Allez Miles, envoie
Douche tiède qui fait du bien. J'abuse un peu. Je fais durer. L'eau glisse lentement. La température est idéale. Mon corps sourit. J'observe les gouttelettes sur la paroi et je leur donne vie; elles m'entraînent dans des constellations inconnues. Je plane dans un espace cotonneux où seuls les battements de mon coeur très lents me rattachent à l'ici et maintenant. Je laisse l'eau vivre sa vie et me concentre sur chaque partie de mon corps. Je me découvre, une première fois répétée. Je suis le cours de l'eau au contact de ma peau, ici rivière, là océan. Les effluves de fleurs d'oranger sonnent l'heure de sortie. La serviette est chaude à souhait, elle m'enveloppe et se fait câline. Je profite de cette caresse puis je prends le temps de me masser légèrement avec une crème de la gamme de mon parfum. Je me découvre à nouveau. J'enfile une chemise en soie. Je ne me regarde pas. Je me sens. En passant par la cuisine, j'attrape un bol de salade de fruits parfumée vanille-cannelle. Je passe dans le salon. J'installe "Misty" et le sax de Miles Davis. J'allume une bougie. La flamme me fait un clin d'oeil. Une bouchée de fruits et je m'allonge, à l'invitation des coussins moelleux et colorés, sur le tapis persan. Je déguste lentement. Allez Miles, envoie.
"Le véritable contraire de la douceur n’est pas la brutalité ou la violence mais plutôt la mièvrerie, qui serait une douceur sans puissance et sans relief, une contrefaçon, qui la pervertit en la mimant, de même que « toutes les formes de compromissions, de suavité frelatée, de bouillie sentimentale .
La douceur anime une nébuleuse où gravitent mansuétude et amour, indulgence et pardon, harmonie ou pitié, soin et souci de l’autre – ce que les anglo-saxons ont nommé le « care ». Et il est vrai que le soin a toujours été associé à la douceur, qui même si elle ne suffit pas à guérir, si elle ne s’autorise d’aucun pouvoir ni savoir, ajoute au soin une relation de compassion qui revient à souffrir avec l’autre, à reconnaître par là-même sa propre vulnérabilité, mais à éprouver la souffrance d’autrui en se gardant d’y céder, de manière à porter secours."
Anne Dufourmantelle, La puissance de la douceur
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