Menace
Le Haut Maître embrassait du regard les toits de la ville à travers la grande verrière, et tournait le dos au Premier député qui venait d'entrer dans son bureau.
« Haut Maître, annonça celui-ci, les barbares sont dans nos murs. »
Le Haut Maître prit une profonde inspiration.
« Ils ne passeront pas. »
Le ton était martial, déterminé.
« Mais ils sont déjà passés. Ils sont sur le territoire et même en ville. »
Le Haut Maître se retourna vers son visiteur.
« Comment le savez-vous ? »
L'homme se tenait difficilement droit, et piétinait nerveusement sur place.
« L'un d'eux a assassiné un précepteur. Il a été décapité. »
« Qui a été décapité ? L'assassin ? »
L'homme fronça les sourcils.
« Non, bien sûr. Le précepteur. »
Le Haut Maître vint s'asseoir à son bureau.
« C'est fâcheux. »
Il se mit à soulever et déplacer des papiers et dossiers disséminés sur son bureau.
Le Premier Député se racla la gorge.
« Que devons-nous faire ? »
Le Haut Maître s'interrompit et releva la tête.
« Que faisons-nous d'habitude, dans ce genre de cas ? »
Le Premier Député fit un pas en avant. La parquet craqua sous son pied dans l'immense bureau aux murs lambrissés.
« Mais cette fois-ci, c'est plus grave. Un barbare a décapité un précepteur en pleine ville. »
Le Haut Maître se renfonça dans son fauteuil.
« Et pourquoi diable a-t-il fait cela ? »
Le Premier Député ouvrit le dossier qu'il tenait dans les mains.
« D'après nos renseignements, il avait enseigné la notion de liberté d'expression. »
« Qui cela ? L'assassin ? »
Le Premier Député s'étrangla et toussa légèrement.
« Non, bien sûr. Le précepteur. »
Le Haut Maître hocha la tête.
« Oui, cela a plus de sens. Car, c'est ce que nous défendons. »
Il observa le Premier Député. Celui-ci avait relevé les sourcils et semblait attendre.
« Et donc, quels sont vos ordres ? »
Le Haut Maître soupira.
« Je vais faire un discours, parler au peuple. »
Le Premier Député s'approcha du large bureau fait de bois marqueté et de pièces métalliques.
« Je vous laisse le premier rapport de la maréchaussée. Je vais retourner sur place afin de recueillir plus de renseignements. »
Il déposa son dossier sur la table et voulut se diriger vers la porte quand le Haut Maître l'arrêta.
« Attendez. Dites-m'en plus sur ce... barbare. Qui est-il ? Que voulait-il ? »
« Il fait partie de ces Discordants qui critiquent et déconsidèrent nos valeurs au nom de leur croyance. »
« Mais ils en ont le droit, non ? »
Le Premier député balança la tête.
« Certes, mais ils tendent à promouvoir leurs propres idées par la violence. »
« J'ai effectivement entendu parler d'actes isolés ici et là, répondit le Haut Maître en balayant l'air de la main. Mais nos prédécesseurs ont bâti une cité ouverte, apaisée, tolérante... »
Une voix tonna d'un coin sombre de la pièce.
« Peut-être un peu trop tolérante ? »
Le Premier Député sursauta. Il ne s'habituait pas à la présence furtive du Premier Conseiller, assis dans son fauteuil.
« Que voulez-vous dire ? »
L'homme âgé frappa le parquet de sa canne.
« Nous sommes des chiffes molles ! Nous leur passons tout. Nous sommes faibles. »
Le Haut Maître renifla bruyamment.
« Je vais prouver que je ne suis pas faible. Je vais faire un discours fort. Premier Député, en sortant, faites venir ma secrétaire. Il faut que je convoque mes rédacteurs.»
L'homme hocha la tête et se dirigea vers la sortie.
La main sur la poignée de la porte, il se retourna :
« Vous savez, je crois que le peuple attend un peu plus que des mots, même forts. Ils perdent lentement confiance dans notre autorité. Ils se demandent si nous sommes capables de les protéger. »
« Les protéger contre quoi, bon sang ? » rugit le Haut Maître en tapant du plat de la main sur la table.
Le Premier Député baissa la tête en soupirant.
« Je fais appeler vos rédacteurs. »
Annotations
Versions