Le protecteur du peuple
Owen fut réveillé par une légère gifle. Aurore le dévisageait, l'air soucieux. Le chevalier tendit le cou et observa les rayons de soleil qui perçaient au travers des interstices des volets. Encore blancs, ils annonçaient l’aube. Heureusement que la messagère l’avait sorti de ses rêves, parce qu’il aurait pu y demeurer encore de longues heures. Le reste de ses compagnons se rassemblait au rez-de-chaussée. Seuls les enfants, ensommeillés, se faisaient violence pour garder leurs paupières ouvertes.
— Faites-vous encore partie du voyage ? le questionna Aurore, à voix basse.
— Si le message est contenu dans ta tête, fillette, nous ferions mieux de l’ôter de ton corps pour la mettre dans une besace. Nous gagnerions en célérité.
— Décidemment, votre mordant semble infatigable, commenta Aurore, un sourire aimable sur les lèvres.
— La faute à qui ? Il ne fallait pas me laisser autant dormir. Je risque d’être loquace. Comment va notre armure ambulante ? demanda le chevalier, en désignant discrètement Théodore.
— Mieux. Cette nuit aura fait du bien à tout le monde.
Owen se leva et s’équipa des sacs qu’avaient descendus les Liniennes. Ils mangèrent succinctement. Quelques fruits et une poignée de graines. Théodore partagea sa pomme avec l’un des enfants. Il s’étonna intérieurement de ne pas les avoir encore entendus se plaindre. Comprenaient-ils seulement dans quelle épopée ils avaient été embarqués ? Le champion en douta.
Il suggéra alors que les Liniennes repartent avec les enfants une fois les frontières d’Yvrefleur atteintes. Un début de débat s’amorça mais tous tombèrent vite d’accord. Les enfants ralentiraient le trio. Mieux valait qu’ils restent avec les Liniennes.
Le chevalier les laissa profiter d’un instant d’accalmie, sous les lames de platine du levant. La nuit avait adouci l’acariâtre. Théodore s’en réjouit.
Finalement, ils prirent la route le long de l’allée centrale. Owen déclara avoir entendu le cri strident du suzerain-sorcier invisible quelques heures plus tôt. Les autres ne l’avait pas manqué non plus. Même Théodore se rappelait de l’arrivée soudaine d’un grondement abominable dans ses rêves.
Owen rassura le groupe. Le monstre avait dû poursuivre sa route, faute de mieux. Théodore comprit, au timbre de voix du chevalier, que ce dernier n’était lui-même pas convaincu par ses conjectures. Mais à quoi bon le contredire ? Quitter cette ville primait, dorénavant.
— Beau fourreau, remarqua Varlii, au bout d’un moment. Tu as trouvé une nouvelle épée, humain ?
Le chevalier dessangla son ceinturon et tendit le fourreau à la Linienne.
— Il est inscrit Vostan. Ou vôtre en langue contemporaine. Il s’agit de la devise de la chevalerie.
La Linienne le dévisagea assez longtemps pour qu’Owen réalise que, sous son masque d’argile blanc, elle exprimait son incompréhension.
— Nous nous adressons au peuple. Nous leur sommes dévoués.
— Le fait qu’être guerrier soit une fonction chez les humains m’a toujours étonné, enchérit Draliaa. Pourquoi tous vos congénères ne sont-ils pas capables de se défendre par leurs propres moyens ?
— Pour garantir la sérénité parmi ceux qui ne portent pas d’armes, je suppose, fit Owen.
— Chez les hommes, entama Théodore, le guerrier est le porte-étendard de la sécurité. Il empêche la violence extérieure d'atteindre le peuple et prévient la propagation de celle-ci au sein même des citoyens.
— Vous vous considérez tous deux comme des protecteurs, est-ce bien cela ? s’enquit Draliaa.
— C’est plus compliqué, selon moi, nuança Owen. Ma fonction à moi, par exemple, ne s’approche que très peu du rôle de gardien. Je suis un éclaireur dans les pays étrangers. Ou un assassin selon les conjonctures politiques. A l’inverse, le pommeau de l’épée que tu tiens représente une tête d’ours. Dans la chevalerie, la caste des Ours est garante de la sécurité du peuple à l’intérieur du territoire.
— Eh bien ! intervint Aurore. Il semblerait que ce voyage ait fait de vous un protecteur du peuple.
— Il a surtout fait de moi un veuf, privé de son enfant, riposta Owen en arrachant l’arme des mains de la Linienne.
Théodore s’attrista. La jovialité de la Hyène n’avait que peu duré.
Quitter la ville ne leur demanda pas énormément de temps. Ils pataugèrent à nouveau dans le lac asséché et boueux et gagnèrent en milieu de matinée la rive sud-est. Depuis cette position, ils purent enfin constater les ravages du passage des Worgros au-delà des montagnes, dans les plaines orientales. Ils comprirent pourquoi le battement d’ailes du Roi du vent avait cessé.
Là-bas, à plusieurs heures de marche, suspendu dans les airs et criblé de pics d’améthyste, l’oiseau gigantesque reposait, cloué à l’île volante.
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