Coquille vide
Je me suis recroquevillée sous ma couverture tricotée par feue ma mère, dans mon lit de petite fille, assaillie par le chagrin et la culpabilité. Mon corps était parcourue de spasmes, dus aux sanglots qui s'échappaient de moi. J’étais seule et en miettes. Je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien, je n’étais que douleur, et seule la mort pouvait m'en délivrer.
Par moments, je me relevais et m'asseyais en tailleur, reposant à moitié mon flanc sur mon bras gauche ? Je tentais de m’arracher à la peine qui cherchait douloureusement à sortir de mon corps.
Je demeurais sans bouger pendant de longues minutes. Je fixais le vide en face de moi. Le silence était assourdissant. Seuls les battements de mon cœur martelaient lourdement mes tympans, mais je ne les percevais presque pas. J'étais dépourvue de tout sens. Plus rien n'en avait. De temps en temps, une larme coulait sur ma joue, unique témoin de ma douleur.
La panique et la terreur ne tardaient à revenir me hanter. Je me rallongeais, tel un fœtus en pleine croissance, attendant sa renaissance. Je replongeais en enfer, me laissant aller à cette violente chute.
Absente de mon corps et dorénavant seule, il était parti, je ne le reverrai jamais. Pupille, je demeurais désormais sans pilier aucun, sans lumière pour me guider. Je me sentais immensément perdue et isolée, me heurtant à chaque obstacle que la vie avait placé sur ma route, comme autant de barrages pour m’empêcher d’avancer et d’y voir clair. Peut-être étaient-ils là au contraire pour me montrer la voie, qui sait ? J'étais incapable de réflexion. Le syndrome post-traumatique a fait de moi cette chose lobotomisée, un vulgaire légume inutile.
Je me levais péniblement pour aller aux toilettes. Contre toute attente, mon corps continuait de fonctionner normalement. Je ne pouvais plus l'ignorer. Je l’avais oublié et laissé à l’abandon depuis de longues heures. J’avais toujours une vessie, et des reins qui filtraient mon sang afin d’en extraire les déchets, que je devais nécessairement éliminer moi-même. J’avais bien trop attendu pour ça, et je ressentais à regret ce mal typique au bas-ventre.
Marcher jusqu’aux toilettes s’est avéré douloureux. En me levant après avoir uriné, malgré des résidus de souffrance demeurant, j’ai aperçu mon reflet dans le miroir au-dessus du lavabo, à gauche des toilettes. J’ai tourné mon corps pour me regarder un instant. Mon visage était rouge, la peau de mes joues mâchée par les larmes et mes yeux brillants et gonflés. J’avais l’air d’une morte-vivante. Ça me ressemblait mais ce n’était plus moi. Alors, je suis retournée dans mon lit, et à ma léthargie salvatrice. Je n’avais qu’elle pour le moment. Elle me maintenait en vie et allait, je le pressentais, m’aider à avancer pour trouver mon chemin à travers le macabre labyrinthe qu’était l’avenir qui se présentait à moi.
Je repensais incessamment à tous ces moments partagés depuis qu’il était apparu dans ma vie. Je nous voyais dans ma tête. Je ressentais à nouveau ces sentiments délicieux d’amour inconditionnel. Nous étions bien tous les deux, jusqu’à ce que ça devienne trop concret, si je puis dire. Ça ne pouvait pas marcher.
Comment ai-je pu en arriver là ? Qu’est-ce qui m’a pris ? Je voulais arrêter de penser, arrêter de ressentir toute cette violence. Je ne voulais plus vivre. Je ne devais plus vivre, car après tout, plus rien ne me retenait ici. Je n'étais plus humaine.
Ce que j'avais fait était impardonnable. Je l'avais perdu à jamais. Nulle rédemption possible. Point de repenti, mon attrition était dérisoire au vu du pêché commis.
Il pleurait assez souvent, lui aussi. Et devoir le consoler m’agaçait et me pesait. Mais, n’était-ce pas aussi mon rôle ? Je n’en prenais la pleine mesure que maintenant. Qu'aurais-je du faire ? Personne ne m’avait jamais montré la conduite à tenir dans de telles situations. Mon père ne voulait pas être mon père. Ma mère a donc tenu tous les rôles. Jusqu'à ce qu'elle quitte ce monde, elle aussi. Je n'étais même pas majeure. Un foyer violent, et une famille d'accueil de fortune n'ont su combler ce qui me manquait pour faire de moi quelqu'un de responsable et qui sait réagir de manière appropriée. J’étais démunie.
Il était trop tard, maintenant. Il était ailleurs.
Comment allais-je vivre sans lui ? Comment allais-je me remettre de tout ça ? Et comment supporter le poids de mes actes ? C’était impossible. Je ne voyais aucune issue. Rien de ce que à quoi je pensais n’était envisageable. Plus rien n’avait d’importance.
Je me suis souvenue du moment où nos chemins se sont croisés. J’étais seule, et pourtant en train de donner mon corps, allongée sur ce même lit, celui de mon enfance, vieux et grinçant. J’ai tout-de-suite senti que tout allait changer, comme une intuition. Il était en moi.
Je me revoyais quelques mois plus tôt, seule et abandonnée, quittant les abords de l'unique clinique qui pouvait m’aider à régler mon problème et dans laquelle je n’ai pu entrer car assaillie par des militants du mouvement pro-vie qui en colonisaient l’entrée. Ils ne savaient pas, ils ne comprenaient pas. Ils ont tenté de me faire entendre raison, mais je ne voulais pas les écouter. Je ne le pouvais résolument pas. J’avais un énorme dilemme à résoudre mais ce n’était pas de savoir si je devais dire oui ou non à la vie qui grandissait en moi. Ils m’ont empêchée d’entrer. Résultat, non seulement mon existence a été ruinée, mais je n'ai pu laisser la sienne se poursuivre. On m’avait mise dans cet état, et maintenant on me forçait à y rester, à en assumer seule chacune des conséquences. Mais je ne pouvais pas. J’étais trop jeune. J’étais meurtrie. Je n’ai pas voulu de lui. Et son géniteur non plus, a priori.
J’avais peur. Je ne pouvais pas payer ses soins, son lait, ses vêtements. Je n’avais pas de travail, je n’avais même pas de métier. Pas de foyer, à part ce trou miteux dans lequel je vivotais. Pas d’amour à donner.
Je me suis enfin levée, me forçant à sortir de cette torpeur. Il fallait que j’agisse, que je décide si j’allais vivre ou mourir, accepter mon sort ou tout rejeter, me plier à la volonté de la société ou tricher et m’enfuir, me battre ou abandonner. Il était par terre, il ne bougeait plus. Je me suis penchée sur son petit corps qui n’avait connu la vie aérienne que quelques jours seulement, et désormais inerte. Qu’avais-je fait ? Et qu’allait-il m’arriver maintenant ? De retour en arrière il ne pouvait y avoir.
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