Chapitre 13. Les hauts et les bas de la paternité
Louis n’avait pas toujours l’occasion de prévoir une baby-sitter ou la gardienne lorsqu’il travaillait ; cette dernière n’avait que deux jours par semaine à lui consacrer. La situation était délicate ; en sachant qu’un couple avait déjà du mal à trouver une crèche à trois mois de grossesse, alors lui, père officiel d’un enfant « tout fait » depuis moins d’un mois… Pas de place réservée. En plus de cela, côté famille, sa sœur n’habitait pas à proximité et n’avait pas réellement de disponibilités horaires pour s’occuper de cette nièce qui tombait du ciel.
Dans ces cas-là, il ne restait plus à Louis que de prendre Madeleine avec lui au travail, dans le bureau, protégé des radiations, mais plutôt tristounet.
À ces occasions, Sophie était aux anges et pouponnait Madeleine dès qu’elle en avait l’opportunité, entre deux scans ou deux radios, Benoit, un autre collègue, jouait aussi avec elle dès qu’il en avait la possibilité et n’arrêtait pas de dire à Louis,
— Profites de ces moments, elle va grandir vite, tu sais !
Face aux autres collègues, il avait du mal à expliquer la réelle situation de Madeleine ; comment expliquer qu’une femme avait réussi, il ne savait comment, à obtenir sa semence et être inséminée par son sperme… Il n’avait jamais été donneur de sperme, ce n’est donc pas par ce biais-là qu’elle l’avait obtenu.
Cela aurait néanmoins été plus « clair », il aurait pu porter plainte contre la banque de sperme pour avoir dévoilé son identité, etc. … Mais ce n’était pas ça.
Il passait une grande partie de ses journées à réfléchir à cela, comment, pourquoi… Ça et le fait que Madeleine se réveille, et le réveille, deux fois par nuit, cela ne l’aidait pas toujours à rester concentré sur ce qu’il faisait.
C’est ainsi qu’il dut, un jour, refaire trois fois la même radio pour le poignet d’un patient hospitalisé qui avait glissé sur un sol mouillé et s’était mal réceptionné. Le patient en question était déjà remonté par rapport à sa chute, il fit scandale pour la radio ratée, menaçant de traîner l’hôpital devant les tribunaux, etc.
L’infirmière accompagnant ledit patient avait beau tenter de le calmer et lui expliquer que son agitation n’aiderait pas à avoir un meilleur cliché, rien n’y fit… Elle finit par ramener le patient dans l’unité où il était hospitalisé, laissant Louis, visiblement exaspéré, terminer l’aspect administratif des clichés effectués.
C’est à ce moment, juste quand le local fut vide et calme, que Madeleine commença à crier, Louis s’appuya contre le mur, dos au mur, et se laissa glisser jusqu’au sol… Il n’en pouvait plus, il était fatigué, il ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait, il se retrouvait avec cet enfant sur les bras… Sa vie n’avait plus aucun sens… Plus rien n’avait de sens, cette vie n’avait rien à voir avec ce qu’il avait espéré, avec ce qu’il avait cru pouvoir construire avec Ambre un an plus tôt encore…
Il ne s’était jamais projeté dans un rôle de père célibataire.
Des larmes commencèrent à couler sur ses joues, c’en était trop ! Il resta, assis contre le mur, à sangloter, la tête dans les mains… Il entendait Madeleine pleurer, il savait qu’il devait lui préparer un biberon, le dernier datait d’à peu près cinq heures, mais il n’arrivait plus à se lever, il regardait le couffin de là où il était… Cela lui remplissait les yeux de larmes.
C’est à ce moment que l’infirmière du patient récalcitrant déboula dans le bureau, comme il était d’usage de le faire en interne.
— Monsieur Leblanc, vous êtes là ? Je vous ramène les vignettes d’identification du patient.
Elle s’arrêta net en le voyant assis par terre.
— Ho, mais, qu’est-ce qu’il vous arrive ?
Elle le détailla, visiblement désemparé, se frottant vite les yeux, tentant de masquer les sanglots qui l’avaient secoué juste avant. Elle prit le parti de le laisser se reprendre et se dirigea vers le couffin d’où sortaient les pleurs de Madeleine.
— Un petit coup de main pour ce bébé ?
Elle mit son petit doigt près de la bouche de l’enfant qui téta immédiatement. D’une voix chantante, elle déclara,
— Bébé qui a visiblement très faim…
Puis, elle s’adressa à Louis, sur le même ton,
— Fille ou garçon ?
— Une fille, elle s’appelle Madeleine, mais je vais…
Il s’était relevé gauchement et venait vers le couffin, il voulait être seul, il n’avait pas envie de montrer son désarroi et se sentait mal d’avoir été surpris pleurnichant dans un coin alors que Madeleine hurlait de faim. Sur un ton très doux, elle rétorqua,
— Mais rien du tout, prenez d’abord un moment pour vous recomposer, j’ai un peu de temps, je vais lui donner le biberon que vous allez vite me préparer.
Elle sourit et lui tendit l’un des biberons pré-dosés qu’il avait prévu ce matin et qui se trouvaient dans un sac à côté du couffin.
Elle sortit Madeleine du couffin et dit à Louis,
— Je m’installe avec Madeleine pendant que le four à micro-onde fait son travail.
— Ok,
D’une manière un peu robotique, Louis s’exécuta et revint lorsque le biberon fut près à être consommé par Madeleine. L’infirmière prit le biberon et s’adressa à l’enfant en lui proposant la tétine.
— Voilà ma petite.
Madeleine commença à téter consciencieusement, l’infirmière sembla tout à son affaire avec sa fille qui recevait enfin de quoi remplir son estomac. Un peu mal à l’aise face à cette situation, Louis lui glissa, en s’approchant doucement,
— Vous savez, vous n’êtes pas obligée, je peux la reprendre, ça va aller…
Elle leva la tête et regarda Louis en souriant puis lui répondit ;
— Non, effectivement, je ne suis pas obligée, Monsieur Leblanc, mais ça me fait plaisir et, comment dire, si je peux me permettre, je pense que vous n’étiez pas en état de lui donner le biberon sereinement ; je ne sais pas ce qui vous a mis dans un état pareil, et je n’ai probablement pas à le savoir, mais un bébé, c’est une vraie éponge à émotion.
Recentrant son attention sur l’enfant, elle ajouta,
— Vous savez, donner un biberon avec un gros chagrin, ce n’est vraiment pas l’idéal ni pour Madeleine, ni pour vous.
Louis se dit qu’effectivement, elle n’avait pas tort, mais bon, qui était-elle aussi ? Les filles sympas toutes souriantes… En apparence… Ça va, avec Ambre, il avait donné, on ne l’y reprendrait plus !
Du coup, c’est peut-être un peu plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu qu’il lui répondît :
— De fait, cela ne vous regarde pas !
Il croisa les bras sur son torse et en la toisant du regard, n’osant quand même pas lui arracher Madeleine des bras. Il prit alors le temps d’observer Madeleine qui sirotait son biberon en regardant l’infirmière alors qu’elle lui faisait des mimiques et des sourires.
Sans le regarder, elle lui répondit :
— Je vous la rends dans trois minutes, le temps qu’elle termine le biberon, je vous laisse le plaisir du rot.
Le biberon de Madeleine terminé, L’infirmière lui tendit l’enfant. C’est un peu raide qu’il réceptionna sa fille, qui fit son rôt durant la manipulation ;
— Eh bien voilà qui est fait, Madeleine.
L’infirmière chatouilla le nez de l’enfant, puis, regarda Louis en face et lui dit,
— Voilà, c’est fait, je ne vous importunerai pas plus longtemps. Au fait, les vignettes du patient sont à côté du couffin. Bonne soirée.
Elle se dirigea vers la porte.
Louis, mal à l’aise, eu du mal à dire quoi que ce soit ; tirailler entre l’envie de la remercier de l’avoir aidé dans cette impasse et le dégoût qu’il ressentait à l’idée qu’il avait été surpris en position de faiblesse, et puis… L’image qu’il avait donnée à cette femme, un gars pleurnichant, même pas capable de donner le biberon à son enfant… Il finit quand même par pouvoir lui dire,
— Merci, mais, euh, vous êtes… ?
Avant de passer la porte, elle lui indiqua, avec un sourire en coin,
— Rachel, infirmière au 3A, vous savez, la neuropsychiatrie ...
Il ne sut pas si elle avait pu l’entendre quand il lui avait répondu, mais quasi à voix basse,
— Moi c’est Louis… De la radio…
Il fut ramené à la réalité par Madeleine qui chipota les stylobilles qu’il avait dans la poche de sa blouse.
— Ah non, ça tu ne mets pas en bouche !
***
De retour dans son unité de travail, Rachel était un peu morose, cette situation ; le radiologue et le bébé, l’intriguaient. La voyant revenir, sa collègue s’exclama,
— Eh bien Rachel, t’en a mis du temps !
— Ben oui Edith, j’ai donné le biberon à un bébé avant de revenir.
— Quoi ?! Quel bébé ? Où ?
— Dans le bureau des techniciens de radiologie, je pense que c’est la fille de Louis Leblanc, elle est toute rousse et toute mimi. Tu savais, toi, qu’il avait un enfant ? Il n’est pourtant plus avec l’autre top model, non ?
Édith, la reine des potins de l’hôpital, renchérit,
— Pff, ou alors elle est partie se cacher pendant sa grossesse « de peur qu’on voie son corps déformé ». Non mais, tu imagines cette pétasse avec un bébé ? Moi pas du tout ! Ou alors il en a fait un avec une autre… Rapide le gars !
Elle éclata de rire puis s’arrêta net. Edith regarda Rachel en fronçant des sourcils interrogateurs.
— Il ramène sa fille à l’hosto, en radiologie ? Il ne peut pas la mettre à la crèche ou prendre une baby Sitter quand il fait un tard ? Pff, c’est peut-être un rapide pour faire un gosse avec une autre, mais pas organisé pour un sou, à la crèche de l’hôpital, il faut s’inscrire quand madame est à son quatrième mois de grossesse pour être sûr d’avoir une place ! Il pensait peut-être qu’elle resterait à la maison ? Dis, au fait, tu sais qui est la mère ?
— Aucune idée, il n’en a pas parlé. Tu sais, c’est peut-être simplement que la baby-sitter s’est désistée ou que madame est occupée ou bosse aussi ?
Puis, voulant passez à autre chose, Rachel demanda à Edith
— Dis, et le patient avec son poignet, il est plus calme ?
Edith lui répondit, mais Rachel n’écouta pas vraiment, son esprit vagabonda, se remémorant ce qu’elle venait de vivre dans le bureau de radiologie… Mais que diable se passait-il là en bas ? Elle ne voulut pas donner trop de détails à Edith qui s’empresserait de jouer les commères à ce sujet, et garda pour elle l’état dans lequel elle avait trouvé Louis, cela ne regardait personne, elle non plus, mais cela l’intriguait.
Rachel se dit qu’elle allait contacter Sophie de la radiologie, elles en parleraient sûrement la prochaine fois qu’elles mangeront ensemble à la cafeteria.
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