Chapitre 9

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Son arrivée au self ne resta pas discrète longtemps, alors qu’elle cherchait une table, elle entendit plusieurs de ses « camarades » l’interpeller, l’insulter… Une fille de sa classe lui fit même un croche-pied, duquel elle se redressa de justesse, sans renverser son plateau.

« Hey, la chtarbée est de retour ! Ça va mieux la folledingue ? Les petites voix dans ta tête ont arrêté de te parler ?! Ahah ! »

« Tout pour se faire remarquer… Elle craint cette fille ! »

« Psst ! Étale tes affaires, sinon elle va s’installer à notre table ! »

Lasse, elle s’installa finalement à une table où n’était assis qu’un garçon de seconde. Alors qu’elle s’asseyait, il la dévisagea avec dégoût avant de se lever.

« Je ne mange pas avec les tarées, c’est contagieux ! »

Le reste du repas se déroula presque sans tracas, mais agacée de recevoir des boulettes de pain et ne souhaitant pas attendre qu’ils passent au yaourt ou au morceau de poisson, elle engloutit rapidement son déjeuner, emportant sa pomme pour la manger dehors.

Même si ces agissements étaient devenus banals pour Amélie, au fond d’elle restait une infime partie qui avait envie de pleurer face à ces comportements injustes, cet acharnement à son égard. Plus que tout, c’est la solitude qui lui pesait. Elle avait une vague idée de ce qu’était l’amitié, mais n’en avait jamais connu aucune. Elle n’avait jamais eu personne à qui raconter ses rares joies, ses nombreuses craintes, ses vagues espoirs. Le temps passe lentement lorsqu’on est seule ; du haut de ses dix-sept ans, Amélie se sentait asséchée et fatiguée.

Assise en tailleur sur un banc à l’écart dans la cour, les yeux fixés sur sa pomme qui tournait entre ses mains, Amélie était épuisée physiquement et psychologiquement. J’espère qu’on passera une nuit plus tranquille ce soir, je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme… Ses esprits entendirent bien cet espoir, mais ne répondirent pas : elles ne savaient pas si elles avaient de nouveau le droit de lui répondre et quand bien même, elles n’avaient aucune prise sur les souvenirs qui affluaient dans le sommeil de leur protégée.

Elle était sur le point de se projeter dans Kévin, quand elle sentit quelqu’un lui toucher les cheveux. Elle se retourna brusquement, prête à jouer des poings, pour se retrouver face à Mévina.

« Tu… Tu avais un morceau de pain accroché à ta natte… »

Amélie se détendit et se retourna face à sa pomme. Mévina s’assit à côté d’elle.

« Je viens juste voir comment tu vas … ? »

Hypocrite, songea Amélie.

« Je vais parfaitement. Ne t’inquiète pas, c’est toujours bon pour ce soir.

- Tu… tu es sûre ? Je comprendrais que tu veuilles reporter ! Tu étais terriblement pâle ce matin quand tu t’es évanouie…

- C’est rien. Ça arrive. »

Un silence gênant s’installa entre elles, au milieu du tumulte de la cour. Amélie se décida à finalement croquer dans sa pomme.

« Ce n’est pas sympa la façon dont tout le monde te traite… »

Amélie manqua de s’étouffer en avalant de travers ; était-elle vraiment en train de lui faire la conversation ? Qui plus est en utilisant sa position de souffre-douleur comme prétexte ? Amélie prit une grande inspiration et s’efforça de lui parler avec calme et sans agressivité.

« Je vais bien Mévina. Ne t’inquiète pas pour ce soir. Tu n’as pas besoin de te forcer à rester avec moi et à être gentille.

Elle vit sa camarade se crisper, elle avait touché dans le mille.

- Je ne me force pas, tu sais. La vérité c’est que… » Amélie tourna la tête et croisa son regard, Mévina baissa aussitôt les yeux. « C’est que tu me fais un peu peur. Enfin, ce n’est pas vraiment ça, mais il y a quelque chose dans ton regard, autour de toi qui est malaisant. Et avant je faisais juste attention de ne pas te croiser, je n’avais jamais cherché à comprendre… »

Amélie l’écoutait avec attention : sans s’en rendre compte, sa camarade était en train de lui dévoiler la raison de sa solitude, la raison de toutes ces brimades depuis son enfance.

« Puis tu as perdu ta sœur.

- Oui. Et quand je pleurais chez moi toute seule, j’ai pensé que j’aimerais comprendre, que j’aimerais lui parler une dernière fois, j’ai commencé à réfléchir à tous les moyens qui pouvaient réellement exister… Et bizarrement, j’ai pensé à toi… Toujours seule. J’ai repensé à toutes ces fois où tu sursautais sans raison apparente, parfois en criant… »

L’évocation de ces souvenirs donna la chair de poule à Amélie, encore aujourd’hui, les mauvais esprits arrivaient à la prendre par surprise, la plongeant brièvement dans une horreur sans nom, lui glaçant le sang, la chair et les os…

« Et à présent que je sais… Je te plains. »

Ces derniers mots, bien qu’ils soient dits avec une réelle compassion, lui firent l’effet d’une claque. Elle se sentait terriblement rabaissée. Amélie serra les dents. Non, ce n’était pas ce sentiment-là… Elle avait l’habitude d’être rabaissée… Avec stupéfaction, elle sentit une larme couler sur sa joue. Elle l’essuya bien vite, réalisant qu’elle était touchée. Pour la première fois, quelqu’un compatissait à son calvaire…

« Calvaire » ? Non ! Je suis plus puissante que n’importe qui ici ! Il faut vraiment que je dorme, je me ramollis ! Amélie secoua brièvement la tête, comme pour chasser toute sensibilité de son esprit et reprit la parole d’une voix égale.

« Ne me plains pas. Je vais très bien. Quod non me interficit, id me facit fortiorem. »

Mévina la dévisagea, mais Amélie ne releva pas, persuadée de n’avoir parlé qu’en français.

Les railleries suivirent Amélie toute l’après-midi, sous le regard compatissant de Mévina, ce qui rendait la chose encore plus désagréable pour la première, étrangement.

Lorsqu’enfin sonna la cloche à la fin du dernier cours, Amélie poussa un soupir de soulagement. Mévina ne perdit pas une seconde et se précipita à ses côtés, comme pour s’assurer qu’elle n’avait pas oublié leur accord. Cette attitude exaspéra la jeune nécromancienne tout en l’amusant.

Alors qu’elles franchissaient tout juste le portail du lycée, Amélie s’arrêta, elle voulait vérifier que le chemin pour rentrer chez elle était tranquille par le biais d’un de ses corbeaux. Mévina qui n’en savait rien, s’inquiéta de la voir s’arrêter de marcher et fermer les yeux, l’air concentré.

« Il y a quelque chose qui ne va pas ? »

L’interrogée ne répondit pas, les mots lui étaient bien parvenus en écho, mais elle avait autre chose à faire que de rassurer cette opportuniste. Ses corbeaux survolaient plusieurs rues et elle fut agréablement surprise de voir que son parcours habituel était dégagé ; ses stupides camarades de classe avaient-ils enfin compris que cela ne servait à rien d’essayer de lui préparer un traquenard ? Elle rouvrit les yeux.

« On y va. »

Alors qu’elles arrivaient presque à destination, Mévina prit la parole, légèrement tendue.

« Tu habites par ici ?

- Oui, pourquoi ?

- … Tu habites près du cimetière ?

Sa voix s’était légèrement cassée sur la fin de sa phrase.

- Oui. »

Le ton neutre et sec d’Amélie coupa toute envie à Mévina de poursuivre ses questions, mais tout dans son regard et son attitude trahissaient son malaise.

Finalement, la situation amusait beaucoup la jeune sorcière, elle n’avait aucune intention de rassurer sa camarade. La laisser imaginer des choses, les plus absurdes comme les plus sombres, lui donnait un certain pouvoir, mais cela lui offrait aussi une forme de protection : ne pas partager complètement l’étendue de ses pouvoirs et de ses connaissances lui garantissait de maintenir la crainte, cette même crainte garantissait son silence.

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