Quand soudain...
Les vacances étaient synonymes de cauchemars. Tous les ans, à la même date, son angoisse atteignait un sommet. En une décennie, toute une chaîne de montagnes s’était dressée dans son paysage. Le confort de ses habitudes disparaissait à ce moment précis.
Propriétaire d’un pavillon, clone de ceux de tous les voisins du quartier, mari bichonné, père satisfait, que demander de mieux ? Il avait cessé de travailler pour vivre sur le salaire de sa compagne, élever leur quatre bambins, faire la cuisine et s’adonner à ses passions, le jardinage et la pêche. Licencié en raison d’une énième crise économique, il tenta l’aventure de l’intérim. Le résultat mitigé amena les époux à prendre cette décision qui convenait à chacun. Lui aux tâches ménagères et elle exerçant un travail qui la comblait intellectuellement et socialement. Il découvrit l’envers du décor avec ravissement. Leur organisation était parfaite, avec un minutage calculé pour gérer le passage de leur progéniture de la maison à l’école et inversement, l’achat et l’empilement des courses dans les placards, les sessions de sport, les balades et les cinés. Si les temps forts s’articulaient autour des entrées et sorties des établissements scolaires, la journée lui offrait des instants pour la culture, obtenant des légumes frais et bio dans l’assiette. L’après-midi, quand la météo le permettait, il s’installait sous un arbre et plongeait un fil dans les profondeurs de la rivière durant une heure. Avec un peu de chance, une fricassée de poissons était au menu du lendemain.
La bête noire dans sa vie s’appelait la belle-famille. Incapable de comprendre qu’il n’était pas un chômeur de longue durée fainéant, mais un homme au foyer. Incapable d’accepter que l’argent du ménage ait autant de valeur qu’il provienne du labeur d’un genre ou de l’autre. Incapable de percevoir que le bonheur d’une famille se construisait par elle et pour elle. S’il appréciait de rêvasser devant un bouchon bercé par le courant, pourquoi s’en priver ? Si elle adorait son job de journaliste dans un magazine médical, pourquoi le quitter ? Si les gamins trouvaient leur compte, pourquoi changer ?
Les vacances dans la belle-famille était donc le seul point noir de son existence. À cela s’ajoutait, comme à l’accoutumée, les bouchons sur l’autoroute pour rejoindre "son" enfer. Au cours des années, le couple avaient trouvé une flopée de techniques pour occuper ces périodes immobiles entre-coupés de sauts de puces. Devinettes, jeux de société, films sur le portable. La liste s’enrichissait de trajet en trajet. La pause déjeuner était passée d’improvisation affolée à séance de dégustation de plats froids inventés pour l’occasion. Leur tribu survivait à l’attente tant que la canicule n’ajoutait pas son tribut à porter. Là, le pire était à craindre.
Le choc violent, bruyant et imprévu fit sursauter la voiture tout entière. La petite dernière poussa le premier cri. Les autres enfants émirent à leur tour un hurlement quand leur regard se posèrent sur la cause de sa peur. Lui et elle, à l’avant, eurent une seconde de doute, se débattant avec les airbags qui avaient envahi leur espace. Puis, ils virent l’être étalé sur le capot. Comment, alors que la voiture se trouvait à l’arrêt, avait-elle pu heurter quelqu’un ? La réponse leur fut révélée la seconde suivante quand un second individu s’écrasa sur le véhicule à côté. Il pleuvait des gens ! En un rien de temps se fut des trombes de vies qui s’éclatèrent sur les carrosseries. Une hécatombe inimaginable. Sans compter les conducteurs et passagers terrorisés qui, quittant leur automobile sécurisée, se transformèrent en cibles ambulantes.
Enfin le calme après la tempête ! Il s’hasarda à mettre le nez dehors, la curiosité l’emportant sur l’inquiétude. L’observation des créatures aux formes humanoïdes, nues, sans aucun signe extérieur de sexe, ni musculature pouvant incliner sur le féminin ou le masculin, sans nombril, avec deux moignons tronçonnés dans le dos, l’amena à une conclusion évidente. On le savait, pourtant, qu’un jour cela arriverait. On le répétait depuis l’époque d’Astérix et d’Obélix que le ciel finirait par tomber sur les têtes. C’était aujourd’hui. Les anges chutaient sur les mortels.
Annotations
Versions