Il y était enfin. Après des semaines de route, Cole avait atteint sa destination : l'Oblihati, le Sanctuaire de l'Après-Vie. Au centre d'un glacier, coincé entre deux montagnes, le temple semblait abandonné. La neige qui tombait ici ne fondait jamais, et au fil du temps, avait recouvert la grande majorité de l'édifice. Seuls émergaient encore les bâtiments centraux du complexe, et son immense porte d'entrée d'acier et de pierre.

 Le chemin devant Cole n'avait plus été aussi droit et aussi facile depuis son départ de Fausommet, au pied des montagnes. Un peu plus bas, des rondins de bois enneigés formaient un escalier menant à l'entrée de l'Oblihati. La porte était fermée et rien n'indiquait un quelconque signe de vie. Les rares tours du temple encore debout n'arboraient plus les merveilleux oriflammes d'or et de pourpre que Cole leur connaissait au temps jadis. La garde ne parcourait plus le chemin de ronde, depuis longtemps recouvert d'un épais manteau blanc. Toute trace de vie semblait avoir disparu.

 Le plus imposant bâtiment était un donjon circulaire dont le toit pointait vers le ciel. La légende racontait qu'aucun homme n'avait pu bâtir un endroit plus proche du domaine des dieux. Le Sanctuaire avait cette réputation de sainteté car il avait été construit mille ans plus tôt dans la plus haute plaine du monde. À l'ouest, Cole posa ses yeux sur un sommet escarpé. Le mont se détachait du paysage par l'absence de pics voisins. Le chevalier venait de traverser une chaîne de montagnes, une autre, derrière le temple, continuait à couper les cartes en deux, mais à l'instant, sur sa gauche, il ne vit rien d'autre qu'un unique piton et une interminable plaine vide. Sans le brouillard que le froid et la neige élevaient à l'horizon, Cole aurait pu apercevoir les prairies verdoyantes d'Innocia et, encore plus loin, l'océan. Même durant son enfance dans la basse-ville du Sanctuaire, il n'avait jamais eu cette chance.

 Son lieu de naissance n'existait plus, enfoui sous des dizaines de mètres de neige. C'était auparavant un endroit plein de vie, lumineux et luxuriant. L'Oblihati attirait d'innombrables voyageurs du monde entier, autant pour ses cérémonies renommées que pour ces carnavals, ses spectacles en plein air et ses concerts de musiciens itinérants. Cole, l'intrépide, le sévère, l'invincible chevalier royal, y avait connu toutes ses premières fois. Un matin printanier, il volait une pomme pour la première fois. Un soir d'été, il embrassait son premier amour. Une journée d'automne, il reçut son premier sacrement et sa première épée. Et l'hiver d'après, il tuait le premier homme de la longue liste qui suivit alors. Cinquante ans plus tard, tout était blanc et désespérément vide. Cole poussa un soupir. Il était presque triste.

 Le chevalier planta sa hache dans la neige et posa un genou au sol. Son armure, trop lourde et trop trempée pour être — ne serait-ce qu'un minimum — confortable, avait même commencé à geler par endroit. Ses espauliers mêlaient le givre et la fourrure. Là où son plastron était enfoncé, vestige d'un début d'ascension difficile, de la rouille était apparue. Cole ignorait depuis quand. Quant à ses bottes, pleines d'eau et de glace, il lui arrivait de penser qu'en les ôtant, il serait obligé de s'amputer de ses deux pieds, couverts d'engelures.

 De sa main droite, il souleva la fine visière de son casque. Ainsi put-il observer ce spectacle magnifique. L'Oblihati ne se lassait jamais de ses tempêtes de neige, et le chevalier avait la chance inouie de pouvoir le voir avec la clémence des éléments. Cole n'était peut-être plus jeune, mais cette vision resterait gravée dans sa mémoire jusqu'à la fin de ses jours. Puis il se releva, récupéra son arme, et d'un pas décidé, entama ses dernières heures de marche.