Nivom
Nivom surveillait sa cible. Seuls dans la plus grande forêt du continent, à mi-chemin entre les terres elfiques et humaines, le messager qu'il devait tuer ne se doutait de rien. Le dragonien était curieux de connaître la teneur de la missive. Il devait s'agir de quelque chose d'important, pour que sa compagne l'envoie abattre cet humain.
Depuis deux jours, le prédateur suivait sa cible, dissimulé par divers sorts et désireux de savoir si cette dernière était aussi isolée qu'elle en avait l'air. Eh bien, oui. Certain d'avoir affaire à un homme sans défense, Nivom s'assura une dernière fois que toutes les conditions se trouvaient réunies pour qu'aucun témoin ne risque de révéler quelques secrets. Les animaux l'avaient senti, et fui depuis longtemps. À part les plantes, rien de vivant ne risquait de le voir passer à l'action. Alors, avec satisfaction, il fit apparaître un arc immatériel, couleur vert d'eau et translucide. Il encocha une flèche similaire de sa main libre, retint sa respiration, visa et tira. La flèche arracha toute la part désincarnée de l'homme, et Nivom laissa ses armes se dissiper.
La cible s'effondra aussitôt. Le dragonien leva ses sorts visant à le rendre indétectable. Armé d'un couteau de chasse, il approcha du corps, tous les sens aux aguets. Toujours rien à signaler. Il fouilla dans les effets du mourant, et trouva plusieurs lettres, qu'il parcourut. De son point de vue, rien de capital. Nivom supposa que sa compagne le mettait à l'épreuve. Tout le monde ne savait pas assassiner correctement.
Il contempla son œuvre. Le cœur de sa victime battait toujours, et le dragonien estima qu'il avait à sa disposition une cinquantaine de kilos de viande fraîche et d'os à ronger. Il se pourlécha les babines. Une semaine sans avoir à chasser, quel bonheur. Il s'accroupit une dernière fois près de l'humain, et lui trancha la gorge.
Impatient de mordre dans le foie, le dragonien se rappela à temps que, même morts, les humains pouvaient tuer. Agacé, il flaira le corps avec attention, et, frustré, remarqua les traces de crème à base de champignons, sans effet sur l'homme mais toxiques pour lui. Le prédateur se recula de plusieurs pas, dépité. Les hommes étaient égoïstes jusqu'au bout. Ils ne se laissaient même pas dévorer.
Nivom prit sa seconde forme. Changé en dragon, il carbonisa sa victime. Maintenant qu'il ne risquait plus de se trahir comme mage plus puissant que ce qu'il laissait croire... Alors qu'il s'apprêtait à s'envoler, il vit une plante étrange, absente un instant plus tôt. À l'endroit où sa flèche arracheuse d'âme et d'esprit s'était plantée, se trouvait un lys. Un lys rouge sang. Perplexe, Nivom reprit forme humaine et scruta le domaine immatériel qui l'entourait. Cette plante pouvait servir à attirer son attention. Et elle n'avait rien de naturel. Elle ne représentait pas de danger non plus. Comme rien de suspect n'advenait, Nivom s'envola pour rentrer chez lui. Similaire à un saurien ailé, au cou assez long, il espéra que des personnes au sol, croisant son vol, admireraient ses écailles aux couleurs de feuilles d'automne.
Une demi-journée plus tard, il atterrit à quelques mètres du campement de son clan. Ses douze enfants l'attendaient déjà, et ils firent un long câlin collectif. Ses aînés comme le petit dernier l'adoraient. Il le leur rendait bien. Nivom se tint au courant des derniers événements, puis chercha sa compagne en ronronnant. Ses plus jeunes retournèrent à leurs jeux, et les deux aînés à leur entraînement.
Comme souvent, il trouva sa compagne, Eyaëlle, sous leur tente, occupée à réfléchir. Heureux de la retrouver, Nivom la souleva du lit sur lequel elle se tenait assise, et la serra contre lui en se frottant la joue contre sa tête. Son odeur, ses cheveux, son aura, ses soupirs agacés, tout lui avait manqué, pendant ces huit jours passés loin d'elle. Quand elle chercha à le repousser, il l'embrassa avec passion. Il ronronnait toujours plus fort.
Quand, vaincue, elle ronronna à son tour, avec discrétion, il se tut et la déposa au sol. Il lui tendit ensuite les missives volées. Pendant qu'elle les lisait, il la contempla. Petite, trapue, le teint de ses écailles allait parfaitement avec ses longs cheveux roux et ses yeux de cuivre, typiques de son clan, les Rogaa, vénérant l'esprit dragonien du Chaos. Nivom venait du clan Brénor, priant l'esprit dragonien du Vent, maître de l'immatériel. Grand, fin, les yeux jaunes et les cheveux bruns, lui aussi représentait bien les caractéristiques de son clan. Sa petite vouivre leva enfin les yeux sur lui, l'air neutre comme toujours.
"Donc, tu l'as fait.
- Tout pour toi, ma merveille, ronronna Nivom.
Eyaëlle s'autorisa un bref sourire.
- Personne ne t'a vu ?
- Rien ni personne. Il voyageait seul, sans monture.
- Et tu ne me demandes pas pourquoi il devait mourir ?
- Je te fais confiance. Tu dis que quelqu'un doit mourir, je tue cette personne. Viokà.
Eyaëlle resta songeuse. Elle le congédia, estimant que les enfants devaient l'attendre avec impatience. Nivom passa donc le reste de la journée auprès des petits du clan. Ces derniers l'adoraient. Puis, la nuit venue, après le repas, il trouva sa compagne toujours songeuse. Elle préféra que l'un d'entre eux parte chasser. Fatigué par le voyage et les jeux avec les jeunes, il la laissa partir.
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