Chapitre 4 : Philippe et le Hibou
À son retour dans la salle, Fred vit son invitée, toujours attablée, qui affichait un large sourire. Elle lui annonça qu’elle venait de commander une poire-belle-Hélène, en hommage à sa chère maman. Mais elle n’était pas à court de questions, et son hôte semblait une source d’information intarissable.
— Dis, c’est qui ce Philippe, dont Marie a parlé, tout à l’heure. Et qu’est-ce qu’elle voulait dire avec « pas la peine de lui apprendre toutes tes conneries » ?
— Ah ! Philippe, répondit Fred, songeur. Il faut remonter quelques années en arrière, en 2011, au mois d’août, pour être précis.
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— J’ai trois semaines de congés, si tu veux, il peut rester ici un moment, je m’en occuperai. Il pourra souffler, vous deux aussi. Pensez-y, faites-moi signe.
À quatorze ans, comme beaucoup d’autres avant lui, et il ne serait certainement pas le dernier, Philippe avait ressenti le besoin d’un peu plus de liberté, d’autonomie. Non pas qu’il vivait sous une permanente oppression psychologique de ses parents, mais il avait grandi, et mûri, et les règles fixées par une mère médecin et un père policier de formation, qui étaient probablement justifiées lorsqu’il n’était qu’un enfant, devaient maintenant évoluer. Or ses parents, selon lui, le considéraient encore trop comme ce bambin qu’il n’était plus. Il avait donc pris son argent de poche, s’était acheté un billet de train, et était allé chercher refuge chez celui qui ne s’attachait jamais aux enfants des autres, qui leur parlait, quel que fût leur âge, comme à des adultes, chez qui il trouverait un espace de liberté en plus de la sécurité. Il avait, bien entendu, été hors de question de fuguer pour traîner dans la rue, au hasard des rencontres, bonnes ou mauvaises.
À son bureau, Fred avait reposé le combiné du téléphone fixe, et, se frottant le menton du bout des doigts, regarda Philippe dans les yeux.
— Je parie que tu as faim. Mon frigo est vide. Viens, on va se faire un resto, c’est moi qui invite.
Philippe se fit servir un burger sauce à l’Époisses, garni de frites dorées et croustillantes, la spécialité du chef du Bar de l’Apocalypse. Il avait voulu demander une bière, mais le « n’exagère pas » de Fred, assorti du couplet légal sur les boissons alcoolisées aux mineurs, le convainquirent de se contenter d’un soda. La bière serait pour son hôte.
— Alors, dis-moi, qu’est-ce qui t’a fait franchir le Rubicon ?
— Je me suis battu, au collège, une espèce de connard, qui se foutait de moi parce qu’il m’avait vu avec mon petit cousin le week-end dernier, à la piscine. « Alors, on joue les maîtres-nageurs pour bébés ? ». Je lui ai dit que mon cousin, à trois ans, il arriverait à apprendre à nager, alors que lui, cette tête de nœud, il était bien trop bête pour ça.
— Et je parie que tu as dit ça avec d’autres mots, moins mesurés.
— Et du coup, il m’a foutu une raclée… Et mes parents ont vu ça, et j’ai eu droit au sermon sur le fait qu’il n’y a que des voyous qui se battent pour ce genre de bêtises, et qu’ils m’ont déjà dit cent fois que je ne devais pas me battre, et patati, et patata, et qu’est-ce qu’ils vont faire de moi, etc. Mais moi, j’avais rien demandé, j’ai juste remis l’autre à sa place.
— « Et quand on crache en l’air, ça finit toujours par vous retomber sur le nez », pas vrai ?
— Ah, tu connais le couplet ? C’est vachement bon ce sandwich !
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Fred avait installé son visiteur de fortune dans la chambre de son fils, parti pour le dernier mois de vacances chez sa grand-mère maternelle, où il avait rejoint sa mère et sa sœur. Le lendemain, Philippe serait le bienvenu pour aider Fred à l’entretien de la salle de sport, en contre-partie de l’hospitalité. Certes, le collégien était en vacances, mais les vacances n’étaient pas une occasion de passer des journées entières à traîner dans son lit. Non, les vacances, c’était une occasion de changer d’activité.
Marie et Roger avaient répondu à Fred par courrier électronique, l’heure était tardive, qu’après discussion, et bien que désolés du dérangement occasionné, ils acceptaient son offre, et qu’ils rappelleraient leur fils au bout d’une semaine, pour dresser un bilan de l’état d’esprit de chacun.
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Après un petit déjeuner copieux pour un adolescent en pleine croissance, Philippe accompagna donc Fred à la salle de sport, où il fit connaissance avec quelques boxeurs venus préparer de prochaines échéances pugilistiques. Puis il se fit confier un seau, une raclette et une serpillière, et alla visiter les vestiaires. La première tâche de la journée consistait à nettoyer les lieux avant la fin des premiers entraînements. Ce travail, que certains de ses camarades de classe auraient vraisemblablement trouvé dégradant, Philippe le considéra comme une marque de confiance. Le bien être de ces sportifs de haut niveau, après des séances éprouvantes sur le ring ou sur les agrès de musculation, passait par le seul confort qu’offrait ce petit complexe, des douches qui se devaient d’être aussi accueillantes que les efforts consentis à la passion du combat pouvaient être harassants.
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Le seau et la raclette rangés dans le placard dédié, Philippe revint dans la salle où il vit Fred, portant un escabeau, qui se dirigeait vers un plafonnier dont un tube à néon donnait des signes de faiblesse. L’effet stroboscopique induit rendait la séance de frappe dans le sac particulièrement désagréable à ce jeune homme dégoulinant de sueur. Philippe se proposa pour changer lui-même l’ampoule défectueuse, ce qui permit à Fred de retourner sur le ring, donner des consignes à un enfant à peine âgé d’une dizaine d’années, qui enchaînait des coups de poings et de pieds dans les protections de son entraîneur, les esquives rotatives sur les simulacres de crochets, les esquives en désaxé sur les attaques directes. Philippe était impressionné, non tant par les enchaînements techniques que par la capacité d’un si jeune garçon à les exécuter sans erreur. L’enfant non seulement réalisait des techniques parfaites, mais avait en plus les attitudes d’un vrai boxeur professionnel, tel ceux que Philippe avait pu voir à la télévision, au gré des matches que son père aimait regarder, parfois, sur la chaîne cryptée, et ne ressemblait pas du tout aux combattants d’opérette qu’on rencontrait dans les séries bon marché du mardi soir ou du week-end.
Quelques rounds avaient été conclus, puis Fred envoya son élève martyriser le sac de frappe abandonné par l’autre boxeur, lui-même entretenant son rythme cardiaque dans une impitoyable séance de saut à la corde. Dans le même temps, deux adolescents étaient venus à leur tour sur le ring, après avoir mis leur protège-dents et enfilé leurs gants ainsi qu’un casque souple, et s’apprêtaient à en découdre, sous la supervision de l’entraîneur bienveillant.
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La cloche retentit à la fin du cinquième round de l’affrontement qui se déroulait sur le ring. Tous les athlètes se dirigèrent vers le vestiaire où ils purent profiter d’une bonne douche bien méritée. Philippe fit part de son admiration pour le plus jeune des boxeurs, qu’il avait vu s’exercer sur le ring.
— Il a l’air bon, le petit, non ?
— Alex ? Oui, il tourne bien. Ça fait trois ans qu’il pratique, maintenant. Et pendant les vacances scolaires, comme ses parents ne voyagent pas beaucoup, il passe beaucoup de temps ici. Ça lui permet de s’améliorer rapidement.
— Dis, tu crois que je pourrais aussi essayer ?
— Bien sûr, tout le monde peut essayer… Va te chercher une corde, et commence à sauter, le temps que je fasse un peu de paperasse.
Les premiers sauts furent hésitants. Fred dut corriger quelques petits détails, la position des bras, la hauteur des sauts à réduire, la synchronisation des pieds avec la corde… Philippe appliqua les consignes à la lettre et Fred le laissa une trentaine de minutes, le temps de régler quelques tâches administratives pour la salle.
Quand il revint aux abords du ring, il vit un élève qui s’appliquait, transpirait, soufflait, mais ne renonçait pas. Il était alors temps de passer au concret. Fred expliqua, montra, décomposa les gestes et postures qui définissaient une garde de boxeur, un coup de poing direct, un crochet, un uppercut, l’ensemble du corps accompagnant chaque technique, de façon à rendre les coups plus efficaces. Philippe mit en application sur le gros sac de cuir accroché au plafond.
— Prends le temps de revenir en garde. Quand tu envoies le direct du gauche, ton menton est en protection entre ton épaule gauche et ton poing droit. Pivote bien sur le crochet, le bras à l’horizontale, pousse depuis le pied. Uppercut court, garde le coude contre toi et pousse en montant ta hanche.
Les conseils fusaient, Philippe les appliquait avec la plus grande attention, le sac se balançait d’avant en arrière, de droite à gauche, de façon anarchique.
Dans les jours suivants, les coups de pied, circulaires, de face, de côté, de revers, à mi-hauteur, à hauteur de visage, retournés, succédèrent aux exercices de blocage et d’esquive, aux séances aux poings, aux étirements, aux exercices de tonification musculaire.
À la fin de la semaine, Marie et Roger, par téléphone, acceptèrent que leur fils prolonge son séjour jusqu’à la rentrée scolaire, à condition de ne pas être une charge pour Fred.
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— Ça alors ! Tu as été l’entraîneur du fils de Marie et Roger ? s’étonna Joanie entre la glace à la vanille et la glace au chocolat.
— Disons que je lui ai mis le pied à l’étrier, répondit humblement Fred. Après il a fait son chemin.
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Cela faisait maintenant deux mois que les cours avaient repris. Philippe fréquentait maintenant un club de sa région où il pouvait mettre en pratique les leçons estivales de Fred, et apprendre de nouvelles choses. Il avait eu le feu vert pour retourner, le temps des vacances de la Toussaint, chez son nouveau mentor, afin d’approfondir ses connaissances dans cet art du combat nouveau pour lui. Par ailleurs, il participait aux tâches d’entretien de la salle avec abnégation, tâches qu’il considérait lui-même comme un service qu’il devait rendre à celui qui le recevait et le formait sans rien demander en retour.
Ce matin-là, alors qu’il prenait son petit-déjeuner, il vit Fred s’affairer, les bars chargés de boîtes diverses.
— Tu viens avec moi ? Je dois aller à la déchetterie, j’ai des trucs à balancer. Ça te changera un peu de la salle et du ring.
— Tu y vas à quelle heure ?
— Prends le temps de déjeuner, le samedi, c’est ouvert toute la journée. Je vais préparer mes caisses.
Pendant que Philippe avalait ses tranches de pain beurrées et son café, Fred chargea une dizaine de caisses pleines d’objets saugrenus, de vieux magazines, de boîtes de conserves vides, de bouteilles et de pots de verre vides, de prospectus publicitaires, dans la benne de son pick-up blanc terni par la boue de cet automne humide. Philippe vit passer une caisse, dans laquelle un objet le fit réagir.
— Attends ! C’est quoi, ça ?
— De vieilles maquettes que j’ai retrouvées…
— Attends, je peux voir ? Hé, je connais ce truc-là ! Je l’ai vu, là où travaillent mes parents. J’avais jamais vu d’avion comme celui-là, avant. J’ai cherché, dans les magazines spécialisés, sur le Net… J’avais jamais vu… Et toi, t’en as une maquette ! Comment c’est possible ?
— C’est moi qui l’ai faite, il y a quelques années.
— La maquette, d’accord, mais l’original, tu l’as trouvé où ?
— Lui aussi, c’est moi qui l’ai fait, il y a quelques années…
— Quoi ? Philippe n’en croyait pas ses oreilles. Tu veux dire qu’avant d’être patron de bar, tu bossais pour un fabriquant de matériel militaire ?
— Pas exactement.
Fred raconta son histoire au jeune garçon, depuis son passé sous les drapeaux, jusqu’à la fin de son aventure avec Hector. Il lui montra d’autres maquettes, qui lui avaient servi, autrefois, à convaincre Hector, Marie, et Roger, de l’utilité de ce qu’il appelait alors ses jouets. Philippe avait vu le jet, à échelle réduite, équipé d’ouvertures diverses révélant toutes les surprises embarquées. Il découvrit alors l’Aston Martin, son lance-fusée et ses sièges éjectables, une figurine d’une trentaine de centimètres entièrement articulée qui datait de l’enfance de Fred, et qui était équipée, pour l’occasion, d’une réplique du baudrier de vol destiné à Roger, deux autres figurines en tenue de commando, accrochées à une sorte de petit hélicoptère à peine plus grand que l’aurait été une bicyclette à cette échelle, d’autres maquettes diverses, à des échelles variées, d’éléments disparates qui firent briller les yeux de l’adolescent. Parmi tous ces objets, un autre avion, plus petit que le premier, plus arrondi, aussi, attira l’attention de Philippe.
— Celui-là, je ne l’ai pas vu, là-bas…
— C’est normal, répondit Fred, il n’y est pas.
— Ah ? Tu n’as pas eu le temps de le fabriquer ?
— Si, reprit l’ingénieur, mais il n’est pas là-bas…
— Alors, il est où ? demanda Philippe, intrigué.
— Après la déchetterie, je vais te montrer.
— Ok ! s’enthousiasma le garçon. Dis, ces maquettes, tu veux vraiment t’en débarrasser ? C’est dommage de les jeter ? Elles sont super !
— C’est bon, tu les veux ? Elles sont à toi.
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Après le passage à la déchetterie, le pick-up débarrassé de ses caisses roulait tranquillement sur une route de campagne qui semblait ne mener nulle part. Finalement, le véhicule s’arrêta à l’entrée d’une sorte d’aéro-club, à la surprise de Philippe.
— Non !… tu ne vas pas me dire que tu planques un avion de chasse ici ?
Fred s’approcha de la grille d’entrée, tourna la clé dans le cadenas et le libéra. Philippe masqua son impatience lorsque son maître ouvrit la grille, le laissa passer et referma aussitôt à clé. Tous les deux se dirigèrent vers le hangar au fond de la cour, une sorte de vieux bâtiment de métal qui, malgré l’âge qu’il semblait accuser, avait l’air de vaillamment tenir debout. Une grande double porte, qui avait dû être blanche, au siècle précédent, était solidement maintenue fermée par une chaîne à gros maillons, dont pas un seul ne semblait faible. Au-dessus de cette porte, Philippe put difficilement lire l’inscription aux couleurs délavées.
« Tout, mais prendre son envol »
— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda-t-il au maître des lieux.
— C’est simple, répondit Fred en libérant la chaîne, tu peux tout accepter, les tâches qu’on t’impose, les règles du jeu, mais tu te dois de prendre ton envol, de faire tes choix, et de les assumer.
Lorsque le hangar fut ouvert, Philippe ne cacha pas sa déception devant le petit avion de tourisme qui donnait l’impression de s’ennuyer, tout seul, dans ce vaste espace où l’on eût pu loger cinq ou six appareils comme lui.
— C’est pas l’original de ta maquette, ça…
— Non, le petit jet n’est pas ici, reprit malicieusement Fred. Il est là.
À ce moment précis, Fred enfonça le gros bouton d’une télécommande de chantier et actionna de cette façon un treuil qui descendit du pont roulant que l’adolescent n’avait même pas encore vu. Fred attrapa le crochet dans sa descente, et l’arrima à un anneau posé au sol, puis actionna de nouveau sa télécommande. Le treuil entreprit alors une lente remontée, entraînant dans sa course l’anneau, ainsi qu’un énorme panneau d’acier poussiéreux qui s’ébranla dans un bruit de tonnerre. Fred manœuvra le pont roulant de manière à coucher le panneau métallique sur le sol ferme du hangar, puis invita Philippe à le suivre dans le trou qu’il venait de lui faire découvrir.
L’escalier aux marches galvanisées ajourées les mena dans un volume sombre, que Fred éclaira soudainement en enfonçant un interrupteur, donnant alors vie à toute une famille de projecteurs. Le regard émerveillé de Philippe ne se détacha plus du plus impressionnant objet qui lui fût permis de voir. Il avait dans la main la maquette d’un aéronef qui n’avait jamais existé, jusqu’à cet instant très précis où le modèle original, d’une quinzaine de mètres de long, dont le fuselage futuriste semblait avoir été conçu par un auteur de bande dessinée de science-fiction, se tenait fièrement sur ses trains d’atterrissage, devant lui.
— C’est pas croyable ! furent les seuls mots qui lui sortirent de la bouche.
Philippe fit le tour de cette merveille, l’inspectant sous tous les angles possibles. Le métal brillant renvoyait la lumière des projecteurs, tel un miroir. Pas une trace de poussière, malgré son séjour prolongé dans ce sous-sol secret, pas la moindre tâche ne témoignait d’une quelconque aventure dans les airs.
— Il vole, cet engin ? interrogea, incrédule, le jeune adolescent.
— Théoriquement, oui.
— Comment ça ? Tu l’as déjà fait volé, quand même…
— Jamais, je l’ai assemblé ici.
— Ben, c’est pas très malin, observa Philippe, il n’a pas de piste pour décoller. Il va devoir décoller à la verticale… Comme les vieux Harrier de la RAF.
— Précisément…
— Tu rigoles, t’as pas fait ça, c’est un gouffre à carburant…
— Je sais, mais tu as vu une pompe, ici ?
— Alors, quoi, c’est une pièce de musée ? Tu ne vas pas le faire voler un jour ? À quoi ça sert de l’avoir fabriqué ?
— J’avais prévu de le refiler à tes parents, à l’origine, mais ça ne s’est pas fait, et ils ne sont pas au courant de son existence.
— Mais comment tu l’aurais emporté là-bas, s’il n’a pas de kérosène ?
— Ça ne fonctionne pas au kérosène, justement. Pas d’hydrocarbure. C’est un générateur magnéto-plasmique expérimental, que j’alimente à l’air liquide. Le seul très gros problème, c’est la chaleur, ça fait fondre les matériaux.
— Alors, comment tu vas l’utiliser ?
— Tu vois ce gros bloc, là ? C’est un générateur de dépression. Je crée une tuyère en vide, d’une certaine façon, et je contiens le vide dans cette double enveloppe en céramique. L’autre avantage du vide, c’est que c’est un merveilleux coupe-son. Je te montrerai une fois la nuit tombée, faut pas faire peur aux voisins.
— C’est pas un peu compliqué, à gérer ?
— Il y a une station informatique, en cabine arrière. Ça gère le générateur, entre autres choses.
— Entre autres choses ?
— C’est une station informatique. Il suffit de lui donner les applications qu’on veut pour qu’elle fasse ce dont on a besoin. La seule limite, c’est l’imagination de son utilisateur.
— Et aujourd’hui, elle fait quoi ?
— Gestion du groupe moteur, GPS, pilotage du câble de préhension, interface intelligente avec mon casque, scanning topographique multi paramètre, téléphone, etc. J’envisage très sérieusement un système de lentilles de contact et d’oreillettes intelligentes. Ça me permettrait de voir et d’entendre ce que voit et entend celui qui les porte. Sinon, un système de taser à distance, à niveau d’énergie variable, pour répondre à divers besoins. Tu vois, j’ai des projets.
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L’expérience du décollage vertical, le vol silencieux, tout près des étoiles, la descente vertigineuse vers l’océan, la progression au ras des vagues, la Statue de la Liberté, grosse comme une tête d’épingle, et dont la présence à l’horizon était confirmée sur un écran de contrôle, la remontée à la verticale au-dessus des nuages, l’essai de vol stationnaire, le retour au hangar, la soirée de Philippe s’était transformée en conte de fée dans un parc d’attraction à échelle planétaire.
— Je te confirme, s’enthousiasma, rêveur, le jeune garçon, il vole. Mais comment on a fait pour ne pas être pris en chasse par les autorités ?
— Vol à ultra haute altitude, de nuit, silencieux, engin indétectable aux radars, mode furtif quand on est à portée de regard.
— Et dis, c’est quoi le truc, au-dessous, on dirait que ça peut se détacher.
— Un petit module indépendant, piloté en cabine arrière, qui permet de descendre faire une course et revenir au véhicule quand il est garé dans la stratosphère. Ça, ça pouvait être utile, en cas d’urgence, si on voulait être rapidement et discrètement sur le terrain avant de repartir. Le gros jet aura ça aussi. Ici, il est juste un peu plus petit. Tu l’as vu parmi les maquettes avec les deux mannequins en commando.
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Avant de retourner chez ses parents, pour ses obligations scolaires, Philippe avait demandé à Fred s’il pouvait apprendre à piloter cet avion de rêve. En échange de son silence sur cette découverte, Fred lui fit la promesse tant attendue. Un programme informatique fut développé pour débuter l’apprentissage par des simulations, puis, à mesure que les années passèrent, Philippe s’essaya au pilotage grandeur nature en duo, puis en solo, avec son mentor pour passager.
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— T’es en train de me dire qu’il y a un deuxième avion comme celui du centre, en mieux ? s’étouffa Joanie, qui allait de surprise en surprise.
— Exactement. Et il a son propre pilote attitré, depuis peu. Pour son vingt-et-unième anniversaire, comme il a eu son brevet de pilotage classique, je lui ai remis le titre honorifique de pilote officiel de l’engin. Il l’a baptisé lui-même « Le Hibou », pour ses qualités de discrétion et de vivacité, principalement. Du coup, personne n’est habilité, à part lui et, occasionnellement, moi-même, à prendre les commandes de l’appareil.
— Et maintenant, il fait quoi, avec cet avion ?
— L’avion reste dans sa planque, ça évite d’attiser la curiosité de l’aviation civile. Et puis, il y a quelques heures, Philippe a eu besoin de l’emprunter ; une rapide mission d’exfiltration près de Los Angeles. Mais il vient de me confier avoir dû promettre à sa mère de remettre ses projets de pilotage clandestins au fond d’un coffre et d’en perdre la clé.
— Il a fait cette promesse à Marie ? s’étonna Joanie. Et si jamais il avait de nouveau besoin du Hibou ? Il doit être génial, cet avion !
— C’est un peu ce que je lui ai demandé.
— Et qu’est-ce qu’il a répondu ?
— « Tout mais prendre son envol ».
— Et Marie, reprit Joanie, si j’ai bien suivi, vous êtes en froid, tous les deux, mais ça n’a pas toujours été le cas, si elle t’a laissé t’occuper de son fils.
Un serveur arriva à ce moment-là, prévenant Fred qu’un appel téléphonique l’attendait. Fred se leva adressa un mot à Joanie avant de se diriger vers la cabine téléphonique vintage de l’établissement.
— Bon, ben, Marie et moi, ce sera pour une autre fois… Attends-moi là, je reviens très vite.
Après quelques instants, Fred revint vers Jo pour lui donner quelques bonnes nouvelles.
— Bien, notre héros est en route. Il vient te chercher, il t’emmène chez tes grands parents. Tu as de la veine, toi…
— Quoi ? Tu connais mes grands parents, en plus ?
— Non. Mais je connais la voiture dans laquelle tu vas rouler. Tu verras, c’est un vrai bijou.
— La voiture dont tu m’as parlé tout à l’heure ? Je la connais, quand le centre a été attaqué, Hector est arrivé avec et nous a récupérées, Marie et moi, pour nous mettre à l’abri. Ça n’a pas duré bien longtemps, mais c’était impressionnant. Il y avait un hélicoptère qui nous tirait dessus, ça faisait un boucan d’enfer…
— Mais vous ne risquiez rien, elle a été modifiée, elle est à l’épreuve des tirs balistiques. Tu verras, elle est vraiment classe. Bon, on a rendez-vous à la salle. Je vais te montrer deux ou trois joujoux. Tu pourras les emporter.
Arrivés à la salle, Fred sortit un paquet du dernier casier au fond du vestiaire et le donna à Joanie.
— C’est quoi, ça ? demanda-t-elle.
— Ouvre, c’est pour toi.
Joanie ouvrit le paquet, elle y trouva une combinaison avec le Golem en broche, une cagoule, une petite boîte avec une oreillette et des lentilles de contact, et enfin, une montre. Elle n’osait y croire.
— Pour moi ? Tout ça ? Tu veux dire que je…
— Je veux dire que, si tu vas avec Hector dans les jours à venir, tu auras besoin de ça. Non ! Non, non, non, non, non ! S’il te plaît, pas de bisou, pas de câlin. Je suis contre.
La porte de la salle s’ouvrit à ce moment, deux inconnus entrèrent, et, même s’il ne les connaissait pas, Fred ne semblait pas surpris de leur visite. Gardant son calme, il se tourna vers Joanie, de façon à la rassurer avant même de la voir comprendre et paniquer.
— Ah ! Regarde bien. Observe, ça pourra te servir, un de ces jours.
Le premier inconnu avança dans la lumière. Il avait un visage et une voix qui ne semblaient pas inconnue à Fred.
— Toi, mec, t’as un problème. Tu humilies mon petit frère en lui refusant ton club, et tu envoies mon autre frère en taule…
— Vous en avez pas marre ? Avec des frères aussi cons, il est mal parti le petit…
— Tu dis quoi ? Sale con, je vais te…
Au moment où le grand frère allait lui sauter dessus, Fred attrapa une cuillère à café sur la table et le frappa au biceps avec le manche. L’agresseur se tordit de douleur, sous les yeux incrédules de Joanie et de l’autre inconnu, tandis que Fred continua de le piquer avec la pointe arrondie du manche de la cuillère. Alors que le grand frère tomba sans connaissance, anesthésié par la douleur, Fred conseilla au deuxième inconnu de partir et de quitter le gang.
— Joanie, je vais appeler la police, qu’ils organisent une réunion de famille. Va dans le bureau et ne bouge pas.
Au départ des policiers avec leur prisonnier, l’Aston-Martin arriva. Hector en descendit, retrouva Fred et Joanie. Elle était toute excitée à l’idée de montrer à Hector le cadeau que venait de lui faire Fred.
— Regarde ce qu’il m’a donné ?
— Tu n’aurais pas dû… Elle est trop…
Ce ton de reproche, dans la voix d’Hector, Fred le trouvait injustifié. Il ne laissa pas son ami finir sa phrase.
— Arrête. Tu vas l’emmener avec toi. Elle aura besoin d’être en sécurité. Considère ça comme une ceinture de sécurité… ou un parachute.
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