La brèche

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 Leur progression dans la forêt ne plut pas à Aurore. Et elle ne s’en cacha guère. Sans cesse, elle se plaignait de ne pas profiter du pépiement des oiseaux ou du froissement des feuilles au passage d’un renard.

Théodore la comprenait aisément. Mais Owen semblait sur le point d’exploser. C’était un baroudeur coutumier de la solitude. Le silence devait être son royaume.

Par-delà le feuillage grisâtre, des nuages s'amoncelaient dangereusement. Théodore peinait à avancer sur le sentier cabossé par les racines. Néanmoins, Owen se montrait intransigeant. L’allure qu’il imposait prouvait qu’il s’était habitué à la privation de son œil.

L’arrivée d’un orage ne lui plaisait aucunement, et il préférait avoir atteint la forteresse avant les premières gouttes. Insoucieux des difficultés du champion, il guida la troupe en dehors des chemins tracés par des siècles de passage. Selon lui, ils atteindraient ainsi la construction humaine plus promptement.

Le moral allait pour le mieux, jusqu’à ce que le premier éclair frappe non loin et fasse sursauter la jeune fille.

— Il ne s’agissait pas d’un éclair, rectifia Owen après la remarque d’Aurore.

— Qu’est-ce qui est capable de produire un tel bruit ? s’enquit l’adolescente, inquiète.

— Une explosion de poudre noire, suggéra Théodore.

— Il se pourrait bien que le champion ait raison.

Ils ne se doutaient pas encore à quel point ils se trompaient.

En poursuivant leur route, une appréhension certaine s’empara du trio. Ils se rapprochaient des éclats tonitruants. Ce pouvait-il que ce grondement provienne de la forteresse des magiciens, s’inquiétait la jeune fille. Sans ambages, Owen confirma cette possibilité.

Il était en effet possible qu’ils soient en train de se jeter au cœur d’un champ de bataille.

Les trois voyageurs suivaient un sentier, qui serpentait sur un talus aux abords d’un ruisseau, lorsque qu’ils obtinrent enfin la réponse à leurs interrogations. Dans les airs, une brèche déchira la réalité. Un brasier incandescent irradia leur visage et cracha des flammèches menaçantes.

Théodore et Owen avaient déjà assisté à ce phénomène, sur la plage ouest juste après la disparition de la magie. Le chevalier se jeta à plat ventre tandis que Théodore se ruait sur Aurore pour la protéger. Il ne fut pas assez vif, à cause de sa maudite jambe.

Deux éclairs écarlates jaillirent de la faille ardente, produisant un vacarme sans nom. L’un rompit un tronc de conifère ; l’autre éclata la terre du talus, sous les pieds d’Aurore. La jeune fille perdit l’équilibre et chuta le long de la pente.

N’écoutant que son courage, Théodore se précipita à sa suite. Durant la descente, sa jambe fébrile faillit lui faire défaut à multiples reprises, mais elle tint finalement bon. En bas, il constata que la jeune fille s’était heurtée à un caillou. Sa tempe saignait, mais de façon bégnine. En revanche, elle était inconsciente.

Si un éclair la frappait, il réduirait son corps en charpie. Peut-être que l’armure du champion encaisserait le choc ? Décrétant que cette solution était la meilleure, Théodore se plaça à quatre pattes au-dessus de l’adolescente. Il rentra sa tête entre ses épaules et ferma les yeux en attendant la fin du cauchemar. Un hurlement strident vrombissait dans ses oreilles. Il n’entendait que ce sifflement insupportable et ne parvenait plus à réfléchir. La douleur l’hébétait.

La brèche vitupéra de nouveau et régurgita sa bile flamboyante. Théodore se demanda alors si ce cauchemar prendrait véritablement fin. L’envie de prendre ses jambes à son cou et de laisser la fille évanouie derrière affleura ses pensées. Non ! Définitivement, non. Il ne pouvait pas. Même si un éclair le touchait, son cadavre abriterait encore Aurore. Protecteur était son rôle ; il le resterait jusqu’au bout.

Soudain, une main ferme s’empara de son bras. Théodore se risqua à lever les yeux.

Owen.

Il se dressait là, devant lui. De sa deuxième main, il lui ordonnait de se relever. Un trait de foudre frappa non loin, dans le dos du chevalier. Celui-ci ne broncha que vaguement face à la colère de la magie.

Théodore se mit debout, puis il aida Owen à mettre Aurore sur ses épaules. De par sa stature plus massive, le champion aurait dû se porter volontaire pour transporter la jeune fille. Mais à l’évidence, à cause de sa jambe, il aurait eu plus de difficultés que le chevalier.

Sous les rugissements de la brèche incandescente, les hommes coururent le long du ruisseau à en perdre haleine. Par chance, ils ne croisèrent pas d’autres failles cracheuses d’éclairs sur leur chemin. Ils se terrèrent sous une souche démesurée, et à moitié extirpée du sol.

Là, ils patientèrent jusqu’au réveil de la jeune fille. Quand elle ouvrit les yeux, elle palpa la plaie sur sa bosse et geignit. Rien de grave, diagnostiqua le chevalier. Ils pourraient reprendre la route sous peu.

— On aurait dit un portail vers un autre monde, analysa Aurore en se passant de la pommade sur sa lésion.

— C’est exactement le cas, fit Théodore. La magie appartient à un autre monde. Grâce au Lion, nous parvenons à nous l’approprier. Lorsque la magie s’est évaporée, durant l’affrontement, celle qui était présente dans notre monde a creusé des portails pour retourner à sa source.

— Quand je me suis réveillé, après la bataille, de nombreuses failles de moindre envergure étaient encore ouvertes, corrobora Owen.

— Oui, je les ai vus également. Ces portails doivent prendre un certain temps pour se clore entièrement. Dans tous les cas, l’ouverture de ces brèches ne peut signifier qu’une chose : la magie est toujours active dans cette forêt.

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