Le Médaillon

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Je descends du train et je pose enfin mes deux valises sur le quai de la gare à Concorès. Bon débarras ! Ville de malheur ! Plus vite j’étais parti, mieux c’était ! Et cette pauvre dame qui m’avait parlé l’autre jour au café, qu’est-ce qu’elle avait bien voulu dire par ses mots ? « Prends garde à toi, méfie-toi de quiconque te parlerais, et surtout, ne te retourne pas ».

C’est alors que petit à petit l’intégralité de mon séjour me revenait à l’esprit.

Cette dame, je l'avais croisé plus qu’une fois.

Le premier, c’était au café, le jour même où j’étais arrivé. Elle m’avait donné son avertissement et moi je ne l’avais pas écouté, mettant les écouteurs aux oreilles et scrollant de plus belle sur mon téléphone.

Puis comme elle insistait et que moi je ne la regardais pas, je m'imaginais qu’elle ne m’aimait pas. J’en connaissais des petites personnes qui n’aimaient pas les étrangers. Moi avec mon gros nez, mon teint basané, mes mains poilues, je m'imaginais lui avoir fait peur. Alors d’un coup, je relevai le menton.

— Je vous demande pardon ?, lançais-je à son intention.

Mais à cet instant, je me tournai et me retournai : la vieille dame était partie.

Le lendemain de mon arrivée, j’étais allé voir le notaire à l’adresse que m’avait indiqué ma mère. On m’installait dans son bureau. J’attendis. Le notaire arriva, me salua et toute la journée, on parla affaire.

J’étais plus que confortable dans son petit bureau de campagne, bien tranquille. Ce n’était pas Paris, ça faisait du bien. Pas de cris d’enfants dehors, pas de voiture, et pas de pollution pour m’enfumer les poumons. Tout était mieux ici. Pourquoi maman était partie d’ici ? Pour étudier à Paris ! Elle rigolait, elle aurait pu revenir ici pour me faire naître. Ce n’était pourtant pas si difficile…

— Signez s’il vous plaît !

C’était le notaire, et il me regardait.

— Pardon Monsieur, je ne vous écoutais pas !

— Le document, signez s’il vous plaît !

Si vite quand même… Ou bien je m’étais perdu deux bonnes heures dans mes rêveries, ou bien décidément le notaire voulait me céder le bien au plus vite.

— Mais c’est tout ? Enfin je veux dire, vous ne me demandez pas mes documents ?

Je m’étais donné du mal pour ces documents, il avait fallu faire des demandes à la mairie, faire des formulaires à rallonge etc.

— Hein pardon ? Ah oui les documents !, relança le fonctionnaire.

Et le notaire prit un semblant de son attention pour lire les fameux documents.

— Au passage Monsieur, connaissez-vous la vieille dame qui…

— Hein pardon ?

— Non laissez tomber…, finis-je par dire.

Il me regarda un instant de son air blasé, laissa tomber la chose, puis sortit quelque chose.

Le médaillon ! Le fameux médaillon de famille que ma mère m’avait demandé de chercher.

J’avais sous mes yeux un morceau d’argent vieilli attaché à un ruban. C’est comme ça que ma mère l’avait décrit. Le notaire le prit dans ses mains, me le tendit. Et là, étrange ! Je ne distinguai ni figure, ni emblème, ni quoi que ce soit.

En réalité, j’avais sous les yeux des motifs parfaitement abstraits. Oui, parfaitement abstraits. Les motifs se déployaient en un enchevêtrements de lignes fines et sinueuses, formant des entrelacs et des arabesques d’une précision inouïe. Même les circuits cartes à puces n’étaient pas gravés aussi précisément, et je savais de quoi je parlais, l’informatique, ça me connaissait. Je n’arrivai en tout cas pas à croire que quelqu’un est un jour fait un tel effort pour quelque chose d’aussi… harmonieux… étrange… séduisant…

— Monsieur, vous m’écoutez ?, dit soudain le notaire.

— Oui !, dis-je en redressant le dos.

— Voilà vos documents, bonne journée.

Et il me tendit le médaillon dans un mouchoir que j'attrapai aussitôt pour le fourrer dans ma poche.

— Bonne journée.

Je sortis dans les rues. la chose réglée, il me restait quelques jours encore pour mon séjour, histoire de découvrir un peu. Je vis un café sur le bord de la route, et inspiré, je m’installais pour coucher quelques mots poétiques dans mon carnet.

Une cité sans fin s’étendait à l’infini

Le firmament lactescent s’étendait en tournant

Le guerrier à la crinière…

La mine de mon crayon se brisa. Flûte de de flûte ! Zut de zut ! Mince de mince ! Je fouillai dans mes poches. J’en sortis une collection de carnets, des feuilles de brouillon, mais ni stylo ni crayon. J’étais désoeuvré.

Il y avait un peu de monde tout autour. En particulier, une femme âgée en face de moi prenait son café sur matin. À Paris je n’aurais jamais osé mais ici, une petite dame en campagne, tu l’appelais « mamie » ou « tantine », et elle t’offrait le gîte et le couvert.

D’une pierre deux coups !

— Hé tantine ! Dis-moi, tu n’aurais pas un crayon ?

La vieille dame se retourna. C’était la même qu’hier.
Ses yeux étaient deux disques en forme de lunes avec au fond une trace une trace bleuâtre. Son visage était si pâle qu’on peinerait à imaginer qu’elle était du coin, ou même de cette planète. C’était fou ! Et puis des mains si grandes, si grandes, si disproportionnées qu’on aurait dit celle d’un boucher, de quoi te tordre le coup si elle le voulait vraiment.

— Oh Madame, j’essayai d’être gentil…. Vous allez bien Madame ?

Car, quand même, son teint était si pâle…

— Pars d’ici !

— Madame, je demande si vous allez bien ? Vous voulez que j’appelle quelqu’un ?

— Pars d’ici, Satan !

Si le cornu logeait au fond de la fosse des Mariannes, une voix comme ça aurait pu en sortir.

La vieille dame était possédée.

— Pars d’ici, on ne veut pas de toi chez nous !, renchérit-elle.

Et pour marquer le coup, elle se leva. Et moi, je me jetais en arrière, et laissant tout sur la table de café, et partit en courant. Quelques minutes plus tard, je me retrouvai à tambouriner à la porte du notaire. Sauf que malheur pour moi, personne ne répondit.

Me voilà ainsi à demi-mort au seuil d’une grande porte, les mains jointes et les yeux fermées.

Une main se posa sur mon épaule.

— Du soucis ?

Le notaire me dévisageait les mains croisés, l’air un peu renfrogné.

— Au café ! De l’autre côté ! Oui du soucis ! Avec une dame âgée !

— Mais qu’est-ce qui se passe ? Il y a eut un accident ?

— Oui oui ! Enfin… non non !

—- Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Je… je !

—- Ne répondez pas, je sais.

Maintenant le notaire souriait, une main sur la bouche. Puis soudain l’autre main me désigna ma poche.

— Je peux ?, demanda-t-il.

Il n’attendit pas ma réponse et se pencha vers moi. Sa main tritura ma poche et en sortit le médaillon qu’il m’avait donné tout à l’heure. Il se pencha alors vers moi, ses lèvres presque à mon oreille.

— Vous savez Monsieur, ce médaillon que vous avez, il a quelque chose de très spécial…

Alors que cependant il s’apprêtait à me répéter l’histoire de ma mère, à savoir que le médaillon, c’était celui de mon arrière-grand-père qui l’aurait demandé à on ne sait qui pendant la guerre, on entendit un un bruit.

Des chiens. Manifestement, ils se rapprochaient.

— Hé mais attendez ne partez pas, j’avais quelque chose à vous dire encore !

Le notaire je l’entendis, mais trop tard, j’étais déjà loin.

J’errais à nouveau dans les rues, ne sachant où aller, ne sachant où fuir. La vieille dame ! Le médaillon ! Les chiens !

La peur me taraudait et je partis férocement vers le moulin.

Le moulin de Concorès. Un chef d'œuvre d’une autre époque ! Usée maintenant, les roues à aube aujourd’hui immobiles, enveloppées par une végétation luxuriante, des fleurs sauvages poussant à ses pieds.

Mais moi, le chef d'œuvre, ce n’est pas ça que je regardai. Je sentis comme un frisson glacé me parcourir l’échine. Un instinct me poussa à me retourner, brusquement.

Elle était là.

Ses yeux perçant me fixaient avec intensité, deux yeux aussi grands que la lune.

Elle m’avait suivi.

Dans ses mains, un fusil de chasse. Elle me mettait en joue. Cette fois-ci, ses mains ne tremblaient pas.

— Un pas de plus et la foudre cosmique s’abat sur ta tête, fils du démon !

Le fusil de chasse. Les yeux en forme de lune. Le visage pâle. Et puis les chiens.

À côté d’elle. Deux chiens, deux molosses d’un beau gabarit. Et, à leurs yeux, je compris qu’ils avaient faim, la petite vieille aussi.

Le temps se figea.

Et je sortis le médaillon.
Puisque c’était ça le problème, n’est-ce pas ?

***

L’horloge sonna 18 heures et l’air frais commença à entrer par la fenêtre. Le notaire étant un peu frileux, et puis ne voulant pas faire refroidir son café, il daigna se lever.

À ce moment, il pensa à ce petit jeune homme qu’il avait croisé tout à l’heure, qui avait l’air tout pâle, tout paniqué. Une chochotte, lui, c’était sûr.

Il regarda tout de même dehors, on ne sait jamais, peut-être qu’il l’apercevrait avant qu’il parte à tout jamais.

À travers la fenêtre, un cauchemar vivant se déployait. Des chiens dévoraient un à un les habitants. Des hurlements des chiens affamés s'entremêlaient avec les cris étouffés des malheureux qui succombaient à leur fureur insatiable. Les crocs. Les lambeaux humains. Les cris de terreur. Tout vacillait dans ses yeux. Il vit Jeanine, Jeanine qu’il avait croisée tout à l’heure, Jeanine enfin ce qui en restait : de son corps, seuls ses deux grands yeux, grands comme la lune, étaient intacts. Les chiens l’avaient mangé.

On tambourina à sa porte.

Trop tard pour verrouiller. Trop tard pour s’enfuir. Très bientôt ce serait son tour.

Soudain, notre notaire mit la main à sa poche.

Il en sortit un mouchoir.

Et dans le mouchoir, le médaillon.

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