La Cigogne a perdu un enfant
C'était un cauchemar. Un truc qui lui retournait les tripes au point qu'il avait envie d'en vomir sa pilule nutritive du matin. Un enfant disparu ? Sous SA surveillance ? Et un fragile en plus, un récent, un petit rouquin toujours collé dans son coin avec son carnet, un enfant un peu bizarre qu'il essayait d'intégrer avec difficulté. Oliver Moore. Un petit rêveur. Un de ceux qui pouvait se perdre même avec un guide dans un couloir tout droit. Comment est-ce que cela avait pu arriver ?
La police venait d'arriver, et un petit officier ronchon lui collait aux basques alors qu'on lui avait donné carte blanche le temps de retrouver son protégé. Cody retient ses larmes et les tremblements de ses mains alors que deux paires d'yeux fixaient chacun de ses faits et gestes. Sa vision était trouble et son souffle court. Deux paires d'yeux, et la deuxième appartenait à la pire personne qu'il aurait imaginé pouvoir croiser dans cette situation.
Deidre, il aurait pas pensé qu'elle lui poserait tant de souci quand ils s'étaient rencontrés pour la première fois. Une simple passante, qui coupait le passage à son groupe d'enfant au milieu d'une route, rien de bien nouveau. Alors qu'il la reprenait sèchement, elle lui avait fait un doigt d'honneur, et c'est là que tout aurait dû s'arrêter. Sauf que désormais, Cody était suivi.
Son seul refuge, dans les couloirs du vaisseau mère, au fin fond des quartiers résidentiels, juste derrière l'une des bennes à ordure fixe du vaisseau, c'était son accès à la Soute. Et dans la Soute, au milieu des déchets rejetés des quartiers résidentiels, entre les vieux couloirs abandonnés et les quartiers squattés, Cody avait trouvé une place.
C'était pourtant un bon garçon, Cody. Enfin, maintenant. L'école pour "cas difficile" dans laquelle il avait été l'avait remis sur le droit chemin ; religieux, aspirant moine, travailleur exemplaire dans l'école où il allait, il pensait que ses sorties à la Soute ne serait plus jamais un problème. Mais depuis quelques mois, il avait de plus en plus de mal à se retenir ; comme si toute sa volonté s'évaporait, comme si ses rechutes occasionnelles redevenaient l'addiction qu'il avait pu avoir. Cela coïncidait avec deux choses : sa découverte des drag shows avec Channel Martini, sa drag mother ; cela coïncidait aussi avec la présence de plus en plus inquiétante de Deidre dans sa vie. Elle était toujours là. Parfois, il avait l'impression de la voir même dans la sécurité de l'illégalité bigarrée de la Soute. S'il allait chez lui, il sentait une présence derrière lui. S'il sortait s'acheter un sandwich, il surprenait sa silhouette du coin de l'œil. Il l'avait plusieurs fois surprise avec son appareil photo, non loin de lui, le regard fixé sur sa personne.
Cody, qu'il le veuille ou non, avait désormais une stalkeuse. Une stalkeuse dont les photos prises à proximité de l'école pouvaient déterminer l'avenir de l'enfant qu'il cherchait. Etrangement, cela ne l'inquiétait pas plus que ça, au départ ; dans sa vie bien réglée, il ne voyait pas ce qu'elle pourrait trouver de très intéressant. Il voyait mal comment elle pourrait le retrouver durant ses escapades illégales dans le sous-sol du vaisseau, bien qu'il ait pris des précautions en plus ces derniers temps pour y aller, au cas où ; et même si elle avait des photos, elle ne semblait pas d'humeur à les vendre ou les exposer. Il avait tenté de la confronter plusieurs fois à ce sujet, mais il n'avait rien obtenu d'autre que des réponses cryptiques et des invitations répétées à aller prendre un verre. Alors, faute de pouvoir faire mieux ou de faire réellement confiance à la police, il avait appris à vivre avec.
Sauf dans ces moments étranges et incontrôlables de colère où lui venait soudain l'envie de tout casser, de prendre l'appareil et de sauter dessus ; ces moments effrayants et intenses où il se sentait hors de lui-même.
Aujourd'hui, il semblait que cette obsession allait lui être utile. Cody grimace ; c'était une chose de savoir qu'on était suivi, autre chose de voir son visage sur presque toutes les photos de l'appareil que Deidre montrait à contrecœur à l'officier de police. Pourtant les preuves étaient là : dans l'heure précédente, l'enfant était présent. Recroquevillé sur son carnet comme s'accrochant à son doudou.
Il ne savait pas s'il était rassuré où encore plus effrayé. L'idée des conséquences auxquelles il pourrait faire face ne lui était pas venu à l'esprit jusqu'à présent, mais l'éducation des orphelins étant organisée par l'église Phusis dont il était novice et ce manque d'attention pourrait bien lui coûter cher. Bien sûr, au moins il était là à la dernière récréation, il n'avait pas pu aller bien loin ; mais aussi, comment cela avait-il pu arriver ? Sous SA garde ?
Son premier réflexe fut de fouiller les endroits les plus dangereux. Placards électriques, locaux techniques ; de leur côté, ne le quittant pas d'une semelle, le policier fouillait les salles vides. Deidre avait un grand sourire alors qu'elle le suivait un peu partout, restant quelques pas derrière lui. Alors qu'ils arrivaient dans le grand couloir où les casiers des enfants étaient disposés, Deidre quitte soudain sa place pour aller inspecter une porte au fond du couloir. Sans plus se poser de question, Cody ouvre le casier de l'enfant. Son cœur se gèle un peu plus quand il y retrouve son carnet ; s'il savait une chose sur Oliver, c'est que jamais il ne le quittait volontairement.
Dans son carnet, de vieux modèles de tenues d'astronautes, de celles qu'on ne trouve plus que dans les livres d'histoire racontant les débuts des voyages interplanétaires, les origines de nos vaisseaux modernes. Les premiers pilotes de notre Cigogne devaient avoir des attirails semblables, avant que les équipements ne se modernisent pour les tenues claires épurées qu'ils portaient maintenant. Les dessins étaient étonnamment précis, pour un enfant de son âge avec un accès limité à des sources historiques. Cody commençait à se demander d'où pouvait bien sortir cet enfant.
Alors qu'il fouille les notes d'astronomie du jeune garçon, Deidre le saisit soudain par la manche, surexcitée. Devant la porte qu'elle observait, des traces de terres, typiques de celle que l'on avait posée dans certaines zones de notre cour de récréation ; de petites traces discrètes que Cody aurait certainement eu du mal à remarquer sans son aide. Il regarde Deidre avec surprise ; il fallait bien qu'elle ait l'œil pour ses photographies, mais il ne s'attendait pas à une telle efficacité.
Il avait fallu un peu de force pour pousser la porte (comment cet enfant avait-il bien pu faire, avec sa petite taille et ses petits bras ?), mais une fois ouverte, un long couloir menant à une échelle s'ouvrait devant eux. Un frisson glacé parcourt Cody alors qu'il remarque que les traces continuent à l'intérieur du couloir.
Devant eux, de vieux couloirs gris dans lesquels se fondent l'uniforme gris de Cody. Derrière eux, la sécurité de l'école. Plein d'appréhension et toujours suivi de Deidre et de l'officier de police, Cody entame sa marche dans le couloir vide.
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