5 - CV magique
« Y-a t'il un volontaire pour ouvrir le bal ? »
Personne ne bougea dans la pièce. On aurait pu entendre une mouche voler. Le seul bruit qui perçait était un murmure entre les jumeaux qui, dans ce silence parfait, s'entendait comme s'il était prononcé à voix haute.
« Je peux y aller. Ce sera rapide et nous serons rapidement réunis.
— Mais s'il arrive quelque chose ?
— Non, il ne faut pas y penser. »
Ils échangèrent un hochement de tête puis un regard qu'eux seuls comprirent puis leurs mains se délièrent.
« Moi, je suis volontaire. »
La petite fille s'avança vers Lady qui lui expliqua calmement le processus.
« C'est très simple : il te suffit de franchir cette porte, de suivre le couloir puis, à l'instant où tu entendras une clochette retentir, il te faudra te placer devant la vitre. Là, la voix de Bell te dira tout ce que tu as besoin d'entendre. Il est coutume qu'elle résume ton arbre généalogique et notamment les membres porteurs d'un gène Imagio, qui l'aient été Maîtres ou non. Retiens le plus d'informations possible, elles pourront te servir plus tard. »
Puis, sans autre explication, Lady ouvrit la porte de bois et pria la jumelle d'un geste de la main de s'y aventurer. La petite fille jeta un dernier coup d'œil hésitant en direction de son frère qui l'encouragea d'un œillade puis elle se décida à avancer. La porte se referma doucement derrière elle.
La petite fille commença sa progression dans le couloir en jetant frénétiquement des coups d'œil derrière elle. Le contact avec son frère était rompu et c'était un fait si rare qu'elle se sentait mal de ne pas sentir le toucher de sa peau sous ses doigts. Le couloir était vide : ni portes, ni tableaux, ni tapis, ni guéridon, seulement elle et l'écho de ses petits talons sur le carrelage.
Il ne fallut pas longtemps avant qu'un Ding digne des plus grands clochers retentisse dans le corridor. Suivant les conseils de Lady, elle se plaça devant la vitre, alors que les enfants la regardait, impatients, mais ne put réprimer un frisson lorsqu'une voix rocailleuse résonna :
« Arrière-arrière-petite-fille de Celia Boréalis, Maître-Imagio des Météorites.
« Cousine éloignée de Maria Loustan, Imagio des Nuages.
« Estrella Rafaela Sautens, Imagio du vent. »
Un nouveau coup de cloche retentit, comme l'annonce d'une sentence puis, le silence retomba.
Les yeux fixés dans ceux de son jumeau fusionnel, Estrella ne bougeait pas. Pour elle, ces mots n'avaient pas d'autre sens que celui qui frappait contre l'intérieur de son crâne : elle avait une famille. Pendant très longtemps – trop longtemps – son frère et elle avaient crus ne pas avoir de famille et voilà que deux noms étaient balancés à sa figure. Célia Boréalis et Maria Loustan : ces noms sonnaient délicieusement à ses oreilles. D'un pas automatique, elle retourna dans le vestibule et, sous les congratulations de Lady, elle s'avança jusqu'à son frère.
« C'est fantastique, Estrella ! Le vent est une caractéristique très puissante. »
Mais la petite fille ne l'entendait pas. Elle prit la main de son frère et, se penchant à son oreille, elle murmure : « Nous avons une famille. »
Pendant ce temps, Lady cherchait un autre volontaire parmi les enfants. Elle scruta le blanc des yeux de chacun, le sondant tour à tour avant de passer au suivant. Enfin, elle s'arrêta sur Grassouillet et lui offrit un doux sourire qui le glaça profondément. Il frissonna mais s'avança comme s'il avait compris quel ordre elle lui donnait. Sans ajouter une parole, il s'engagea dans le couloir.
À peine eut-il fait trois pas sous le regard des autres enfants qu'il entendit la cloche résonner. Suivant les instructions, il s'installa devant la vitre et attendit, angoissé. Son attente ne fut pas longe : bientôt, la voix de Bell résonnait.
« Descendant direct de Harald Petadennis, Maître-Imagio des Flocons.
« Arrière-petit-neveu d'Albertha Petadennis, Maître-Imagio des Bouilloires.
« Petit-fils de Constantinus Petadennis, Maître-Imagio des Asteraceae.
« Frère cadet de Paul Jonas Petadennis, Imagio des Lapins.
« Blaise Gédéon Petadennis, Imagio des Miroirs. »
À nouveau la cloche retentit et Grassouillet/Blaise se précipita dans le vestibule. Il n'avait aucune envie de rester une seconde de plus dans cet étrange couloir qui était capable de réciter de mémoire son arbre généalogique sans faire d'erreur.
Blaise n'était pas un habitué des courses à pied, même très courtes. Aussi, c'est tout rouge et essoufflé qu'il passa la porte. Lady le félicita chaudement.
« Blaise, quel curriculum vitæ impressionant !
— On m'appelle Gédéon, marmonna-t-il entre ses dents.»
Mais l'élégante femme ne l'avait pas entendu. Déjà, elle cherchait parmi les enfants un autre volontaire pour ne pas que cette nuit, déjà entamée au premier tiers, ne s'éternise. Dans le groupe, une mâchoire s'ouvrait de temps à autre pour laisser échapper un bâillement incontrôlable. À d'autres instants, des yeux se fermaient avant de s'ouvrir violemment. Les enfants avaient beau être fascinés par ce qu'il se passait – à tel point que certains se croyaient en plein rêve – ils n'en étaient pas moins épuisés. Le corps fatiguait, l'esprit s'allumait.
Léocadia, au contraire, était parfaitement éveillée. Elle regardait autour d'elle, les yeux écarquillés comme une chouette, accumulant le plus d'informations possibles pour pouvoir les analyser une fois qu'elle serait seule.La prochaine étape qu'elle attendait était son propre passage au couloir. Après avoir vu deux de ses "camarades" se faire dicter leur capacités surnaturelles par une voix invisible prénommée Bell, elle voulait tenter sa chance. Mais elle ne fut pas assez rapide : à peine avait-elle bougé d'un pas qu'elle vit le petit maigre à lunettes se faufiler rapidement entre les enfants et pénétrer dans le corridor. Elle soupira. Son tour serait le suivant.
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