Chapitre 2

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Tu y as cru, n’est-ce pas ?

Et tu veux que je te raconte le pire ? Quand je l’ai écrite cette fin de premier chapitre, j’y croyais aussi.

Finir comme ça, à la zeub. Sauter une ligne et annoncer que le texte était clos.

Je pensais que ça allait me donner un genre. On dirait de moi que je renouvelle la littérature, que je manipule mes lecteurs d’une façon grandiose … Alors qu’en fait …

Tu veux vraiment savoir la vérité ?

J’ai fait lire ce premier chapitre à un pote. Lucas, de son sobriquet. Dans la vie, il est scénariste et réalisateur, entre autre. Un chouette type. Lui, crois-moi, il ne met pas quarante ans pour écrire, non pas un mauvais ou un passable scénario, mais un vrai texte intelligent et structuré. En une semaine, cet enfoiré a écrit la première version d’un film, je ne sais pas si tu vois. Alors bon, je le lui ai envoyé, pour qui me fasse des retours, car, sincèrement, son avis compte pour moi. Et peut-être que je dis ça parce que je sais qu’il va lire ce que je viens d’écrire à un moment ou un autre.

Eh bien, il a beaucoup aimé figure toi. Il m’a même rassuré en m’écrivant un très beau mail, que tout ce que je décrivais dans ce texte était le ressenti de beaucoup de personnes et qu’il fallait surtout que je me fasse confiance. Son retour m’a touché, mais ce n’est pas là où je veux en venir … Au lieu de me remotiver et de croire à nouveau en mes chances d’écrire un jour une vraie belle histoire, je me suis tout simplement assis sur mes lauriers. Aussi bêtement que ce soit. C’est idiot, je sais, mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. J’étais là, fier comme un paon, à imaginer ce petit texte dans les rayons des librairies lyonnaises. Tout le monde se l’arracherait déjà, une ou deux semaines après son écriture. La presse crierait au génie. Les gens, en me croisant dans la rue, balanceraient : « Regardez ! C’est lui ! C’est l’auteur du texte ridicule que nous tenons entre les mains mais qu’on adore parce que Lucas a dit qu’il était bien ! Oui, c’est celui qui avec seulement un Bac Pro Accueil Relations Clients et Usagers a réussi ce que tous les littéraires et les intellectuels en seconde année de Master à Paris n’arrivent pas à faire ! Il a écrit un bouquin génial, drôle, à la fois dénonciateur et complexe ! Avec cette réussite, il envoie un message fort à tous les enculés de son passé qui pensaient qu’il n’était rien d’autre qu’un étron débile et polluant ! Bravo à lui, vive l’Auteur ! ». Tu vois un peu la prétention ?

Du coup, à cause de cette pitoyable fierté, je me suis dit que c’était bon. Le texte n’avait rien de négatif, il plaisait (à une personne mais ça me suffisait), alors merde, à quoi bon continuer à le travailler ? C’est vrai, pourquoi se faire chier ?

Voilà comment j’ai conclu ce premier chapitre. Tu es sûre de vouloir continuer à lire ?

Puis, attends, tu ne sais pas tout ! Au contraire, quand mon travail n’illumine pas les yeux de mes lecteurs, je m’en fais toute une montagne. Le moindre, je dis bien le moindre petit reproche que l’on peut me faire devient une insulte incommensurable. Si un jour, toi, ma chérie, tu remarques qu’il y a une petite faute à « nibard » à la troisième page, je vais le prendre aussi mal qu’un collégien à qui on aurait dit fils de pute. Puis alors, si tu n’aimes pas mon scénario ou tout autre écrit hypothétique, je te ferai la gueule pendant au moins deux mois et à chaque fois que tu essayeras de me parler, je te répondrai d’une voix nasillarde : « pas la peine de m’adresser la parole, l’abruti que je suis n’a visiblement pas ton niveau intellectuel ». Ensuite, je m’éloignerai doucement, la tête baissée, en lançant quand même des regards discrets par-dessus mon épaule afin de m’assurer que ma douleur soit bien visible à tes yeux, et je m’en irai me coucher. Là, j’écouterai Leave Out All The Rest de Linkin Park en boucle, jusqu’à que mes larmes de crocodile mouillent l’entièreté de mes draps. Je pousserai ensuite des petits cris de tristesse pour te faire culpabiliser, comme si la souffrance que tu m’avais infligée était au moins aussi forte émotionnellement que la mort de mon chien, écrasé par la voiture de mon père, qui apprenait alors la conduite à ma petite sœur, à trois années de sa majorité. Ouais, je me suis emballé mais, zut, ça m’a marqué.

Quand ça concerne l’écriture, sache toujours qu’il faut me brosser dans le sens du poil. Si tu n’aimes pas, balance moi un : « Ce n’est pas trop mon truc mais c’est bien écrit ». Si tu remarques qu’il y a des tas de fautes, dis-moi simplement qu’il faut que je me relise, mais sans jamais me dire où exactement, comme ça, ça m’évite de t’interpréter le plus beau spectacle de mauvaise foi au monde.

Plus sérieusement, quand on me fait des reproches concernant mes textes, je m’en remets vite. Avec le temps, il est vrai que j’accepte bien plus facilement les critiques (ça, c’est la partie que je dévoile, ce que je ressens vraiment se situe juste au-dessus). Cependant, j’ai toujours en moi la pression de quand on me disait étant jeune : « Il a du talent, ce garçon ». Du coup, à chaque fois que j’écris, il est impensable qu’on me dise que c’est à chier ou tout simplement qu’on n’aime pas. Aujourd’hui, j’ai une vingtaine d’année, alors si j’avais du « talent » à 10 ans, maintenant je me dois d’écrire que de bonnes choses. Une simple erreur de parcours me serait fatale. Puis, comme je veux être professionnel, alors je te laisse imaginer le nombre de cheveux que j’arrache de mon crâne dès que je me retrouve devant une page blanche.

Dans cet entourage de professionnel justement, beaucoup me couvre de louanges pour mes récits calligraphiques. Ils me répètent d’ailleurs que je le suis autant qu’eux. D’après leurs dires, ma plume est indigne d’être qualifiée d’amatrice. Je suis dans l’autre monde, désormais. Fini les « tu as du talent », fini les « il ira loin », … Là, on compte sur moi. Maintenant le seul fini qu’on me donne, c’est le « fini de rigoler ».

Donc, pour faire bref, je ressens de la pression quand j’écris pour m’amuser mais j’en ressens aussi quand c’est plus sérieux. Tu peux le dire, je suis chiant. Et là crois-moi, je ne vais pas faire la tête si tu l’affirmes.

Est-ce que je suis en train de dire que mes « collègues » de travail me mettent aussi la pression sans qu’ils s’en rendent compte ? Est-ce que je suis vraiment en train de dire ça ?

Revenons sur Lucas, l’auteur qui frappe sur le clavier plus vite que son ombre ; ce type est un ange. Il a eu tellement d’occasions de baisser les bras face à mes insupportables remises en question stupides. Je ne compte plus le nombre de fois où il m’a rassuré après mes quelques jérémiades pitoyables. Si tu savais tout ce qu’il a pu me dire, tous les mots qu’il a utilisés pour tenter de me remonter le moral. Puis, attends, ce n’est pas le seul ! Florian, un comédien pour qui j’ai beaucoup de respect et Paul, mon meilleur ami qui est aussi acteur (j’ai dit comédien et acteur, mais c’était pour ne pas faire de répétitions, donc laisse-moi tranquille) ont aussi perdu leur temps à s’occuper d’un cas comme le mien.

Et là, comme si de rien n’était, je commence à prétendre que mes problèmes de blocage pourraient aussi être de leur faute !

Non, non, bien au contraire.

S’ils n’étaient pas là, je ne serais même plus en train d’écrire si ça se trouve.

Mais ils veulent travailler avec moi, ils en ont envie. Ils me font confiance. Suis-je vraiment digne de leur intérêt ? Suis-je capable de tenir tête à des professionnels, qui pourtant sont encore tout à fait modestes malgré les grandes ambitions qu’ils ne cachent pas … ? Vraiment ?

Il y a quelques temps, Paul m’a avoué qu’il aimerait beaucoup écrire un scénario avec moi. Un film d’horreur.

J’ai évidemment accepté. Ce style est tellement devenu navrant au cinéma, si ce n’est pour quelques cas, alors je me suis dit que ça pourrait être vachement sympa. On pourrait, naïvement mais qui ne tente rien n’a rien, écrire un nouveau type de récit horrifique, loin des clichés embarrassant de l’art contemporain.

Lucas, quant à lui, me fait souvent appel lorsqu’il désire avoir un avis extérieur sur ses récits. Il a lu pas mal de mes textes, qu’il a, pour la plupart, apprécié. Il prévoit même de réaliser mon premier long-métrage, que j’ai commencé à écrire il y a déjà quelques années : Martial & Lily. Il a plusieurs fois évoqué l’idée de taffer avec moi sur quelques projets …

Florian a carrément écrit un rôle pour moi ! Je ne t’en dis pas plus mais, bon sang, c’est beau, quoi, merde !

Donc comme tu peux le voir, je suis bien entouré.

Maiiiiiiis (et là, j’ai la petite voix au fond de ma tête qui m’insulte en allemand parce qu’il faut toujours que je trouve un « mais ») ne sont-ils pas trop gourmand ? Je veux dire … Je peux vraiment leur apporter ce qu’ils me demandent ?

Quoi ? Non, je ne fais pas ça pour qu’ils me sucent encore et encore jusqu’à en avoir sur tout le visage, non. C’est une vraie question. Je n’attends pas de : « oh mais Loulou, arrête un peu ! Bien sûr que tu as du talent et gnagnagni et gnagnagna (personne n’utilise ces mots) ». Regarde. Qu’est-ce que j’ai finalisé ? Quel(s) projet(s) ai-je mené à bon terme ?

Raconte-Nous, ma première pièce de théâtre ? Oui, si tu veux, m’enfin ça reste quand même bourré de fautes et les personnages sont si clichés que si j’avais tenté de le mettre plus en avant, on m’aurait traité de raciste, sexiste et homophobe … Mais ne parlons pas de qualité, parlons de ce qui a été conclu.

Comédia, ma seconde pièce de théâtre ? Si tu veux. Il n’empêche que j’ai commencé une suite, qui, elle, n’a jamais été finalisée.

Puis on arrive sur Martial & Lily, qui, à l’image de ce texte, est énormément tiré de mon expérience personnelle. Génial. Quelle inspiration.

Ah oui, j’ai aussi écrit deux courts métrages dont l’un doit être repris de A à Z.

Et à côté de ça ? Plusieurs dizaines de projets tous aussi différents les uns des autres que j’ai jeté, oublié ou ridiculisé par la force de l’âge ou des choses, et que je ne reprendrai sans doute jamais.

Sur quoi se basent-ils pour avoir autant confiance en mon travail ? Parce que je suis passionné ? Mais passionné de quoi ? J’écris une fois tous les deux trois jours, sur moi et mon manque de confiance seulement, ça fait plusieurs mois que je ne suis pas allé dans une salle de cinéma, je me suis abonné aux Cahiers du Cinéma mais depuis le premier que j’ai reçu, en Novembre 2018, je les regarde s’entasser bêtement au fin fond de mon placard. Je les laisse tomber comme des vieilles chaussettes, pour reprendre cette fameuse expression vieille comme le jour.

Un exemple tout bête : ce fameux scénario d’horreur qui avait pour but de révolutionner le genre … On a travaillé deux trois fois dessus. On a pas mal avancé, il est vrai. Mais, comme je le prévoyais, j’ai demandé à arrêter très rapidement, bloqué par un détail qui me perturbait totalement. Je m’en voulais, mais ça me prenait tellement la tête que ça en devenait désagréable. Paul en était frustré, forcément, cependant il m’était impossible de ne plus y penser.

Je reviens à ce dont je me plaignais au premier chapitre ; je me prends trop la tête. Je réfléchis et j’agis au nom de la logique, ce qui a le don de repousser le plaisir d’écrire au second plan. Et, oui, il en faut. Un scénario sans logique, c’est comme un homme sans queue. C’est vide. Et qu’on ne me dise pas que je dois mieux réfléchir à ce que je veux raconter au préalable. Je ne l’ai jamais fait, et pour autant, j’ai déjà réussi à raconter quelques récits bien ficelés (deux, voir ci-dessus, lol). Mais j’en parlerai plus tard, j’ai aussi beaucoup de choses à dire là-dessus.

Du coup, oui, je me demande, encore, si ce domaine est réellement une passion pour moi. Or, comme je ne réussis jamais et ce dans n’importe quel corps de métier, je me demande si ce n’est pas une question de travail et d’une certaine fain…

Non.

Tu sais, je déteste parler de fainéantise. J’ai dû y réfléchir, je t’avoue, mais j’en suis arrivé à la conclusion que le terme en lui-même, sort souvent de la bouche de flemmards, justement. Un petit peu comme le mot « raciste », qui est aussi en lui-même un brin raciste. Je m’explique.

Quand j’étais en cours, les professeurs adoraient sortir cette facilité à tout bout de champ. Et adorent le faire encore, assurément. Dès qu’un élève ne suivait pas le cours ou préférait faire le con avec ses camarades de classe en leur lançant des compas à la gueule, tu pouvais être certain qu’à la prochaine réunion parents/profs, on le taxerait directement de glandeur (complété par d’autres adjectifs tout aussi reluisants). Dès qu’un autre n’arrivait pas à suivre le cours ou avait tout simplement du mal dans certaines matières, paf, poil dans la main. Si un gosse ne faisait pas ses devoirs, rebelote.

Pour la plupart des exemples cités ci-dessus, on pourrait rapporter cela à un mauvais comportement ou à un manque de respect envers l’enseignant. Là, on serait d’accord. Mais pourquoi fainéant ?

Je ne vais pas reprendre une définition du mot, seuls les prétentieux qui veulent toujours avoir le dernier mot, le font. Or moi, je m’en branle, je veux juste dire ce que je pense.

Les professeurs sont censés savoir mieux que quiconque qu’en cours (au collège principalement), les gosses n’en ont, pour la plupart, rien à foutre de ce qu’ils ont sous les yeux. Leur job consiste justement à rendre l’apprentissage intéressant et constructif. Je ne sais pas toi, mais moi, quand j’essaye d’échanger avec quelqu’un et que je vois qu’il s’en branle comme de la naissance de Jésus, je me demande avant tout si ce n’est pas de ma faute.

Ce que j’essaye d’expliquer, maladroitement comme d’habitude, et en sortant de l’exemple du corps enseignant, c’est qu’avant de juger les autres, il faut toujours savoir se remettre en question. Surtout dans ces métiers-là d’ailleurs !

Parce qu’au final, le gamin, si il fait le con dans la classe, c’est p’têtre parce que justement, il sait par avance que ce qu’on va lui raconter ne lui transmet que dalle. Regarde, les premiers jours d’une année de scolarité : les mioches ne parlent quasiment pas, ils écoutent.

Alors là, tu vas me dire : « non mais Louis, soit honnête deux minutes, si ils ferment leur clapet, c’est parce qu’ils ne connaissent pas encore le caractère de leur supérieur ! Mais, crois-moi, quand ils se rendent compte qu’il ne risque pas de mordre bien fort, ils se libèrent et souvent, ça finit en mode révolte Mai 68 ! Cette montée dans le je-m’en-foutisme marche par étape. Au fil des semaines, voire des jours ! T’es juste trop con pour t’en rendre compte. T’en as bavé dans ta scolarité, t’as croisé de sacrés phénomènes alors, hop, maintenant que tu es un adulte, tu leur en fous plein la gueule dans l’unique but de leur rendre la pareille ! Pas très objectif tout ça, j’ai pas raison ? ».

Eh bien, elle est là, la facilité. Encore une fois, c’est tellement plus facile de remettre tout sur la gueule du plus jeune. Tu sais, je connais de tas de mes anciens camarades qui étaient de vrais saligauds en classe mais qui aujourd’hui sont droits dans leurs bottes. Ils ont trouvé leur voie, ils font réellement ce qu’ils aiment ou du moins, ils se complaisent dans un environnement professionnel pas trop urticant. D’autres, se sont même lancés dans des études supérieures. Si supérieures que certains de leurs anciens professeurs tomberaient de bien haut si ils étaient amenés à l’apprendre. D’accord, ils ont grandi, évolué et ça compte aussi. Mais faut arrêter de les prendre pour des cons deux minutes. C’est pas parce qu’ils ne pensent qu’au cul, qu’ils se désintéressent de tout le reste, non mais oh.

C’est universel, l’apprentissage dans un environnement tel que le collège est ce qu’il y a de plus difficile. Que ce soit pour les enseignants ou pour les étudiants. J’en vois des articles sur des professeurs déprimés, je ne suis pas débile non plus. Faut pas croire, certains gamins vont bien plus loin dans la stupidité qu’on ne le pense. Cela est surtout dû au fait que leur éducation a été bâclé des pieds aux oreilles. M’enfin, c’est encore un autre débat.

Cela dit, et c’est pourquoi ce métier est à la base, passionnant, les professeurs se doivent d’intéresser les élèves. Un enseignant qui se contente de lire le programme à la lettre a très peu de chances de se faire respecter par les chiards de la 4e3.

Bah ouais mais mon pote, faut un peu assumer les inconvénients de ton job, tu ne crois pas ? Tu n’expliques pas le théorème de Pythagore à des adultes rangés et vieillissants de 40 printemps ! Tes vis-à-vis sont à leur âge le plus ingrat mais, et c’est triste parce que tu as tendance à l’oublier, aussi à un moment de leur vie où ils sont bien plus intéressés qu’on ne le croit. Un adolescent passe son temps à parler de ce qu’il aime. Il échange énormément. Certes, c’est aussi un incroyable fils de pute avec certains de ses congénères boutonneux, ainsi qu’avec toutes formes d’autorité (c’est cliché mais je t’emmerde), mais il est dans une période où il va amasser la plus grande quantité d’informations de sa vie, il est en pleine évolution physique, ainsi que rempli de doutes. Réfléchis un peu. On ne devient pas professeur pour parler à des plantes, je me trompe ? Tu le sais, toi, le jeune étudiant d’une vingtaine d’années qui va bientôt passer son concours pour devenir enseignant ? Oui, toi, celui qui est plein d’ambitions et qui pense révolutionner le monde avec tes idées à la con, c’est bien de toi que je parle ! Tu le sais l’âge que ces merdeux auront en face de toi, tu sais ce que c’est que d’avoir 14 ans, tu sais que ça ne va pas être facile. Mais tu le fais et pourquoi ? Parce que tu veux leur apprendre quelque chose ! Tu veux leur être utile. Tu as pour ambition de les aider dans leur avenir, de les faire avancer. Et si une décennie plus tard, tu retrouves un de tes vieux élèves qui te remercie pour ta pédagogie et ta patience (alors qu’il n’était qu’une petite brute d’un mètre treize), et qui t’annonce qu’il est devenu traducteur et que c’était ce dont il a toujours rêvé, alors là, c’est le pompon ! Alors, (insérez ici des insultes en tout genre), pourquoi est ce que vous devenez par la suite des abrutis sans aucune conscience et réflexion ? Vous êtes censés être non seulement plus cultivés mais aussi plus intelligents, plus consciencieux et plus diplomates que les trois quarts du cerveau du jeune Kévin, le crétin du dernier rang. Censés ! J’insiste sur ce mot là ! Censés !

Attention, tu vas encore me reprocher d’être paradoxal. Je ne critique pas ces ados, je ne dis pas qu’ils ne sont pas cultivés, ni même cons, mais qu’un professeur est quand même là pour conseiller, diriger son interlocuteur et l’écouter. Un jeune, bien que pleins de ressources, ne pourra pas reproduire tout ce qu’est CENSÉ faire un enseignant. Ne serait ce que pour l’expérience, sans parler de tout ce qu’il y a derrière. N’oublions pas, qu’il y a aussi une part d’éducation importante au sein de ce métier et qui est très loin d’être négligeable.

Ce n’est pas pour rien si j’ai choisi cet exemple en particulier. Il représente le cas le plus flagrant de l’abus du terme « fainéant ». Il est aussi le plus hypocrite.

Ce que j’essaye d’expliquer depuis tout à l’heure, est extrêmement simple. Les gens qui te qualifient de ce mot là, n’ont tout simplement plus aucun espoir en toi. Ils ne veulent plus ou pas t’aider, n’essayent plus de t’écouter ou de te comprendre et préfèrent prétendre que c’est de ta faute. Ceux qui disent que tu es un fainéant, sont eux-mêmes des putains de fainéants. Tu ne comprends pas ? Tu n’écoutes pas ? Tu n’es pas embarqué dans ce qu’on te raconte et tu fais autre chose pour combler ton ennui ? Tu ne te donnes pas à fond dans une tâche, une matière ou un travail ? Alors, on préfère crier sur les toits que tu es une feignasse, parce qu’on n’a pas envie de se remettre en question nous-même. On n’a pas de temps à perdre avec ce qui t’es propre. Sois comme tout le monde, fais ce qu’on te dit et exécute ce qu’on te demande. Point.

Ce que je vais dire est peut être facile voire ridicule, mais un professeur est celui qui va mener la vie d’un enfant, professionnellement parlant. Nos parents nous apprennent le respect, la politesse et bien d’autres choses encore. Les enseignants, eux, vont nous forger l’intérêt qu’on aura pour toute forme de travail et ce pour le reste de notre existence … Qu’on aime ou pas leurs cours ou leurs matières, n’est au final qu’un détail.

Si un prof te fait confiance et veut t’aider à progresser, tu ne considéreras plus le travail comme étant un gouffre sans fond, où tu es le seul à patauger. Tu capteras, au contraire, la joie et la reconnaissance de l’effort, l’aboutissement de quelque chose. Tu apprends un rythme, tu acquiers une confiance.

Au contraire, si les profs te rabaissent à t’appeler fainéant ou tout simplement, à ne pas essayer de te remotiver, tu perds tout ce qui pourrait faire de toi une personne au minimum ambitieuse. Très vite, tu te décides à ne pas continuer l’école, ni à te lancer dans de grandes études. Suffit d’une année pour que tu te retrouves complètement largué et, là, c’est fichu. Par la suite, tu auras du mal à suivre, car n’ayant pas su apprendre ce que l’on t’a enseigné plus tôt et tu vas ressentir un malaise profond au fil de ta scolarité. L’école sera ta définition de l’ennui, du désintérêt, du calvaire … Tu auras l’impression de perdre ton temps. Les enseignants ne sauront plus quoi faire de toi. Tu n’auras qu’une seule hâte ; partir, faire autre chose, t’évader de ce milieu qui te semble dirigé que par un ensemble de règles prédéfinies.

Sauf que pour certains cas, dont le mien, il est difficile de se relever de ça. Parfois, on trouve un job pas trop mal, avec des collègues sympathiques et amicaux et on se dit que l’école étant ce qu’elle est, tout, ou du moins à peu près tout, ira mieux. Mais, et ce comme je le disais plus haut, on a perdu l’apprentissage de l’effort. On ne nous l’a pas enseigné ou pas assez.

Les cas sont très divergents sur ce point, rien n’est aussi simple. Là où certains vont faire de leur échec scolaire, une réussite professionnel (comme je l’ai aussi expliqué plus haut), d’autre comme moi, ne restent que des enfants paumés ne sachant jamais réellement ce qui les intéressent. Ils auront l’impression de ne jamais être à leur place. La « fainéantise » est généralement le résultat d’une personne larguée, perdue, qui a souvent été incomprise ou mise de côté, qui ne sait pas comment travailler et pire, dans les cas les plus extrêmes, s’épuise rien qu’à l’idée même de « se bouger le cul » comme disent les puristes.

L’acte du « travail » représente alors la peur de se gaufrer, de se confronter à une évaluation extérieure et par la même occasion de s’enfoncer encore un peu plus dans l’inconfort d’un égo malsain, habitué à des critiques faciles et blessantes. C’est devenu une prise de risque qui peut conduire à un anéantissement personnel encore plus dégradant. Notre conscience a intégré cette idée stupide que nous ne sommes que des moins que rien et que chaque autre tentative se soldera forcément par un échec. Pourquoi ? Parce que c’est cela qu’on nous enseigne quand on ne nous pousse pas, quand on ne nous écoute pas, quand on préfère mettre tout sur notre dos, quand on préfère pousser les autres élèves à nous enfoncer la tête dans cette merde déjà suffisamment fraîche, qu’est notre estime de soi. Alors oui, tu rigoles, tu te marres, tu trouves cela facile et laxiste, mais je sais ce que je dis, j’y ai réfléchi figure toi ! Je me rappelle quand, comme si ça ne suffisait pas, un professeur de mathématiques m’a balancé à la gueule que je ralentissais sa classe alors qu’il en est le principal responsable ! J’ai en mémoire le nombre incalculable de fois où ces fils de pute se moquaient de moi au beau milieu de mes camarades, parce que je n’avais pas fait mes devoirs ou parce que mes notes n’étaient pas à la hauteur de leurs demandes ! Je ressasse le moment où un de ces abrutis sans nom a trouvé utile d’enfoncer ses propres élèves parce qu’ils ne suivaient pas son cours, en leur rappelant que s’ils continuaient comme ça, ils finiraient boucher, sans penser une seule seconde que l’un d’entre eux, voulait justement en faire son métier !

Si je te raconte tout ça, ce n’est pas pour critiquer bêtement sans queue ni tête. Mais, et c’est aussi le but de tout ce récit, j’essaye de trouver des raisons qui m’ont conduit à être la personne que je suis. Je ne dis pas que l’école est responsable de ma personnalité actuelle et encore moins de tous mes défauts, mais qu’elle a contribué en un sens à me décourager de beaucoup de choses.

Certes, j’aime le cinéma, j’adore l’écriture et j’apprécie particulièrement le milieu artistique dans lequel je me trouve actuellement (en dehors de mon « job »). Mais ce faux semblant d’éducation que j’ai à peine effleuré au sein de la scolarité lambda, revient à chaque fois me titiller l’arrière train. Je trébuche facilement, je m’écrase rapidement, je me casse intérieurement. De plus, il est vrai que je suis fragile, sensible, un brin naïf alors ça n’aide pas.

Je crois même, au final, avoir compris pourquoi je me suis dirigé vers ce domaine en particulier. Le cinéma est un milieu à part ainsi que tout ce qui touche à l’écriture. Il est en dehors de toute forme de conformité, il est plus franc, plus personnel. Il est tout le contraire de cette société. L’art cherche à nous comprendre, au lieu de nous aseptiser. Il permet de s’exprimer librement, de ressentir des émotions qui nous sont propres. Il ne nous juge pas, nous accepte tels que nous sommes. Pour certains, comme moi, c’est une sorte de refuge.

Mais le mal est fait.

Beaucoup de personnes, tristement, pensent que dans les domaines artistiques (un peu grossier comme terme, mais j’essaye de trouver des synonymes alors, fais un effort), il n’y a que des moins que rien, des profiteurs et, on y revient, des fainéants.

Syndrome de cette différence qu’il y a entre les deux pôles. Nous n’avons, pour la plupart, pas les mêmes chemins, ni les mêmes études pour parvenir à nos fins. Le cinéma, par exemple, nous demande souvent de passer par des étapes de non rémunération conséquentes que seul l’Etat, quelques écoles spécialisées et des petites prod’ arrivent à nous financer, avant qu’une personne sur dix arrive à en vivre au moins décemment. Quand ce n’est pas les réalisateurs eux-mêmes qui prennent sur leurs économies, tout ça pour récolter à peine le tiers de leur avance voire que dalle, pour la faire simple. Rare sont les autres domaines qui utilisent les mêmes procédés en dehors de tout ce qui touche à l’art.

Et puis, forcément, quand tu balances à un type lambda que tu tournes dans un court métrage réalisé par un inconnu au fin fond de la Creuse avec pour seuls locaux une grange abandonnée et des chiottes turcs à la limite du scandaleusement dégueulasse, et tout ça pour un budget minable digne d’un très mauvais film de cul des années 70, tu peux comprendre qu’il juge ton avenir dans le domaine bien loin des strass et des paillettes hollywoodiennes. Tu deviens un péteux de gauche, qui fume des joints tout en « vivant le moment » et qui vis sur les impôts des autres. Pour eux, nous ne sommes que des gamins immatures, immoraux et bizarres, bien trop cons pour se rendre compte de l’instabilité de leur « passion ». Passion, oui. Bah attends, manquerait plus qu’on appelle cela un métier …

Alors que sur le terrain, ma grande, je ne te raconte pas. Parfois, les clichés sont le résultat de coïncidences évidentes qu’il est difficile de remettre en cause. Laisse-moi te dire que ce n’est pas du tout le cas pour ce que j’aime le plus au monde.

Au cinéma ou à la télévision, peu importe si tu veux faire un court métrage, un film ou une série, la première chose que tu dois travailler est le scénario. Et, attention, je ne dis pas ce qui va suivre parce que j’« aspire » à en faire mon métier, mais cette première étape est déjà l’une des plus complexes. Surtout si tu es seul d’ailleurs. Je peux t’assurer que si tu es un « fainéant défoncé à l’herbe h24 », l’écriture d’un scénario n’est absolument pas faite pour toi. Il faut être rigoureux, savoir se remettre en question à chacune des répliques que l’on calligraphie, savoir raconter un récit, être concis, bien connaître le métier d’acteur au minimum (et encore, je suis cool), structurer une histoire, créer des personnages, créer un environnement, ne pas avoir peur de réécrire plusieurs versions avant d’en voir le bout (en sachant que la plupart du temps, les scénarios sont encore en reconstruction lors du tournage. Je te laisse imaginer le bordel que ça peut être pour un long métrage), et j’en passe et des meilleurs.

Le scénario est un pylône indispensable. Tout projet se construit à partir de sa meilleure version. Tu n’as pas de scénario, alors tu ne verras jamais la couleur de ton film. C’est idiot de le rappeler mais, merde, arrête de me couper toutes les cinq secondes, t’es chiante !

Je ne vais pas te décrire tout le déroulement de la fabrication d’un film. Déjà, parce que je dois en connaître la moitié, puis ce n’est pas le but de cette énième explication stérile.

Le monde du cinéma n’est pas fait pour les fainéants, contrairement à ce que pensent les vieux français de droite à l’ouïe inexistante. Ou, avec mes propres mots, pour ceux qui ne vivent pas à fond cette passion hors norme.

Rends-toi une seule fois sur un tournage un minimum professionnel et tu t’en rendras déjà bien compte. Et encore, cela n’est seulement que la partie visible de l’iceberg.

Regarde les génériques de fin dans les salles obscures, mon Dieu … Tant de métiers différents pour un seul et même projet. Projet qui, au final, se résume à deux heures et demie d’histoire. Et la base de tout ça ? Un type en jogging seul chez lui, qui pue la clope et qui n’a aucune vie sociale : un scénariste.

Quelle vie de rêve. Non, ce n’est pas ironique.

Peu de personnes ont idée de tout ce qu’il faut pour faire un film, de tout ce à quoi il faut penser. J’en ai une maigre expérience, mais il suffit d’y réfléchir dix secondes pour s’en rendre compte.

Et tu sais, j’en ai une peur bleue.

J’ai tellement envie de faire partie de cet univers si complexe, moi qui pourtant déteste la complexité.

Mais si je ne parviens pas à en vivre, ou tout du moins à finaliser quelques scénarios et/ou projets, alors je serai malheureux pour le restant de mes jours.

J’y pense à longueur de temps. Et plus le temps passe, moins j’y parviens.

C’est une passion. Et comme quand l’amour est passionnel, mon désir de réussir dans l’écriture ou dans le cinéma est dévorant. J’en souffre comme j’en suis heureux.

Je dois réussir, je dois écrire des histoires, je dois jouer, je dois réaliser, je dois créer.

Je dois.

Ou sinon, je meurs.

Et à bien y réfléchir, je préfère nettement passer l’arme à gauche en essayant plutôt qu’en arrêtant.

Je sais que tout ce que je calligraphie ici même ne révolutionne rien du tout. Ce texte n’a aucun itinéraire, aucun but, aucun intérêt.

C’est vide. C’est un itinéraire de rien du tout.

Pourtant, j’essaye. Encore.

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