Willy – À l’air libre
L'un des premiers trucs que j’ai fait une fois dehors, c'est de passer un coup de fil à ma mère, et à Basile ; ça fait un bout de temps que j'l'ai pas vu, ce p'tit con, et il me manque. J’ai papoté un peu avec lui au téléphone, j'lui ai dit que j'suis sorti, que tout va bien, que j'ai parlé à ma mère, blablabla, la pluie et le beau temps quoi. Je sais pas du tout comment il a pris l'fait que j'ai quitté la taule avec un an d’avance. Bien j’espère.
Au début de mon séjour au trou, p'tit Basile venait parfois me rendre visite. Puis il a complètement arrêté. J'lui en veux pas, il avait juste mieux à faire.
Il avait l’air en forme au téléphone, c’est l’essentiel.
Je suis actuellement dans un bus tout droit direction Roah, et putain qu’c’est bon d'revenir. Je vais pouvoir reprendre ma vie là où je l’avais laissé, avec du changement et des nouveautés.
Une fois bien arrivé, la première chose que je fais c'est de réspiré un grand coup l'air de la Bretagne.
IM FUCKING FREE MAN, PUTAIN QU'CEST BON ! Un des seuls trucs positifs de la taule, c'est qu'elle vous donne l'occase de vraiment savourer la liberté. J'irai même plus loin : elle vous ouvre les yeux sur ce qu'elle est en réalité !
Je fonce faire un coucou en chair et en os à ma mère, chez elle, dans son l'immeuble toujours aussi grisâtre. Elle aussi a l'air d’avoir la patate, ça fait plaisir. Et par dessus l'marché elle m'apprend qu'elle a effectué un grand pas en avant : elle a rompu avec Franck. ENFIN !
Elle m'avoue aussi qu'elle a peur qu'il revienne pour la faire chier, mais j'lui assure que je laisserais plus ce con s'approcher d'elle si elle veut plus d'lui.
J'ai son autorisation pour rester habiter un peu là, le temps de trouver job et logement. C’est une sainte ma mère, à sa place j'me serais laissé me démerder.
J'décide de sortir et d’aller boire un coup dans le rade d’en face, qui a changé de nom d’ailleurs. Je reconnais personne une fois à l’intérieur mais je m’en fou, je suis juste là pour prendre une bonne bière, ptète même deux ou trois, histoire d'fêter ma sortie. Rien d'tel qu’une bonne mousse pour que la liberté ait encore plus de saveur.
Le bar est plutôt classe, faut bien le reconnaître, rien à voir avec avant. Seul truc qui vient un peu gâcher le tableau, c’est cette odeur d'urine que dégage un des clodos venu dépenser son butin. Putain, ce genre de poivrot pourrait pas aller pisser sur les voitures des bourges, au lieu de faire sur eux ? Merde, même les chiens ils y arrivent !
Je me colle sur une des chaises hautes du bar, commande une leffe et m’apprête à tailler une discute avec le barman histoire de faire un peu connaissance, quand tout à coup un mec que j'connais se pointe à la porte : Paul Josse, un des potes et associé de Franck. Il a bien gonflé , i s'est laissé aller. Son visage graisseux est encore plus rond qu’avant, et de nouvelles rides y sont placées un peu partout. Quel âge ça doit lui faire maintenant, cinquante, soixante piges ? Et pourtant il est toujours dans les trafics et autres magouilles pourris avec mon connard d'ex beau-père, i suffit d'voir son air toujours aussi sûr de lui pour capter ça. À son âge c’est triste.
Je prie en silence pour qu’il me calcule pas, mais évidemment, me reconnaître est la première chose que fait c’putain d'gros débile ...
- Willy ! Qu’il crie en souriant et en s’amenant vers moi, qu’est c’que tu fous là ? T’es déjà sorti?
Il est déjà à un seul mètre de moi, en train de s’assoir sur la chaise haute à côté de la mienne quand j’lui réponds :
- Bah sois ça, sois j’me suis évadé. Mais tu dois bien te douter que si j’ai mon cul fourré ici, c’est que j’suis pas en cavale.
- Ouais, logique, qu’il ricane.
Je suis pas très heureux d’le voir, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais bon, ça va pas me tuer de discuter avec ce sac à cellulite. Enfin, tant qu’il ne me parle pas de rebosser avec lui et Franck.
Il commande un verre et il me questionne :
- Alors, t’es sorti quand ?
Je le regarde passivement sans sourire en arquant mon sourcil droit, histoire de lui faire comprendre que reparler d'la prison que j'viens de quitter me branche pas des masses, avant de lui dire :
- Ce matin mec, ce matin.
- Et ça à pas été trop dur en taule ?
- Nan, ça va, suffit d’faire gaffe on va dire. J’ai pas trop eu à me plaindre, j’ai fait c’qui fallait quand i fallait. Le plus dur c’est l’enfermement.
- C’est vrai qu’tas toujours été un peu claustro.
- Nan, enfin si. Mais ça à la limite on s’y fait vite. Ce qu'i y a de vraiment chiant en fait, c’est la privation de ce que t'aimais dans la vie, de ton indépendance quoi. Y aurait d’quoi péter un boulon pour les fragiles. Tu relativises complètement c'que c'est d'être libre.
C'est super généralisé et pas bien profond ce que je viens de lui sortir, mais c'est la vérité et c'est comme ça que je le ressens, comme ça que je le dis.
Paul descend le contenu de son verre super vite et en redemande un autre. Il est toujours autant porté sur la boisson. Que c’con compte pas sur moi pour lui filer un bout de mon foie quand il aura complètement bousillé le sien.
Il lève les yeux vers moi et m’avoue :
- Ouais, c’est sûr. Nous autres on tient bon. On n'est pas des fiottes.
Je soupire, non seulement parce que j’ai beaucoup de mal à voir ce gros tas tenir plus d’un an au placard, mais aussi parce que c’est un poltron qui fait que ce cacher derrière Franck. Et ce poltron vient de traiter les autres poltrons de fiottes. C’est … Assez beau, en quelque sorte !
- Et sinon, qu’il reprend, t’as des nouvelles de ton ancien pote? Merde, comment il s’appelle déjà ? Tu sais, l’enculé qui vous a piqué je sais plus combien, un sacrés paquet d’fric, que vous aviez gagné au loto, lui, toi et ton autre pote là. T’sais, l'Tom Cruise du pauvre.
Alors là, ce que ce gros tas vient de sortir, c’est un véritable et bien douloureux coup que je reçois en plein dans les couilles.
Ce vieux con me fait repenser à cette enflure d’Antoine, alors que jusque là je passais un pas trop mauvais moment. Je sens mes nerfs se tendre, la colère monté à toute vitesse. Il faut que je me fige totalement mentalement ; un sacré effort. Je dois mettre en pratique ce sur quoi j’ai travaillé avec le psy de la prison, Stéphane. Première étape, la plus dure des trois, me forcer à prendre toutes cette merde, cette négativité empoisonnante et à relativiser sur son importance. Deuxième étape, m’imaginer être dans l’endroit le plus relaxant du monde ; dans mon cas une certaine falaise pas très loin de la plage de Donnant, à Belle-Île-en-Mer. Puis ; troisième et dernière étape, expirer intérieurement dans ce refuge perso tout ce bordel. J’arrive, non sans mal, à réaliser ses trois putains d’phases.
J’dirige alors ma tête vers celle de Paul, visiblement troublé par se long silence, pour enfin lui répondre :
- Il s’appelle Antoine, et non j’ai pas d’nouvelles de lui …
EVIDEMMENT QUE J’AI PAS D’NOUVELLE DE LUI TROU DU CUL, SI JE SAVAIS OÙ CE SAC À MERDE ÉTAIT J’LUI AURAIS D’JA FAIT LA PEAU !!! PUTAIN D’MONGOL DE …
Je respire un grand coup, m’efforce de ne pas sortir tout ce à quoi je viens de penser, et reprend :
- … si on pouvait n’pas parler d’lui j’apprécierais, merci.
Paul voit bien que continuer sur ce sujet serait à ses risques et surtout à ses périls, aussi il décide de mettre fin au sujet Antoine :
- Comme tu veux, mon pote.
Je vois bien qu’à présent il cherche un nouveau sujet, parce qu’il sait qu’c’est pas moi qui vais relancer la discussion. Aussi j’observe dicrètosse ses yeux, et surtout ses sourcils qui se fronce puis s’arquesur sa salle tronche de grosse fouine, signe de réflexion.
Je me dis qu’il va lancer un débat intéressant, et que finalement le moment passé avec lui s’ra plutôt agréable, ou du moins pas l’inverse. Mais non, il m’enfonce un nouveau clou en plein dans les parties génitales :
- Maintenant que t’es sortie, tu vas pouvoir te remettre à bosser avec Franck ! Le bon vieux temps se repointe, hein Willy ? Dit-il en ricanant beaucoup trop fort.
Et nous y voilà… Je devais m’y attendre. En bossant avec, qu’est c’que j’raconte, pour un type comme Franck pendant dix ans, lui et ses gars allaient pas m’lâcher de si tôt. C’est littéralement votre putain d’passer qu’un séjour au placard vous a pousser à quitté qui se ramène et qui vous lâche pas. Depuis pratiquement quatre ans, je fais tout c’que j’peux pour changer. Pour pas refaire les mêmes conneries. Mais c’est ultra dur, parce que cette colère elle est en moi, gravé pour ce qui semble être la putain d’éternité. J’ai fait un gros boulot avec le doc Stéphane en Prison pour tenter de la contrôler. Un chouette gars ce psy, je sentais à chaque secondes passé avec lui qu’il avait vraiment envi de m’aider. Et tout ce taffe semble bien inutile tout à coup, quand un type comme Paul Josse vous parle de reprendre les couillonades que vous vous êtes juré de quitter.
Nan. Il faut pas se dire ça. Je peux garder mon calme. Ou pas.
Les trois quarts du temps la colère est un poison, mais le quart restant, elle est nécessaire. Mais pour l’instant je la joue cool, et tente de faire comprendre à Paul que j’suis pas intéressé :
- Nan merci. J’ai eu quatre piges pour réfléchir, tu vois. Et j’veux passer à autre chose. Je laisse tomber tous les trucs qui pourraient me faire retourner au trou. Je vais mener une vie rangé.
Quand il entend ça, les petits yeux d’Paul s’arrondissent de surprise. Compréhensible. Maintenant j’espère qu’il va me lâcher avec ça, parce que sans dec, il vaut mieux pour lui. Le con se met alors à se bidonner :
- T’es pas sérieux, Willy ? Tu peux pas ta barrer comme ça, c'mode de vie c'est l'tient mon pote.
Il continu à rire. Mais tu vas voir, j’vais te couper ça moi. Je met ma tronche à cinq centimètre de la sienne, plonge mon regard de colère pure dans l’sien et lui dit tout bas :
- Tu veux que j’te montre à quel point j’suis sérieux ?
L’effet souhaité est là. Son esclaffement de gros débile s’arrête net. Il soutient mon œillade pendant deux secondes avant d’baisser les yeux. Ca y est, il se chie dessus. Je pouvais déjà l'mettre KO à quinze ans c'gros naze, alors maintenant qu'jen ai l'double...
Une bande de criminel c’est un peu comme une secte, pour qu’elle arrête de vous faire chier, faut lui faire peur tout d’suite.
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