Le havre de métal céleste

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J'avais dormi merveilleusement bien, la durée de mon sommeil, calibrée avec une précision parfaite grâce à la machine médicale qui bourdonnait doucement au-dessus de ma tête.

Je me leva sans peine de ma couchette et quitta avec regret mon matelas à la douceur cotonneuse. Des petits robots majordomes flottaient autour de moi, émettant des bips affectueux çà et là. Leurs loupiotes multicolores scrutaient mes constantes vitales pour s'assurer que tout allait bien.

Mes pieds parcouraient le sol chauffé et chromé, je me dirigeais vers la salle de pilotage. J’empruntais des couloirs colorés d'un bleu nuit profond. De petites lumières vertes flottantes comparables à des lucioles guidaient mes pas. Je connaissais cet engin par cœur, j'y avais passé un certain temps. Les cliquetis et vrombissements des machines argentées que j'y croisais avaient quelque chose de rassurant. Elles étaient réglées comme des horloges par une armée de robots intelligents et fidèles; tout fonctionnait à la perfection.

Rien ne manquait dans ce merveilleux appareil : il y avait tout le confort dont on aurait pu rêver sur Terre mais en mieux; l'atmosphère y était ajustée à la température la plus agréable possible : si bien que lorsque l'on s'y déplaçait, on se sentait comme emmitouflé dans une couette légère et virevoltante. Un instrument perfectionné faisait flotter un doux parfum dans l’air ; le décrire serait un exercice difficile tant il était profond et complexe : on pouvait y sentir chaque fruit et chaque fleur agréable à la fois, dans un mélange subtil qui pétillait dans les narines telle de la poussière d'étoile. Il est tellement doux et bienveillant qu'on l'oublie parfois, mais chaque fois qu'on y reporte son attention on le redécouvre de façon exquise.

Il y a l'eau chaude, bien entendu, et une salle de bain luxueuse. Le mobilier est fait sur-mesure : il est à la fois élégant et futuriste. Tous les divertissements existants jadis sur Terre sont là, il suffit de demander mais ce n'est pas tout à fait cela qui fait de cet endroit un havre de paix.

Je m'installais aux commandes et observais par la vitre l'espace si vide, si calme, si magnifique. Il n'y avait pas un bruit. Je tournais l'engin pour observer la Terre. Elle était si belle et si calme vue d'ici. J'étais loin de son tumulte, de son agitation et de ses guerres. Rien ne pouvait m'arriver ici, j'étais protégé dans ce doux géant d’acier : cent couches de blindage et de boucliers à la pointe de la technologie se dressaient entre moi et toute menace.

Cette machine était le vaisseau spatial le plus puissant jamais créé, il n'avait jamais rien existé de tel sur terre depuis que je l'avais mis au point et il n'en existera jamais rien d'équivalent avant bien longtemps. À bord j'ai le pouvoir de tout détruire et de tout reconstruire à ma guise, là est le vrai sentiment de sécurité. Je n'ai rien à craindre, je suis immortel, tout est possible, seule l'imagination est ma limite car la technologie n'en est plus une.

Durant ces dix dernières années j'ai travaillé sans relâche afin de créer discrètement un empire robotique. Personne ne connaît son existence à part moi: à quoi bon? L'humanité me prendrait pour un savant fou. Je ne supportais plus de vivre au milieu du tumulte de ces primates, alors j'ai déménagé dans l'espace. Je les observe depuis les hauteurs célestes, je les vois s'agiter telles des fourmis.

Dans l'espace règne un merveilleux silence, aucune nuisance sonore pour me gêner dans ma méditation. Aucune pollution visuelle et lumineuse ne m'empêchait d'observer la magnificence des étoiles. Pas un bruit ne me sortait de mes lectures édifiantes. J'avais une bibliothèque spatiale géante attitrée, toutes les plus belles œuvres du monde y étaient et j'avais l'éternité pour les apprécier.

Si, toutefois, il pouvait m'arriver de m'ennuyer, je pouvais observer ce qu'il se passait sur la Terre avec une grande précision grâce à une batterie de capteurs et de mini-robots espions. Je voyais tout, j'entendais tout comme si j'y étais. La situation y était déprimante : catastrophes écologiques, guerres et famines. Toute cette violence, tout ce vacarme... J'en étais préservé, je l'observais à une distance raisonnable. Il n'y avait rien de mieux que d'être au calme, dans un confort absolu et d'observer l'agitation à travers ces écrans. Comme lorsque l'on est enroulé dans sa couette un soir d'automne et que la pluie tapote sur les fenêtres.

J'étais assis sur mon siège massant, les jambes posées sur la console du cockpit en face de moi. Une manette à la main, je jouais à mes jeux-vidéos préférés dont les images étaient retransmises sur plusieurs écrans géants. J'avais l'immensité de l'espace sous mes doigts de pieds posés contre la vitre blindée.

Il m'arrivait parfois de visiter la lune, juste pour le plaisir. D'enfiler ma combinaison, de poser un transat dans l'un de ses cratères et d'y lire un bon roman sous les yeux brillants des étoiles. Le système solaire était à moi et à moi seul. Chaque planète vierge de toute présence humaine était une destination touristique pour moi, je pouvais les explorer à loisir à dos de moto volante à réaction.

J'ai honte mais parfois, lorsque je m'ennuie, il m'arrive de braquer sur les puissances occidentales avides et cruelles de ce monde toutes les armes thermonucléaires que j'ai à ma disposition. A la nouvelle d'un attentat ou d'un nouveau conflit, il me prend souvent l'idée folle de vouloir tout détruire pour tout recommencer à zéro.

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