En Noëlie

  La Noëlie, pour les incultes qui l’ignoreraient, est un état minuscule enclavé sur les frontières de la Finlande, de la Norvège et de la Suède, mordant sur le territoire de la Laponie avec laquelle il est souvent confondu (1). Il est dirigé par le Père Noël, qui règne sur un peuple de lutins et un grand nombre de rennes et dispose d’immenses entrepôts enterrés où il stocke les jouets et cadeaux et où on le soupçonne de fabriquer… quelque chose !

  Afin de tirer cette affaire au clair, la capitaine Fleur d’Abomey (2) a été missionnée par Interpol et, accompagnée de l’agent spécial Thalina de la CIA (3), a pris l’affaire en main. Elle a décidé d’envoyer sur place le soldat Jacques sous couverture (4) de représentant d’une fabrique de jouets afin de recueillir des informations et d’infiltrer l’organisation.

  Chaque jour à 17 h, tandis que le Père Noël et tout son personnel prennent la pause thé, le fameux five Ô clock des Britanniques, Jacques transmet par messages cryptés l’état de ses recherches à sa capitaine stationnée en Suède, tout près de la frontière.

– Soldat Jacques au rapport, j’ai terminé l’inspection du premier entrepôt, R.A.S., il ne s’agit que d’aires de stockage de jouets et d’un atelier d’emballage de cadeaux. Demain je visite les ateliers de réception des marchandises, j’ai rendez-vous avec un certain Flammèche qui me servira de guide. Ils pensent tous que je veux exporter des jouets et produits destinés à remplir la hotte. Fin de transmission.

– Bien soldat, l’agent spécial Thalina vient de recevoir une information des services spéciaux, une livraison importante de produits non définis, en provenance de Colombie via le Moyen-Orient et l’Estonie doit arriver cette nuit, essayez de voir de quoi il s’agit en profitant de votre visite demain. Fin de communication.

– Ici agent spécial Thalina, les caisses sont toutes marquées FRAGILE suivi d’une croix rouge en forme de X. Je dois passer la frontière demain pour me rendre chez le Père Fouettard, son fils Jean-Balthazar m’a invité à déjeuner mais je suis méfiante avec ce type d’invitation, je vais emmener avec moi la capitaine Fleur en la présentant comme ma cousine. Bonne chance ! Fin de message.

– Bien reçu agent spécial, les rennes m’ont invité à boire un verre chez Gérard le tenancier de l’abreuv… euh… du bistrot local, je vais essayer de me renseigner. C’est la reprise ici alors fin de transmission.

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Pendant que le soldat s’abreuv… prenait un pot avec les rennes aux nez rouges (5), la capitaine Fleur et l’agent spécial Thalina tentaient de s’infiltrer en Noëlie, sans visa, en soudoyant les lutins gardes-frontière… euh ! Même pas ! Ils cuvaient leur vin, dormant en ronflant bruyamment dans le bureau quand elles sont passées sous la barrière fermant la route d'accès à la Noëlie, engoncées dans leur manteaux de fourrure en peau de phoque synthétique et coiffées d'une chapka assortie :

– Et merde ! Ils auraient pu enlever toutes ces bouses de rennes sur la route, fais gaffe Thalina j’ai marché dedans et ça glisse, bordel ! Mes bottes neuves sont toutes tachées maintenant !

–Trop tard ! J’y ai mis le pied dedans également, mes bottines Chie Mihara portent bien leur nom maintenant ! De toute façon c’était du pied gauche on m’a dit que ça portait chance !

– Moi, c’est les deux pieds, on verra bien. Regarde, une voiture arrive !

– Non c’est un traîneau, c’est jean Balthazar qui vient me chercher.

– Tant mieux ! Je ne me voyais pas faire trois bornes en zigzagant

– T’as raison, avec ma robe fourreau de Dior, en plus, je peux faire que des petits pas.

– Holà, les rennes ! Stop ! Bonjour les filles, montez, je vous emmène, Thalina, ma beauté, tu es resplendissante ce soir, ta cousine parfaite également.

– (Fleur chuchotant à l’oreille de Thalina) Il ressemble à Dutronc tu ne trouves pas ?

– Dutronc ? Quand il était jeune, peut-être ? Tu as raison, un faux air ! lui murmure-t-elle.

– Oui, un faux air… mais il a plutôt l’air faux, méfie-toi !

– Qu’est-ce que vous complotez toutes les deux ? Pas de messes basses ici, je ne suis pas curé ! Nous arrivons, faites attention où vous marchez, ces salopards de rennes font leurs besoins partout.

– Merci pour l’avertissement, nous nous en sommes déjà rendu-compte, malheureusement !

– Ne vous en faites pas, entrez, les gobelins vont vous nettoyer les souliers à l’intérieur.

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  Pendant ce temps, profitant de l’inattention des rennes, le soldat Jacques, à plat ventre dans la neige, sur le bord du terrain d’aviation, examinait les allées et venues des lutins déchargeant des caisses d’un petit avion bimoteur qui venait d’atterrir. À l’aide de ses jumelles il distinguait nettement les mentions et les croix rouges sur les caisses. Il repéra l’entrepôt dans lequel ces caisses étaient stockées puis rentra se réchauffer dans la chambre mise à sa disposition.

  Il ne pouvait rien faire de plus cette nuit. Il vit l’avion s’envoler et distingua sous le fuselage une inscription de trois caractères ressemblant à KPT.

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Quelque part sur les côtes du Maroc

  Dissimulée par les hautes herbes dans une anfractuosité de la falaise, l'agent Costello (6) regardait une demi-douzaine d’hommes chargeant plusieurs gros colis dans un puissant hors-bord.   

  Elle savait qu’il était inutile de prévenir les douaniers, ils étaient stationnés non loin mais ne viendraient qu’après le départ du canot. Elle composa un numéro sur son téléphone satellite afin de prévenir son collègue à Malaga et ainsi d’appréhender les passeurs et leur chargement lorsqu’ils débarqueront sur une plage.

  Méfiante elle appela également sa collègue de Marseille (7) pour le cas où ils se dérouteraient.

– Corail ? Salut cousine !

– Costello, ça me fait plaisir quel temps fait-il à Rabat ?

– En fait, je suis sur la côte nord, à quelques kilomètres d’Al Hoceima, je surveille des passeurs qui vont sans doute partir sur Malaga, j’ai prévenu là-bas, mais s’ils changent d’avis, ils iront livrer à Marseille comme l’an dernier.

– Si c’est le cas j’ai le temps de m’organiser, il va leur falloir au moins une vingtaine d’heures pour arriver. Je te tiens au courant.

Notes :

1 – Ces informations ont été vérifiées par nos soins et sont attestées par le célèbre guide Mytiflin .

2 – Les d’Abomey sont une vieille famille de la noblesse Béninoise, descendante d’une amazone du roi Behanzin du Dahomey

3 – Il est formellement interdit de divulguer cette information sous peine de poursuites fédérales.

4 – Une couverture épaisse et bien chaude est nécessaire étant donné le climat quasi polaire qui règne en Noëlie.

5 – Le nez rouge ? On devine pourquoi !

6 – Agent permanent d'Interpol siégeant à Rabat et Fès, chargée de la lutte antidrogue.

7 – Agent Corail, permanent d’Interpol basée à Marseille.

JI 29/01/19