On est lundi. C’est le premier jour du mois de juin de l’An de Grâce 2116. Alors je me place au pupitre devant le stade vide et je commence à chanter : « Amazing grace, how sweet the sound... » Le son est incroyablement divin. On se regarde et on continue ensemble : « … that saved a wretch like me. » En harmonie. On s’arrête, on se regarde gravement, il se passe quelque chose. La musique l’a révélé. Un signe entre nous. On est liées. Dans la musique. Dans l’amitié. Dans l’amour.

• Maëlle, je te veux dans mon équipe, on va chanter à la cérémonie de la promotion Russell.
• Super ! Je suis jamais allée au lycée, ça sera l’occasion.
• Comment ça ?
• Il n’y avait pratiquement pas de profs ni de cours. Pareil pour les écoles supérieures. Je viens de la génération en perdition que la B3 a sauvée.
• Ma pauvre petite Maëlle, tu es passée à côté de ta jeunesse, c’est au lycée que j’ai rencontré Graham. Et le tennis.
• J’ai évité bien des problèmes aussi je pense. Je n’ai rien à regretter. Je pense que je me serais perdue, que je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. J’ai évité les échecs.

C’est déjà l’heure du brunch. On va traîner sur le campus et on s’arrête à la Gargote. L’endroit est zen, propice au travail et les plats sont légers. Je regarde Bri scintiller dans l’ombre de la terrasse où le toit ouvert est couvert de vigne.

• Maëlle, demain je t’emmène à mon studio pour immortaliser ta voix.
• Tu as toujours une activité d’avance à me proposer. Moi je suis bien pauvre pour te distraire en dehors du dodo et du réveil. J’ai l’air d’être quelqu’un dans la civilisation mais je ne suis pas grand-chose par rapport à toi. La richesse sociale des leaders semble bien futile par rapport aux gens dans l’ombre comme toi. Vous êtes nombreux je pense, non ?
• On est toute une génération. Ça n’a pas eu que du bon. Heureusement, vous êtes arrivés à temps avec votre B3 et votre investissement dans le fonctionnement des institutions. Celles de notre époque, on les a subies et on a pas suivi. Mais tout est rentré dans l’ordre et l’ère de la B4 va pérenniser tout ça. Tu es ce celle qui décide. Je suis de celle qui ne font plus. Décision et inaction. Ni toi ni moi ne sommes dans l’action, à part l’une sur l’autre, ça nous perdra, on se consume, on se consomme trop vite. Dans l’éternité, pour durer, il faut en faire le moins possible.

On rentre à la maison blanche pour ne rien faire que s'aimer sur sa plage.