A l'intérieur de la tornade

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Avant même que Théodore ne comprenne ce qu’il se passait, une clé de bras l’immobilisa et le contraignit à plonger la tête la première dans les gravillons. Owen, dans une position équivalente, le gratifia d’un sourire sardonique.

Un piège. Leur précipitation les y avait allègrement entrainés.

Ce guêpier revêtait le pire aspect qui soit : une garnison de Worgros. Un instant, le champion voulut crier de ne pas entrer dans le tourbillon mais il se ravisa en croisant l’œil réprobateur d’Owen. Mieux valait que ces monstres croient que l’intégralité des ennemis se soient jeté dans la gueule du loup. D’ailleurs, que fabriquait cet escadron ici ? Le reste de la horde devait suppurer des montagnes comme d’une plaie infectée pour se répandre dans les plaines d’Yvrefleur et de Méridian.

Un corps rebondit lourdement au sol, juste devant les deux prisonniers. Inerte, le visage livide et les yeux vitreux. Théodore l’identifia tout de suite. Il s’agissait du lieutenant Pierre de Mirilis.

Le bruit sec de sa dépouille brisée anima la liesse dans les rangs worgros. De la bave s’écoula d’entre les crocs du barbare en califourchon sur Owen et atterrit dans la nuque du chevalier. Ces Worgros arboraient un aspect distinctif par rapport aux individus ordinaires de cette race. De leurs pupilles noires affleuraient une avidité impétueuse pour la violence et de leurs iris émanaient des filaments évanescents d’un vermeil subtil. Ils abritaient une chose en eux. Une chose qui exhalait de leurs yeux.

Un Worgro plus énorme encore que les mastodontes se planta devant les deux hommes. Ses orbites ne projetaient pas d’ondoiement éthéré, mais une vapeur ensorcelante et doucereuse s’échappait de ses pores. De plus, au lieu de garder son armature de métal sous sa peau comme ses compères, il se cuirassait de pics perçant sa chair. En leur bout, des flammes forcenées flottaient.

Un suzerain-sorcier.

Il attrapa la tête du lieutenant Mirilis et afficha son visage difforme. « Mohorl awarkarr ! vociféra le monstre de muscles et de feu. Chef de meute. » Son accent râpait l’intérieur de leurs oreilles telle une lime irrégulière. Il écrasa ensuite le crâne de Pierre de Mirilis contre le sol, le réduisant à l’état de mélasse emplie de grumeaux osseux.

Le suzerain-sorcier s’inclina et saisit au collet les deux humains. Sans qu’aucune trace d’un effort quelconque ne traverse ses traits, il souleva les guerriers en armure et les fit quitter le sol. Sous eux, un Worgros proche s’empara de l’épée longue, de la claymore et de leurs sacs. Cependant, Owen gardait en permanence une dague dans sa botte. En un tournemain, il la dévoila et, férocement, la planta dans la jonction entre le trapèze et le cou de leur ennemi.

L’amas de muscles noirs ne broncha pas, dans un premier temps. Il attendit que le visage d’Owen se décompose en assimilant son erreur. Puis, brutalement, il poussa un hurlement capable de fissurer la montagne.

« Garahane, crurent discerner Théodore et Owen. Sans-chef, traduisit le Worgro en relâchant sa prise.

Il leur tourna le dos et s’en alla vers le centre du col.

— Les Sans-chefs veulent se battre, gronda-t-il.

— Ce doit être une sorte d’insulte, je suppose, ricana Owen en se redressant.

— Comment peux-tu sourire dans cette situation ? Un dément, voilà ce que tu es, Hyène Owen.

— Les Garahanes veulent se battre ! répéta le suzerain-sorcier pour rameuter toutes ses unités. Vaarauhone !

— Vaarauhone ! scandèrent en écho les Worgros du col.

— Vaarauhone ? Que signifie vaarauhone ? demanda Théodore à mi-voix à son partenaire.

— Sang en dehors, répondit, avec une articulation inconcevable pour l’oreille humaine, le mastodonte qui les poussait vers l’avant.

Tous les Worgros rassemblés, ils entamèrent une symphonie morbide. Les mâles se frappaient sur le torse, causant un tambourinement provenant à n’en point douter d’outre-tombe, tandis que les femelles aboyaient des stridences effroyables. Des sons identiques à ceux qu’elles produisaient lorsqu’elles se ruaient au combat. Pour cette race, les femelles endossaient le titre de guerrière ; les mâles étant réduits au rôle de charognards et de récolteurs de nourriture pour les mastodontes.

Derrière l’attroupement dissonant, s’érigeait un monticule de cadavres humains en armure. Des restes à moitié dévorés. Quelques Worgros s’affairaient à poisser ce funeste totem d’enduit inflammable.

— Au moins, nous savons à présent pourquoi cette partie de la horde stagnait ici, inféra Owen. Le lieutenant Mirilis leur a fait face avec une troupe réduite.

— Il a dû prendre le commandement des volontaires afin de ralentir les Worgros et de faire gagner du temps aux autres. Son sacrifice ne sera pas vain.

Théodore leva les yeux vers un ciel qu’il ne pouvait voir à cause de la tornade et ajouta : « Je l’espère du fond du cœur. »

Le col débutait dans le duché de l’Orion pour s'achever dans celui d’Yvrefleur. La frontière se concrétisait par deux statues du Lion. Reproduisant sa taille réelle, aussi grande qu’une grange de village, les figures de pierre surgissaient de la roche, chacune de part et d’autre de la voie, une patte levée et la gueule ouverte. Ce fut sous l’une de ces représentations que le Worgro dirigea les deux hommes et leur rendit leur arme. « Vaarauhone, Garahane », rabâcha-t-il avant de s’éclipser.

— Eh bien ! Garahane, ironisa Owen lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, il semblerait que notre fin vienne à grands pas. Tends l’oreille, n’entends-tu pas le glas de notre vie ?

— Veux-tu bien cesser avec cet humour mortuaire ?

— Ou peut-être est-ce le rire de Celle à la faux.

La pluie frappa. Entrainée par les vents tournants, telle une cavalière de bal, elle fouettait circulairement de sa robe translucide. Jusqu’au bout, cette pluie ne les avait pas lâchés. Ironie de la situation, même mort, le Lion continuait de les protéger. De sa patte de pierre, il couvrait leur tête des précipitations.

La foule d’envahisseurs forma un arc de cercle pour s’ouvrir sur le suzerain-sorcier et deux acolytes : une guerrière et un mastodonte.

Le chef Worgro déplia ses bras en croix, présentant ses champions. Un sourire d’ire barrait son affreux faciès tandis que ses deux index se dressaient, expliquant la tournure du combat. Il prononça une fois de plus l’appellation du duel dans leur langue gutturale et le barbare à la carrure de taureau fit un pas vers l’avant.

Un pas vers les deux condamnés à mort.

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