VI
Mon père avait buté le chien d’un voisin une fois –je sais que tu te dis que je pars de nouveau dans une autre histoire sans finir la première mais tu verras, il y un rapport.
Le chien avait mordu l’un des nôtres et mon père l’avait dégommé à coups de bâton. Tranquillement, il avait ramassé le chien et on était partis chez le voisin qui habitait trois maisons plus loin. Mon père lui a expliqué, tout penaud, que le clebs était venu se foutre dans les pattes de la jument et qu’elle avait rué. C’est passé comme une lettre à la poste. Le voisin s’est même excusé pour le dérangement. Je n’oublierai jamais le sourire en coin de mon père en rentrant à la maison. Il avait même embrassé ma mère devant moi. Je crois que c’était la première –et dernière- fois que je les voyais s’embrasser.
Tout ça pour te dire que la meilleure solution à mes yeux était encore de retourner au village en disant qu’il avait plongé et qu’il s’était cogné la tête contre un rocher. Ce que j’ai fait. Il me fallait prendre un air choqué –j’étais incapable de pleurer et d’être hystérique sur commande. A 300 mètres du village j’ai croisé une vieille voisine et j’ai marché droit sur elle, les yeux dans le vide et la démarche mal assurée. J’ai balbutié qu’il était là-bas, qu’il s’était cogné, que j’avais rien pu faire, que c’était trop tard et que je devais m'asseoir. Elle, toujours prête à rendre service, s’est mise à gueuler pour rameuter tout le monde et a demandé aux premiers arrivés d’aller voir parce que, je cite, j’avais l’air de délirer.
Comme tu peux l’imaginer, dans un village de trente personnes, ce genre de nouvelle se répand plus vite que la grippe. Au lieu de m’emmerder et de me poser toutes les questions évidentes, ils, et quand je dis ils je parle d’absolument tout le monde, m'ont ramené chez moi et m’ont mis au lit parce que, tout de même, voir une chose pareille à mon âge, ça te détruit une vie.
Pendant toute une semaine on m’a traité comme un vrai roi, un peu comme si j’avais miraculeusement échappé à une mort certaine. Dans un petit hameau perdu au milieu de la forêt on ne fait pas d’enquête si la preuve évidente d’un meurtre ne saute pas aux yeux. Surtout quand le seul meurtrier possible est un petit garçon timide et discret de 13 ans.
Annotations
Versions