11 - Premiers cours
Son explication terminée, Lady décida qu'il était temps de débuter l'enseignement. Tout comme pour la répartition des chambres, se fut elle qui choisit leur place.
« À moins d'un ordre contraire, elles ne changeront pas. »
Son regard catégorique se fixa un instant de plus sur Maggie qui se tortillait, mal à l'aise sur sa chaise, avant de balayer la classe entière. En réalité, Lady n'avait aucunement changé de répartition et les binômes de pupitres se trouvaient être les camarades de chambre. Seule Estrella se trouvait seule au dernier rang, son jumeau ayant été placé près de Kanako.
« Sortez vos cahiers et écrivez sur la première page : Année Une. »
En disant cela, Lady saisit une craie et traça les deux mots d'une splendide calligraphie modelée par des années de perfectionnement. Un ou deux soupirs d'admiration parcoururent les rangs et un discret sourire de satisfaction s'épanouit sur les lèvres de Lady.
Les enfants sortirent des cases sous leurs pupitres cinq cahiers vierges reliés de couleurs différentes : rose, jaune, bleu, vert et noir.
« Cahier bleu. »
Et ils ouvrirent leur cahier bleu.
« Aujourd'hui, nous allons commencer par quelques notions de géographie, dit elle en écrivant le mot au tableau. Il est important de savoir se repérer dans l'espace. Apprenez bien vos leçons chaque soir car vous serez souvent amenés à les réutiliser en travaux pratiques. »
Ses talons claquant sur le parquet ancien, elle traversa la classe et se planta devant la carte du monde.
« Qui peut me citer les cinq régions composant l'Occratie orientale. »
Le silence s'installa dans la salle de classe. Personne, à première vue, ne semblait avoir entendu parler de l'Occratie. Léocadia se creusa la mémoire mais ne put trouver aucune mention dans son cerveau de ce lieu.
« Le Yanire, l'Herbole, la Costonie, les Plos et la Mandia, dit Athaliel d'une petite voix rougissante.»
Sans paraître impressionnée, Lady renchérit :
« C'est très bien, Athaliel, mais j'aimerais que vous leviez la main avant de répondre. C'est valable pour tout le monde. – Quel fut le chef-lieu du Yanire ? »
Une demi-seconde de réflexion suffit à Athaliel pour composer sa réponse.
« Thelelie. Cependant, la ville la plus peuplée était Phasand. »
Presque déçue par le fait qu'il ne soit pas tomber dans son piège si aimablement tendu, Lady hocha la tête et revint devant le tableau, écrivant la leçon au tableau tout en discourant.
« L'Occratie orientale, aujourd'hui rayée de la surface de la Terre, a longtemps été un carrefour majeur de la magie. C'était notamment à Phasand et Thelelie en Yanire, que siégeaient régulièrement les plus grands Imagio de tous les temps, élus Chefs Imagio. Mais vous verrez la partie histoire avec Sir. Aujourd'hui, nous allons parler de la topographie des lieux. Et pour cela, nous commencerons par Phasand. »
Lorsque midi sonna, la tête des enfants était lourde d’informations diverses sur les rues de la ville, le nombre d'habitants moyen par année, la météo pour chaque mois de l'année et tout une série de données sur Phasand, métropole dont ils n'avaient jamais entendu parler auparavant. Un peu étourdi par ce premier cours, ils s'en allèrent, pantelants, vers la salle à manger où Missy était déjà attablée.
Qu'avait-elle fait de sa matinée, entre le moment où elle avait quitté le petit déjeuner et cet instant-là ? Léocadia se posait la question. Elle tenta d'analyser son attitude, sa position, la façon dont elle observait la cuisse de poulet dans son assiette.
C'était sa méthode habituelle pour décoder l'humain, bien qu'elle ne soit pas souvent concluante avec des presque inconnus. Le visage de l'adolescente n'exprimait qu'un impassible agacement, comme si les sept enfants terrassés par leurs premières heures de cours de l'année l'horripilaient, tels des cafards édifiant leur nid sous sa chaise.
Revigorant. Voilà le seul mot qui peut qualifier proprement le repas qu'ils prirent tous les dix, l'ombre du maître des doubles glissant derrière eux à la vitesse de l'éclair pour satisfaire leurs moindres désirs. Sans être un festin, tous sortirent de là repu et content.
Lady ne perdit pas une seconde, cependant : dès qu'ils se furent levés de leur chaise, elle les conduit jusqu'à une bibliothèque où elle assurerait l'enseignement des cours de pratique elle-même ce jour-là.
Sur le sol carrelé jaune pâle et blanc, elle les fit asseoir en cercle autour d'elle. Alors qu'elle tournait sur place, cherchant un enfant à interroger, ils levaient sur elle un regard où se mêlait terreur et curiosité.
Chez Léocadia, c'était bien sûr le second qui dominait.
Le tour de Lady s'arrêta sur Kanako.
« Récite moi l'arbre généalogique dont tu as hérité. »
Étrangement, le regard de la femme était plus dur qu'il ne l'avait jamais été avec aucun autre enfant – du moins, c'est qui sembla à notre jeune Léocadia. Kanako ne semblait pourtant pas s'en apercevoir, ou bien s'en fichait royalement, et rejetant son carré blond en arrière, elle répondit sans une trace d'hésitation.
« Ma mère Hakukiyo et mon père Akudan ont longtemps vécu sur la côte japonaise avant de déménager en Belgique pour la naissance de mon grand-frère Genkishi. Nous sommes venus en Angleterre l'année de mes cinq ans. »
Ceci dit, elle tourna son regard franc, presque provoquant, vers Lady qui sembla un instant désarçonnée. Tout trace de la gentillesse et innocence qui semblait transparaître dans son attitude la veille s'était échappée de son corps. Que s'était-il passé durant la nuit pour qu'elle ait autant changé ?
Bien sûr, ce n'était pas là ce que Lady lui avait demandé : elle s'attendait à ce qu'elle lui récite les paroles de Bell lors de son passage dans le couloir des Imagio. L'agitation causée par l'identité de Léocadia et les questions de Maggie l'avait empêchée d'entendre clairement les mots prononcés à propos de Kanako. Elle voulait juste un rappel.
« Kanako, je voudrais que tu te rendes directement dans le bureau de Sir. Il serait bien que vous ayez une conversation tous les deux. »
Lorsqu'elle eut sagement quitté la piège, Missy – qui était rapidement apparut par la porte – lui servant de guide, Lady reprit sa ronde sur elle-même, comme si rien ne s'était passé.
« Je voudrais maintenant que vous visualisiez un objet que vous possédez – j'insiste bien sur ce point car sans cela, ça ne pourra fonctionner – et que vous concentriez toute votre énergie sur cette pensée. Fermez les yeux et faîtes le vide. Puis focalisez-vous dessus. »
Sans avoir à vérifier, Lady savait qui avait réussi l’exercice. Grâce à sa maîtrise de l'Imagio de la Pensée distributive, elle était capable de recevoir les pensées des autres ou d'en expédier si le "récepteur/envoyeur" était suffisamment concentré.
Quelque demi-minute après que la consigne fut lancée, Cosmo fit apparaître dans l'esprit de Lady une jolie pomme à moitié croquée. Athaliel vint ensuite y juxtaposer une belle montre à gousset scintillante. Estrella et Gédéon le suivirent de près, bientôt rejoints par Maggie pour qui se concentrer sur une seule chose, sans s'éparpiller, était un exercice de la plus haute difficulté. Cependant, l'image de Léocadia n'apparut pas. Lady eut beau fouiller son esprit, y chercher ne serait-ce qu'une vague illusion en provenance de Léocadia, elle ne put rien trouver.
Fronçant les sourcils de contrariété, elle vit néanmoins sur le visage de la fillette que celle-ci avait réussit l'exercice : une concentration pure s'y peignait sans même un pli du front pour la distraire. Mais alors, que se passait-il avec elle ?
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