Kahlee avait été invitée ce soir par des amis pour faire une "expérience". L'hôte de cette soirée n'avait voulu dévoiler à personne quelle serait l'activité principale et c'était contenté de parler d'expérience frissonnante à tout le monde. Ils allaient être cinq au total, tous étudiants dans le même lycée. Parmi eux, Kahlee ne comptait en réalité qu'une réelle amie. Les autres étaient plus des connaissances qu'elle avait croisées quelques fois. Son amie Gillian avait commencé à les fréquenter il y a peu. C'est d'ailleurs elle qui avait poussé Kahlee à les joindre ce soir.

   Le quotidien de Kahlee n'était pas toujours facile. Ses parents ne semblaient plus s'apprécier beaucoup mais ne faisaient rien pour que la situation s'améliore ou au moins change. Elle en était venue à souhaiter qu'ils divorcent et préférait largement devoir alterner entre vivre chez l'un puis chez l'autre plutôt que de devoir supporter les disputes qui semblaient démarrer parfois pour aucune raison. Kahlee essaya d'arrêter d'y penser, au moins pour ce soir. Cette expérience allait sûrement être très amusante et c'était l'occasion de se rapprocher des amis de son amie.

   Elle arriva à bon port presque en même temps que Gillian. Les deux amies s'enlacèrent comme elles avaient l'habitude de le faire pour se saluer. Kahlee fut ensuite présentée aux autres.

- Vous avez certainement déjà croisé Kahlee au lycée. Dis Gillian en souriant. Vous allez voir, elle est super sympa !

   Ils se présentèrent tous à Kahlee les uns après les autres. Elle trouvait déjà leur compagnie agréable et fit l'effort de se répéter leurs noms dans sa tête pour ne pas les oublier. Il y avait David, c'était l'hôte de ce soir. Il avait profité de l'absence de ses parents pour organiser cette petite soirée et semblait impatient de dévoiler à tout le monde ce qu'ils allaient faire. Les deux autres invités étaient Jon et Miranda qui étaient de tout évidence en couple et qui ne le cachaient pas. David prit enfin la parole.

- Bon, maintenant qu'on est tous là, suivez-moi, je suis sûr que vous allez adorer !

   La bande se déplaça jusque dans le salon de la maison et David les invita à prendre place à la table située au centre de la pièce. Une lumière tamisée inondait l'endroit et provenait d'une dizaine de bougies réparties sur la table. Quand tout le monde fut assis, David sortit une boîte qu'il s'empressa d'ouvrir pour que tout le monde puisse voir son contenu. Kahlee ne comprit pas de suite et pensa " Une planche ? Avec des lettres et des chiffres ? On va quand même pas faire des jeux de maths et d'écriture" puis ses yeux s'arrêtèrent sur une inscription sur le haut de la planche " Ouija". Elle en avait déjà entendu parler, mais n'en avait jamais essayé. Tout le monde n'eut pas la même réaction. Gillian, tout comme David avait terriblement envie de commencer, alors que Miranda s'était déjà réfugiée dans les bras de Jon à la simple vue de l'objet. Ce dernier ne semblait pas vraiment rassuré non plus. Kahlee était simplement curieuse.

   Cette curiosité se transforma en ennuie après une bonne heure. Ils avaient tous un bras tendu en avant, deux doigts placés sur la pièce qu'on appelait "la goutte" à attendre qu'un esprit daigne la déplacer, ne serait-ce que de quelques millimètres sur la planche. Rien ne se passait et alors que Gillian prononça pour la vingtième fois "Esprit ! Si tu es là, montre toi et déplace la goutte du Ouija !". Kahlee commençait à se perdre dans ses pensées et lutta soudain contre une violente envie de dormir. Elle ne ferma les yeux qu'une seconde, mais quand les rouvrit, ce qu'elle vit lui ôta toute envie de somnoler.

   Une silhouette était apparue dans la pièce. La chose avait la taille d'une personne adulte. Elle restait immobile, fixait Kahlee de ses petits yeux et souriant à pleine dent. Un frisson parcourut tout le corps de Kahlee, mais elle n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit. L'instant d'après alors que cette fois-ci, elle n'avait pas fermé ses yeux, la silhouette avait disparu. Personne d'autre ne semblait l'avoir remarqué. Après ce court entracte, la soirée ennuyeuse reprit et rien d'autre ne se passa.

   Tout le monde rentra chez lui un peu déçu, sauf Kahlee. Elle avait décidé de ne rien dire à personne, pas même à Gillian, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser à ce qu'elle seule semblait avoir vue. Elle y pensa pendent plusieurs jours puis décida de finalement acheter une planche de Ouija avec son argent de poche pour retenter l'expérience, seule.

                      *****

   Comme tous les soirs après être rentrée du lycée, Kahlee se réfugiait dans sa chambre après avoir rapidement saluée ses parents pour ne pas être présente quand la dispute éclaterait. Ce fut encore le cas ce soir, les voix s'élevèrent et se mêlèrent en un mélange incompréhensible pendant de longues minutes puis le calme retomba soudain. Cela arrivait de plus en plus souvent. Son père partait on ne sais où pendant plusieurs heures et finissait par revenir au beau milieu de la nuit avec plusieurs grammes d'alcool dans le sang. Heureusement pour Kahlee et sa mère, la boisson ne le rendait pas violent. Quand il rentrait, son unique objectif était d'atteindre une surface moelleuse sur laquelle il pourrait décuver en paix.

   Kahlee avait pu mettre la main sur la fameuse planche qui attire les esprits et commença sa séance solitaire. Elle s'était assise en tailleur avec la planche sur ses genoux et elle avait deux doigts de chaque main positionnés sur la goutte. Elle appela l'esprit sans succès pendant un long moment puis elle tenta de se rappeler l'état dans lequel elle était pendant la soirée où elle avait vue la silhouette en fermant les yeux. Elle avait du mal à se concentrer et ne pouvait s'empêcher de penser a sa situation familiale. De la même manière que la dernière fois, l'esprit apparut face à elle au moment où elle souleva les paupières. C'était le même, elle en était sûre, le même sourire et les mêmes petits yeux. Elle prononça tout bas :

-ça marche vraiment ? Tu es un esprit ?

Le sourire de son invité s'effaça et elle pu enfin entendre le son de sa voix.

- Oui, je suis un esprit, mais ce n'est certainement pas grâce à cet objet étrange que je me trouve ici.

- Quoi ? Mais c'est pourtant comme ça que ça marche, on pose la goutte sur la planche, on appel l'esprit puis s'il est là, il le montre en la faisant bouger !

- Ah, tiens donc ! Je suis pourtant face à toi, tu me vois et ta goutte est restée immobile. Je te le répète, cet objet ne sert à rien.

- Mais comment tu peux être là et me parler alors ?

- C'est tout simplement toi qui m’as appelé. Dit l'esprit en montrant à nouveau ses canines. Mais ne pense pas que tu as des pouvoirs ou je ne sais quoi, tout le monde peut le faire, mais dans des conditions bien particulières.

- Je ne comprends toujours pas. Dit Kahlee qui prit soudain conscience qu'elle parlait avec un esprit comme s’il s'était agi d'une personne normale.

- A quoi pensais-tu l'instant avant que j'apparaisse ?

- Euh, je sais plus, Attends une seconde ... Oui ! Je pensais à mes parents !

- Et l'autre fois ?

- Pareil !

- Et comment te sens-tu quand tu penses à eux ?

- Terriblement triste, j'aimerais pouvoir les aider, mais je ne sais pas comment et ça rend ma tristesse encore plus grande. J'y pense tout le temps ... Des larmes se mirent à couler sur les joues de la jeune fille. L'esprit ne sembla pas le moins du monde affecté par cela et reprit la parole.

- C'est exactement ça, tu concentres tellement tes pensées et ton énergie sur ce qui te rends le plus triste que tu as pu me faire apparaître face à toi. C'est très rare que quelque chose comme ça se produise.

- Est-ce que tu es là dans un but précis ? Dit Kahlee en essuyant ses larmes.

- Je n'en sais rien.

- C'est bizarre, on pense toujours que les esprits font peur, mais tu es là, à m'expliquer tout ça calmement, qui est tu ?

- Cela fait trop longtemps que j'ai quitté le monde des vivants pour me rappeler qui j'étais ou comment on m'appelait, mais ...

Plusieurs coups retentirent sur la porte close de la chambre.

- Kahlee ! Tu as faim ? J'ai fait quelque chose pour nous deux, ton père est encore dehors.

-Oui, j'arrive.

L'esprit avait disparu. Elle n'essaya pas de le rappeler ce soir-là.

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   Quand Kahlee rentra à la maison ce jour-là, la scène à laquelle elle assista la paralysa pendant de longues secondes. Aucun meuble n'était à sa place, tous étaient renversés et certains étaient brisés. On avait l'impression qu'un animal sauvage était resté enfermé ici toute la journée. Du sang, il y en avait partout, au sol et sur les murs, de longues traces et des éclaboussures. Le corps inanimé de sa mère était en mile de la pièce. Elle ne reconnut pas immédiatement l'homme qui était apparut face à elle. Sûrement à cause de ses yeux injectés de sang et du liquide bleu coulant de ses narines et de sa bouche. Son père s'approcha lentement, l'air menaçant, un large couteau de cuisine à la main.

   Kahlee était tétanisée, elle commençait à prendre conscience de la salutation qui la rendait plus triste qu'elle ne l’avait jamais été.

- Cours ! Sauve-toi ! Une voix familière prononça ses mots, mais personne d’autre n'était là.

- Toi ! Tu vas subir le même sort que ta mère, espèce de traînée ! Le couteau frôla la joue de Kahlee. Elle en était sûre, elle n'était pas à l'origine de cette esquive.

- Cours ! Maintenant !

Elle se retourna et commença à avancer avec peine vers la sortie.

- Laisse-moi t'aider, laisse moi te posséder, tu vas mourir si tu ne le fait pas !

   Elle comprit enfin et reconnut la voix de l'esprit. Kahlee obtempéra. Elle n'avait jamais couru aussi vite de sa vie, mais ce n'est pas elle qui était aux commandes. L'esprit possédait entièrement son corps et le forçait à bouger. La jeune fille, prisonnière d'elle-même se sentait comme spectatrice de sa propre vie. La drogue qu'avait ingérée son père le rendait incontrôlable, il s'était élancé à sa poursuite et il était évident que rien ne pourrait l'arrêter.

   Le corps de Kahlee commençait à s'affaiblir et la distance séparant la proie et le prédateur se réduisait de plus en plus. L'esprit décida de s'arrêter, de ramasser un bâton qui traînait au sol et de se retourner.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- On ne peut pas lui échapper ! Laisse-moi faire !

   Le coup de bâton permit de désarmer le père de Kahlee. Le couteau glissa au sol. L'esprit n'eut pas même pas le temps de d’essayer de le saisir. Un violent coup de poing lui atterrit sur la tempe. Kahlee n'avait jamais éprouvé une telle douleur auparavant. Elle était maintenant au sol, mais le couteau était à portée de main. Elle tendit le bras pour l’attraper, toujours pas de son plein gré.

- Ne le tue pas !

- Pourquoi ?

- C'est mon père !

- Désolé.

Un coup atteignit l'homme au ventre.

- NON ! ARRÊTE !!!

Un deuxième coup.

- IL NE SE CONTRÔLE PAS !

UN troisième coup.

- ARRÊÊÊÊÊÊÊÊTE !!!

Les deux corps s'effondrèrent.

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   Kahlee reprit conscience à l'hôpital. Sa tête lui faisait terriblement mal et le moindre mouvement lui était douloureux. Elle sentait autre chose en elle, comme lors de la poursuite. Il était toujours là.

- Je ne t'ai pas rappelé, vas-t-en ! Je ne veux plus jamais te voir ni t'entendre !

- Je ne peux pas.

- Quoi ?

- Quand un esprit possède un corps trop intensément, il ne peut plus s'en échapper.

- Tu veux dire qu'on va rester comme ça ? Pour toujours ?

- Tu préfères ça, ou mourir ? Si tu y tiens tant tu peux te jeter par la fenêtre, je ne retiendrais pas.

- Je ne peux pas ... te pardonner pour ce que tu as fait !

L'esprit ne disait plus rien. Puis Kahlee reprit après quelques minutes de silence.

- Pourquoi tu as fait tout ça ?

- Parce que là-bas, chez les esprits, l'ennui est notre pire ennemi.

- C'est tout ? Tu m'as sauvée pour que je devienne ton jouet ?

- C'est plus compliqué que ça.

De longues minutes s'écoulèrent de nouveau. Une infirmière approcha.

- Elle est réveillée. Allez y doucement s'il vous plaît, elle doit encore être sous le choc.

Deux hommes approchèrent du lit sur lequel Kahlee était allongée. Elle ne les avait jamais vus et ils ne lui inspiraient pas confiance. Les battements de son cœur s'accélérèrent.

- La police vient déjà poser des questions. Laisse-moi faire, c'était mon métier, il y a longtemps. Pensa Kahlee.