La bataille d'Allenville

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Un premier obus explose au loin, la réveillant presque sereinement. Elle cligne des yeux, des ordres sont hurlés quelque part. Elle est recroquevillée, elle a froid, ses pieds sont trempés. Elle tente de s'étirer, range son arme de poing ainsi que sa lame de combat règlementaire. D’autres soldats passent tout près d'elle en courant, la tranchée s'agite. Elle s'appuie sur les étais en bois pour se relever. Son uniforme kaki est désormais marron de boue. Une autre femme s'approche d'elle, lui demande tout bas : « Tout va bien Pearce ? » Elle hoche la tête. L'autre lui tend sa carabine M1 en annonçant : « Ils ont été repérés à l'Ouest de Fogelsville. Ils viennent ici... » Pearce vérifie son arme, un autre obus frappe le sol plus loin. Elle ne sursaute pas puis répond :

-Alors c’est l’heure. » Le Second Lieutenant Davis beugle :

-26ème ! » Pearce et sa camarade se ruent vers lui pour écouter ses ordres. Elles pataugent dans la boue jusqu’à parvenir aux postes de mitrailleuses. Le jeune homme, à peine âgé de la vingtaine clame : « L’ennemi est à nos portes ! Inutile de vous rappeler ce qu’ils ont fait à Minneapolis, Milwaukee, Chicago, Detroit, Cleveland, Pittsburgh !… Si nous ne les arrêtons pas ici… New-York est leur prochaine cible. » Il déglutit, Tout le monde semble terrorisé. Il inspire à fond avant d’ajouter : « Les renseignements parlent d’une sorte de chamane. On en sait peu, mais il ferait usage de pouvoirs ésotériques, comme ceux décrits en Europe. » De la magie… Les visages perdent encore plus de leur couleur. Certes depuis des mois ils ont l’avantage technologique. L’ennemi a subi des pertes colossales, mais il semble n’y avoir aucune fin à leur déferlement et dès qu’un sorcier est impliqué… L’armée est forcée de reculer. « Ce n’est pas tout. » Pearce avale sa salive avec difficulté tandis que le lieutenant Davis ajoute : « Ils savent qu’ils sont en train de perdre… Ils sont désespérés… Ils ont laissé les traces d’une sorte de rituel à New Smithville… Nous avons ordre d’abattre ce chamane à vue. Compris ? » Tous acquiescent alors qu’il conclut : « Tenez vos positions, ne sortez de la tranchée qu’à mon signal. » Il fait une pause : « Que Dieu vous protège… Qu’Il nous protège tous… » Sans un mot de plus, chacun retourne à son poste. Pearce se place debout contre la tranchée, elle pose sa carabine sur la terre en prenant soin de ne pas souiller le mécanisme. Son amie vient se placer à côté d’elle. Un bouclier carré à la main. Elle l’installe sur des pieds pour les protéger toutes les deux, puis se positionne comme Pearce. Elle tremble, respirer difficilement, son amie lui attrape la main en murmurant : « Ella… Souviens-toi. Longues inspirations…

-Longues expirations… » Elle hoche la tête en appliquant cette règle. Ses tremblements se calment, mais elle sursaute quand un autre obus est tiré. Il y a un cri inintelligible au loin. Puis ce sont deux, trois, dix tirs de mortiers qui sifflent dans le ciel nocturne de la Pennsylvanie. La terre se met à trembler sous les impacts des bombes. Pearce marmonne : « Prenez ça, saloperies… » Elle vérifie nerveusement les munitions de sa carabine. Ses yeux sont rivés sur l’horizon, ce que Davis n’a pas mentionné, c’est que le sort de la Guerre se joue ici. Car face à l’avancée fulgurante et soudaine de l’ennemi, le gouvernement s’est replié à New York, délaissant Washington. Et le dernier front est ici… à Allentown… Au loin, une brume se lève, épaisse elle avance vers la tranchée… Elle est rouge. Ella se met à couiner :

-Non non non… » Pearce sent son cœur s’emballer, des borborygmes s’élèvent de la fumée qui ne fait que croître devant eux. Les mortiers tirent à nouveau. Un cadet passe en courant derrière elle, il leur pose une grenade à chacune dans la terre devant elles avant de se sauver. Pearce attrape la sienne pour attacher nerveusement la goupille à sa ceinture.

Le chant inquiétant prend de l’ampleur jusqu’à devenir assourdissant. La couleur rouge dans la brume se rassemble, comme aspirée en son cœur. Puis une lumière inquiétante s’en échappe, un cri rageur, douloureux s’élève tandis que le masque se dissipe. L’ennemi est là : Les orcs sont sur eux. Ces brutes à la peau verte restent immobiles. Silencieuses. C’en est terrifiant. Eux qui normalement chargent sans la moindre hésitation. Le chant guttural se réduit, un spécimen plus grand que les autres, enveloppé dans une sorte de robe primitive couverte de plumes et d’ossement, s’avance. Le Chamane ! Pearce est paralysée, personne n’ose bouger. Les yeux du sorcier rougeoient, il retire sa tenue pour grandir à vue d’œil. Davis tire le premier, son projectile s’illumine puis disparait, comme brûlé en plein air devant l’orc qui semble se transformer. Sa peau se déchire, laissant apparaître des écailles aussi noires que du pétrole. Un autre ennemi, en armure d’ossements humains se met à beugler dans leur langage guttural. Pearce se réveille, elle épaule sa carabine, vise un orc au hasard, tire. L’ennemi encaisse le coup de feu dans l’épaule, reculant simplement d’un pas avant de retrousser ses babines en grognant de rage. Le général orc pousse un cri de guerre, soudain le sol se met à trembler sous la charge frénétique de son armée. Pearce entend Ella couiner de terreur, mais aussi sa M1 faire feu. Elle anticipe, tire sa grenade de toutes ses forces puis la lance par-dessus son épaule en hurlant : « Ça va péter ! » Les orcs ne sont pas stupides, ils ont appris à connaître les armes humaines. Ils sont incapables de s’en servir ou de les reproduire, mais lorsqu’ils voient la grenade, ils se jettent au sol pour se protéger de l’explosion.

Le chamane pousse un dernier hurlement qui déchire la nuit et paralyse humains et orcs. Sa transformation est complète, il déploie une paire d’ailes déchirées, des cornes de boucs ont poussé sur son crâne. Et ses yeux… rouges sang, semblent habités par un feu intérieur. Il clame quelque chose d’incompréhensible, les orcs reprennent son cri en chœur avant de retourner à la charge.

Pearce et Ella tirent frénétiquement sur les bêtes qui semblent impossible à stopper. Malgré les pertes, les mines qui explosent sous leurs pas, les barbelés qui lacèrent leur chair. Ils ne ralentissent pas, leurs yeux sont eux aussi rougeoyants, habités par une furie inextinguible. Une des créatures charge Ella et Pearce, il jette son arme sur elles, fracassant le bouclier mis en place plus tôt. Son amie se jette à l’abri de la tranchée, Pearce dégaine son arme de poing et son couteau. Trop tard. La bête se jette sur elle, à peine le temps de placer sa lame entre elle et le mastodonte, ce dernier s’empale le cœur dessus, mais parvient à la mordre à la gorge. Il est sur le point de tirer pour lui arracher le cou quand Ella lui saute dessus en poussant un cri strident, plantant son couteau dans la nuque du monstre, le tuant sur le coup. Elle passe ensuite de longues secondes à aider Pearce à se dégager, avant de la découvrir couverte de sang. Elle hurle pour qu’un médecin vienne les aider, mais la tranchée est déjà envahie de peaux-vertes.

La sombre créature qui galvanise l’ennemi est juste au dessus d’elles, une épée de feu apparaît dans sa main, comme sortie de nulle part. Ella serre Pearce dans ses bras en comprimant la plaie, elles ne peuvent que désespérer, se résigner face à ce qui ressemble au mal incarné…

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