7. La Galerie des Portraits

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Si les enfants pensaient qu'après ça, ils pourraient gagner un lit et s'endormir, ils furent vite détrompés. Lady les balada de nouveau dans le Manoir. Ils revinrent dans le Hall où les deux portraits continuaient de les suivre du regard. Une phrase qu'avait prononcé Lady plutôt revint en mémoire à la jeune Léocadia. Mon époux, Sir, est maître-Imagio des portraits : il peut transformer, utiliser n'importe quel portrait à sa guise, avait-elle dit. Était-il en train de les observer à cet instant même ? Elle frissonna malgré elle à cette pensée avant de rejoindre au trot le groupe qui s'éloignait.

Ils commençaient à monter les énormes escaliers dressés au centre du hall. Le palier leur paraissait inatteignable. Leur perception fatiguée le faisait s'éloigner à chaque marche.

Enfin, ils arrivèrent à l'étage. Devant eux, et c'est la seule chose qui attira l'attention de Léocadia, s'étalait une immense galerie de portraits. Tous de la même taille, alignés et séparés de quinze centimètres exactement, ils fixaient les enfants de leurs yeux poussiéreux. Léocadia s'approcha à petits pas et fixa son regard sur un des cadres à hauteur d'yeux. Il représentait une jeune femme à la peau claire et le sourire éclatant. De profil, et sous sa masse de cheveux bouclés, on devinait à peine ses joues parsemées de tâches de rousseurs. Une petite plaque de bronze soulignait le cadre doré. « Florence Lagrange » indiquait celle-ci.

« La grand-mère de Margueritte, pensa Léocadia à voix haute en se souvenant du discours de Bell. »

Un petit bruit derrière la fit se retourner vivement. Quand on parle du loup... S'éloignant elle aussi du groupe, Boule-de-cheveux s'était placée derrière elle et observait les portraits par-dessus son épaule.

Avec un sourire si semblable à celui du portrait, elle tendit une main à Léocadia :

« Je ne pense que nous avons été présentée en bonne et due forme. Je m'appelle Maggie.

— Léocadia, lui répondit-elle en serrant sa main tendue. »

Elles échangèrent un sourire. Puis, Maggie se tourna de nouveau vers le portrait :

« Je n'ai pas vue ma grand-mère depuis mes quatre ans. Qui sait si elle est encore en vie...

— C'est vraiment elle ? demanda Léocadia, presque incrédule. »

Après tout, il était normal qu'elle se pose des questions. Comment se faisait-il que sept enfants, débarqués des quatre coins de l'Europe, se retrouvent dans un étrange Manoir géré par une étrange famille composée d'étranges magiciens qui les connaissait ? Cela devait même être encore plus étrange pour Maggie de voir le portrait de sa grand-mère, affichée en plein milieu de la Galerie des Portraits.

« Ne traînez pas, voyons ! »

La voix autoritaire de Lady résonna et les deux jeunes filles se tournèrent brusquement vers elle. Le petit groupe avait rapidement progressé et les fillettes étaient à la traîne. Elles échangèrent un bref regard avant de courir presque pour rattraper les autres.

Maggie vint se placer juste à côté de Blaise/Gédéon/Grassouillet – Léocadia n'avait pas encore décidé comment elle devait l'appeler – et se pencha vers son oreille.

« Qu'est-ce que j'ai raté ? murmura-t-il. »

Le jeune garçon sursauta avant de s'éloigner d'elle. Il ne lui adressa pas la parole et se contenta de marcher quelques pas derrière les jumeaux.

Haussant les épaules, Maggie rejoignit Léocadia qui fermait la marche.

« Je suis sûr qu'il va s'en remettre, lui dit-elle en jetant son menu menton en direction du garçon. Je n'y suis pour rien, moi, si je suis Ima-machin de lui...

— Imagio, la reprit distraitement Léocadia tout en continuant de jeter des petits coups d'œil sur le mur. »

Les portraits s'étalaient sur toute la longueur du couloir, sans interruption. Un détail récurrent attira l'attention de la jeune fille. Certains portraits étaient couverts d'un voile si sombre que l'on ne discutait plus les traits du portrait. Qui étaient les personnes dont on masquait le visage ?  Cette question la suivit jusqu'à ce que le petit groupe, Léocadia et Maggie toujours à la traîne, entre dans un bureau au bout du corridor.

Les murs, montant jusqu'à quatre mètres de hauteur, étaient invisible sous les étagères garnies de livres inconnus du grand public. Un bureau d'acajou, immense et imposant, occupait le centre de la pièce. Dessus, rien, à l’exception d'un encrier, d'une plume d'oie immaculée et d'un énorme manuscrit. Lady s'en approcha, ses talons claquant contre le parquet de bois. Sans aucune considération pour la fragilité du livre, elle l'ouvrit au milieu, posant la tranche directement sur le bureau et feuilleta les feuillets jusqu'à tomber sur un vierge.

Ses ongles manucurés se saisirent de la plume et la trempèrent, par le bout, d'un geste vif et précis, dans le petit encrier. Elle dégagea ses bracelets d'un mouvement habitué du poignet et des gouttelettes d'encre brune tachèrent le coin de la page jaunie par le temps.

En haut à gauche et d'une écriture appliquée, elle écrivit la date du jour suivit du nom de chaque enfant. En face des patronymes, quelques mystérieux chiffres apparaissaient.

Les sept paires d'yeux l'observaient, fascinés. Lorsqu'elle eut finit, elle reposa la plume sur le bord de l'encrier, pour qu'elle ne trempe pas de l'encre ni ne tache le bureau et se tourna vers les enfants.

« Estrella, annonça-t-elle. »

La fillette s'avança, timidement, ses doigts lâchant avec peine ceux de son frère.

Lady récupéra la plume et la glissa dans la main de la fillette. Elle pointa du doigt un espace libre en face de son nom, le premier de la colonne.

« Signe, ici. Non, non, tu n'as pas besoin d'encre, l'interrompit-elle en la voyant s'approcher de l'encrier, il en reste sur la plume. »

Incrédule, la fillette posa la plume sur le papier et traça quelques signes, sensés symboliser son nom. Lorsqu'elle eut finit, elle était toute pâle. Lady lui prit la plume des mains et la reposa à sa place. Elle se tourna ensuite vers Estrella qui attendait ses instructions.

« Vas-t-asseoir là-bas et évite de t'évanouir. »

Sans se faire prier, la jeune fille s'installa contre le mur, son visage blême tourné vers le plafond. Léocadia la fixait, inquiète. Que s'était-il passé pour qu'elle soit dans cet état-là ?

Sans perdre de temps, Lady avait déjà appelé Blaise/Gédéon/Grassouillet à venir signer. D'après elle, lui non plus n'avait pas besoin d'encre pour signer. Était-ce une plume qui retenait l'encre ? Comment pouvait-il y en avoir assez pour autant de mots tracés sur la feuille. Une fois le livre signé, la jeune garçon arborait la même expression qu'Estrella, comme si le sang avait déserté son visage. Il se tenait la main.

Chacun des enfants signa le registre, sans tremper une seule fois la plume dans l'encre. Léocadia y passa aussi. Un sentiment de malaise général l'envahit lorsqu'elle retira sa main du livre. Elle avait l'impression d'avoir signé avec son propre sang.

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