Ma prunelle,
Elle est ma force, mon avenir, ma sécurité, mon ancre. Plus que tout cela, mon refuge. Chacun de ses soupirs, de ses doutes, m’incise avec la précision et l’efficacité d’un athamé planté dans ma chair.
J’ai besoin d’elle, de ce qu’elle m’apporte, de son soutien inconditionnel, de sa confiance en moi.
Chaque soir, quand je rentre, cette odeur m’accueille. Son odeur. Et le silence. Mes horaires de travail ne nous sont guère favorables, elle est déjà couchée. L’odeur de cannelle embaume l’appartement. Ses envies alimentaires, qu’elle ne peut satisfaire, la pousse à utiliser des subterfuges. Depuis peu, cette épice parfume autant l’atmosphère que ses pâtisseries allégées. Il faut dire que notre logement n’est pas grand. Confrontés à la réalité, nous avons dû revoir nos désirs à la baisse.
Respectant les règles qu’elle a édictées, je positionne mes souliers à gauche de l’entrée et m’avance dans notre salon-cuisine en chaussettes. J’aperçois l’heure qu’affiche le micro-onde. Il est tard. Elle doit dormir profondément.
Même si je dédaigne le plateau repas posé en évidence sur la table basse, il me rassure. Elle est parvenue à faire à manger. Sur la pointe des pieds et dans le noir, je me dirige vers notre chambre dont la porte est entrouverte, comme une invitation à la rejoindre. Je connais le chemin par cœur.
Le clair de lune, qui transperce les vitres habillées d'un léger voilage, constelle sa peau de reflets irisés. Le joyeux désordre qui entoure son corps me fait sourire. Elle est parfaite dans cet étalage de tissu cotonneux.
Ses fins cheveux aux reflets auburn, legs de son père, s’épanchent sur l’oreiller. Ses fesses moulées par la couette ressortent autant que son ventre. La courbure pâle de son cou, la finesse de sa main qui dépasse, l’ombre que dessinent ses cils, sont ce qui se rapprochent le plus, pour moi, de la perfection.
Je m’avance avec délicatesse, et m’assieds lentement pour ne pas l’éveiller. Ma main attirée par la descendance qu’elle protège entoure son ventre rebondi.
Elle sourit dans son sommeil, avant que ses paupières ne s’entrouvrent avec précaution. Elle est divine. Ses yeux légèrement bridés, héritage d’une mère japonaise me fixent avec attention. Les miens lui affichent tout mon amour. Je porte sa main à mes lèvres pour y déposer toute l’affection et le respect que je lui porte, la reconnaissance que je lui dois. La fente du pyjama dénude la chair laiteuse d’une poitrine menue.
Ses lèvres en bouton de rose s’étirent : son sourire s’élargit. Elle me comprend si bien. Sa main m’échappe. Elle repose à présent sur la mienne, sur cet attendrissant bidon. Nous restons quelques secondes ainsi, en silence. Ce silence qui nous accompagne, nous protège, nous empoisonne, sentence irréversible d’une grossesse.
Nous avons voulu ce bébé. Pourtant, porter notre enfant la fragilise chaque jour un peu plus. Elle s’inquiète des conséquences physiques sur son corps, son mental, son enfant. Il y a tellement de choses qu’elle ne s’autorise plus. Il me semble que notre espoir l’emprisonne. Je ne sais pas gérer cela autrement qu’en lui montrant mes sentiments. Qu’en étant là pour eux.
Sous ma paume, un léger frémissement. Mon cœur vibre devant le lien magique qui nous unit tous les trois. Devant ce futur pour lequel nous nous battons. Devant ses peurs et les risques qu’elle affronte.
Le repos obligatoire qu’elle vit au quotidien ombrage sa vision de femme et de mère. Elle s’alarme de sa capacité à pouvoir l’élever. Notre petit grandit en elle depuis six mois déjà. Six mois, si longs et si courts.
Atteinte de la maladie de Ménière, ma compagne souffre d’une surdité bilatérale, de vertiges, de vomissements, d’acouphènes. Cette maladie dite « bénigne » nous obscurcit l’existence.
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