons, messieurs, vous n’avez même pas de cartes et aucun rationnement, cessez votre char et je passerai l’éponge sur votre audace. ”
Ils parurent un instant hésitants, l'un d’eux, Jack, prit la parole pour le groupe.
“ Alors file nous la carte et un cheval en échange de la vie de ton caporal.
— Vous ne sauriez pas la lire. Non, ce n’est pas un marché convenable, même pour vous. Que diriez-vous plutôt d’un échange d'otages ?”
Nalric eut un profond soupir, puis une grimace, alors que le bleu le menaçant de la pointe de sa dague l’enfonça davantage.
“ Et qui donc tu nous proposes ?
— Nalric contre moi même, j’ai plus de valeur et bien plus de compétences, je pourrai vous mener à bon port ; n’y comptez pas trop avec le marmot que vous venez d’attraper.
— Va te faire foutre ! cracha le marmot en question.”
Jack ne chercha même pas l’approbation de ses partenaires, l’offre ne pouvait être plus alléchante, il sortit sa dague et s’approcha.
“ Pose tes armes et je te récupère.
— Voilà l’ordre des choses, cher Jack, je me déséquipe, tu t’approches, vous libérez Nalric et, en même temps, tu me récupères, cela te convient il ?”
Le novice réfléchit un court instant, cherchant la petite bête, l’embrouille dans l’affaire, mais il devait s’y résoudre : il ne pouvait qu’être gagnant, alors il hocha la tête. Le commandant ôta alors son baudrier qu’il posa soigneusement à ses pieds, puis décrocha sa dague. Chaque geste respirait la tranquillité et la lenteur, ce qui agaçait profondément son interlocuteur.
“ Bouge !”
Quand enfin il fut nu de toutes armes, Antorn leva les bras en l’air et lui fit dos ; Jack s’approcha et d’un geste de main ordonna la libération de Nalric. Cependant, il n'eut pas le moindre moment de victoire alors qu’un goût d’acier s'imprégnait de sa bouche, ainsi qu’un vif mal de gorge. Le son de l’air traversé par la pointe d’une flèche ne lui vint aux oreilles qu’après, ce fut la dernière pensée qu’il eut.
Gwynneth se dépêcha d’en encocher une deuxième, tandis que Nalric attrapa le bras du bleu, l’ayant tenu pour le tordre. Il attrapa la dague qui tombait de ses doigts et la planta sans aucune hésitation dans la nuque du mutin. Les deux autres, tout lâches qu’ils furent, tentèrent de déguerpir. Une flèche transperça la cheville droite de l’un d’eux, qui s’écroula et beugla. L’autre sentit des serres s'agripper à ses épaules et le soulever dans les airs avant de le relâcher à quelques mètres, ne lui laissant que le plaisir d’écouter ses os se broyer sous la puissance de mère gravité. Le gigantesque rapace piaffa sa victoire à son maître Reynir tandis que Gwynneth rangea son long arc dans son dos. Antorn s’approcha du dernier, qui se lamentait à terre, la cheville distordue et pissant l’ocre. Sans autre forme de procès, il brandit sa lame et l'abattit sur le crâne du mutin, ne lui laissant plus qu’une pêche en guise de crâne.
Grem et Dolmak détournèrent les yeux du massacre. Dallen ne manqua pas de les prendre de revers.
“ Ressentez-vous aussi le besoin de vous rebeller ?
— Ah ça, nan ! Z’êtes pas des rigolos, vous ! s’exclama Dolmak.”
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