L'entrepôt
C’est un immense entrepôt de tôle ondulée. Il y fait froid et sombre. Ça sent l’humidité et les produits d’entretien. Une odeur rance et acide qui vous racle la gorge. Le plafond est vertigineux. Quand je le regarde, mon cerveau tourne dans ma tête et j’en perds l’équilibre, dans mon vertige, l’air lourd glacial me rattrape par les côtes. Il y a des poutres en acier et des chaînes qui pendent au-dessus de moi. Des milliers de choses métalliques sont rangées dans des étagères qui zèbrent les lieux d’ombres livides sous les néons fades qui clignotent leur désarroi. Quelques machines ronronnent et vibrent, elles résonnent dans le métal du toit et des murs.
Je n’avais pas remarqué cet imposant robot accroché en haut du mur argenté en face de moi, il semble endormi, mais fait des soubresauts et des cliquetis. C’est un demi-buste de tôle, muni d’une tête squelettique d’armatures et de grilles d’aération.
J’ignore quelle est sa fonction, mais je sais d'instinct qu’il n’est pas bon de rester à sa portée quand il sera activé. A vrai dire, sa seule immensité en fait une menace, ses bras faits de vérins et de poulies sont encore repliés contre les murs, ses mains pendues au plafond par des câbles, semblent assez grandes pour se déployer et m’atteindre, où que je sois dans ces lieux.
Je cherche du regard une issue, il n’y en a aucune. Pas de porte, pas de trappe, seulement des échelles menant nulle part, et des escabeaux entre les rayons. Le centre de l'entrepôt où je me trouve est vide, le sol est lisse, on dirait un terrain de jeu dégagé pour le mastodonte qui pend au-dessus de ma tête. Contre les murs, des tonnes d’équipements, et des tuyaux bouillants.
Mes pas résonnent, leurs bruits font écho contre les poutres et déclenchent le vol de quelques oiseaux malades, captifs comme moi. Ils virevoltent entre les chaînes qu’ils font tinter, puis se posent entre deux pics acérés de fer rouillé et m’observent d’en haut.
Je fouille dans tous ces fatras, sans trouver chose utile. Tout objet semble ici avoir eu tant d’usages qu’ils en sont devenus déformés, méconnaissables tels de vieux troncs tortueux substrats d’une mousse de rouille. Les bouger provoque des remugles d’odeurs de fer tenaces qui restent sur les mains et les colorent de gris et de roux. Un tuyau tombe et fait un fracas, les oiseaux s’agitent.
Soudain, dans un vrombissement infernal, le robot du plafond s’éveille, ses grilles soufflent sur moi un air brûlant et lourd, ses yeux sont deux phares oranges ardents qui m’éclairent parmi les décombres. Ses bras d’acier se déploient dans un crissement infâme et s’élancent vers moi, renversant les étagères. Tels des dominos elles tombent une par une autour de moi et forment une cage de métal impénétrable sur laquelle le robot frappe.
La créature frustrée montre ses dents en zinc et pousse des grondements électriques dont je sens l’ozone brûler mes narines. Ses entrailles faites d’engrenages et d’étincelles s’animent, toute cette machinerie travaille dans le but de m’éliminer, son buste se contorsionne sous le plafond tandis qu’elle arrache les entrelacements d’armature qui me protègent.
Pendant une éternité, le géant cogne avec ses mains immenses en alternance sur la cage de débris qui rétrécit peu à peu autour de moi. Après un coup puissant, une tige en métal rouillé fuse et me rentre dans le flanc, la douleur me fait crier. A ce son, le robot se fige, ses yeux de verre s’exorbitent à tel point qu’ils foncent sur moi et s’arrêtent à proximité de ma tête, retenus par des câbles rigides. Ils me toisent, inspectent mes blessures puis reviennent à leur place non sans chocs et tâtonnements.
Le squelette s’arrête le temps de traiter l’information puis tremble et grésille en laissant apparaître ses dents pointues dont certaines se délogent et me tombent dessus en me lacérant le visage, l’une manque de m'éborgner. Les grésillements redoublent d’intensité. Je ne suis alors qu’une masse ensanglantée. Je m’agenouille, joint mes mains en direction du tortionnaire et pleure en implorant pardon:
“Pitié! Laisse moi! Je veux juste partir d’ici, je ne volerais rien promis! Je ne veux pas mourir! J’ai mal, je souffre! Aide-moi!”
En guise de réponse, ses dents repoussent plus acérées et lustrées que les dernières.
“Pitié! Je t’en supplie!”
Les échos de ma voix pathétique rebondissent sur lui et les murs faisant piailler quelques corbeaux, ils laissent ensuite place au silence de taule. Il réfléchit, je le vois dans ses yeux vitreux, il ne sait pas quoi faire de ça.
Après de longues minutes, Il se penche en avant, pose son menton d’acier sur le béton et ouvre la bouche, son bras se plie et il la pointe du doigt. Au fond de sa gorge, on devine une échelle.
Je reste tétanisé, incapable de faire confiance à ce crane sadique qui jusqu’ici tentait de me tuer. Mais après un long délai de réflexion et en désespoir de cause, sous l’effet de la douleur dont elle me donne envie d’une fin rapide quelle qu'elle soit, je sors de mon abri et emprunte l’échelle. Partagé entre la volonté de mourir vite ou de vivre à tout prix et la peur qu’il change d’avis… Devant cette opportunité inespérée j’attrape les barreaux de l’échelle un à un et me hisse dans une caverne d’engrenages sans fin...
Annotations
Versions