Grotte et réconfort
Ce gauche de champion l’avait entrainé dans sa chute. Owen était trempé et irrité. Les culbutes avaient réveillé toutes les blessures de son corps. En canon, elles s’étaient mises à chanter leurs déboires et, les dents serrées, Owen tentait de les supporter.
A peine eut-il franchi le seuil de la grotte, qu’il tomba sur le ventre. Aurore s’élança pour le rattraper, mais trop tard. Tandis qu’il sentait les mains agiles de la jeune fille le palper, il essaya de la rassurer. Il était seulement… éreinté par la bataille et le voyage.
La fatigue prit finalement le dessus, puis l’emporta dans les méandres du rêve.
Lorsqu’il rouvrit les paupières, Owen était adossé au mur rugueux de la grotte. Il était dévêtu, du moins de son armure, et enrubanné comme l’une de ces momies des pays méridionaux. La douleur s’était quasiment dissipée, et seuls quelques échos vibraient encore dans ses plaies.
Un foyer brûlait dans la grotte. Son crépitement était inaudible sous le martèlement de la pluie battante. Théodore, sur une pierre attenante au feu, s’attelait à la cuisson d’un large morceau de viande saignante, duquel émanait une savoureuse senteur. Il fit un signe à Aurore, pour l’avertir que le chevalier s'éveillait.
— Vous étiez en piteux état, commenta la jeune fille en se dirigeant vers Owen. C’est à se demander comment vous avez tenu jusqu’ici sans y laisser votre peau. Cela ne vous est pas venu à l’idée de nous préciser que votre corps ressemblait à une outre percée.
Owen grogna une réponse inaudible. Il n’avait pas de remontrances à recevoir de la part d’une gamine. En agitant sa mâchoire mollement, il réalisa que le goût de ferraille entre ses molaires s'était presque complétement évaporé.
— Je vous ai recousu. Enfin… j’ai fait ce que j’ai pu. Je possédais un peu de matériel rudimentaire dans son sac. Pour votre œil, il n’y avait pas grand-chose à faire de plus, en revanche. J’ai également appliqué des cataplasmes sur vos ecchymoses et vos lésions. Vous devriez pouvoir reprendre la route dès demain.
— Merci, fit Owen après avoir surmonté sa muraille d’orgueil.
— Je croyais m’être prémunie du danger en m’entourant de deux guerriers pour cette expédition. Je me retrouve à choyer deux bambins grincheux.
Owen protesta et Théodore leva les yeux de la viande, mais aucun ne contesta véritablement ses dires. Pour l’instant, ils n’étaient que des poids morts. Mais lorsque les vraies embûches commenceraient, elle serait bien contente d’avoir deux virtuoses de l’épée à ses côtés.
Le chevalier remarqua que le champion portait lui aussi des bandages sur ses lésions. Parviendraient-ils vraiment à vaincre des Worgros dans cet état ? Owen éluda ses doutes en pensant à la pluie à l'extérieur et à leur route prochaine.
Ils mangèrent sans beaucoup parler. Owen brisa le silence une fois pour s’enquérir de la provenance de la viande. Des dépouilles de fenns étaient répandues autour de la grotte, répondit la jeune fille. Les animaux n’avaient pas été chassés pour leur viande. Leurs corps étaient intacts, en un sens. Les Worgros les avaient décimés puis s’étaient en allés.
A la fin du repas, le déluge avait cessé, emportant son tambourinement dans le lointain de la vallée. Le feu avait réchauffé les corps et adouci les cœurs. Pendant ce moment de paix, Owen ne se sentit plus sous la pression constante d’être en présence d’un adversaire. Le champion, quant à lui, faisait profil bas. Il se massait tranquillement le genou, grimaçant à quelques reprises.
Ce fut également à cet instant qu’ils perçurent pour la première fois le couinement d’un animal au fond de la grotte. La cavité devait s’enfoncer profondément dans le pan de colline, mais les trois voyageurs ne s’étaient pas aventurés bien loin : un éboulement barrait le tunnel.
— On dirait un chiot, suggéra Aurore.
— C’en est un, confirma Owen en se levant. En quelque sorte. Il s’agit des cris d’un fenn. D’un tout jeune fenn.
Aurore s’orienta vers sa besace et s’équipa d’un flacon de résine de pin. En un tournemain, elle fabriqua une torche avec un morceau de tissu imbibé de poix et un bâton de bois dérobé dans le feu de camp. Owen l’attendit pour progresser dans les ténèbres tandis que le champion restait immobile dans la lueur jaunâtre.
Après quelques enjambées, ils se heurtèrent à l’épais amoncellement de rochers. Les cris d’appel de l’animal avaient crû à l’approche des deux humains. Percevait-il leur présence ? Oui, indéniablement. Owen connaissait le comportement de la plupart des bêtes de ce monde. Il pouvait donc affirmer, sans risque de se tromper, que le fenn couinait pour les attirer.
— Déplaçons ces blocs de pierre. Avec un peu de chance, l’animal trouvera une ouverture pour s’échapper.
— Théodore, pourriez-vous nous apporter votre aide ?
— Evidemment. J’arrive.
Ils n’eurent à retirer qu’une dizaine de rochers pour que l’agrégat perde sa solidité et s’effondre à leurs pieds. Une large brèche s’ouvrait à présent à eux. En avançant la torche, Aurore eut un aperçu de ce qu’il se trouvait à l’intérieur de cette cavité.
La jeune fille poussa un cri de stupeur et recula derrière les deux guerriers. Théodore tenta de la réconforter alors qu’Owen lui empruntait le flambeau pour voir à son tour ce qu’elle avait entraperçu. Alors il comprit. L’éboulement s’était fendu d’une faille donnant sur un charnier sans nom.
Annotations