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  Haut dans le ciel, un homme contemplait son œuvre, seul. Il travaillait avec acharnement sur un projet qu’il avait commencé depuis longtemps. Situé au sommet d’un building, cet individu était un botaniste. Son visage disparaissait derrière ses cheveux sans fin et une barbe hirsute.

D’aussi loin qu’il pouvait se souvenir, il n’avait aimé plus que tout qu’une chose : la nature. Il appréciait en particulier ses plantes. C’était pour lui de magnifiques démonstrations d’architectures complexes et imprévisibles qui s’adaptaient à leur environnement. De plus, il nourrissait de l’animosité envers une partie de son quotidien : le monde qui l’entourait. Il jeta un regard autour de lui : tout ce qui s’offrait à ses yeux était un mélange de fumée, d’usines sombres travaillant dans un rythme continu et de hautes tours dont on ne pouvait distinguer les sommets. Il n’arrivait plus à supporter la vision de son univers, terre gangrenée par la mécanique et l’industrie. Il avait essayé de partir, de marcher aussi loin qu’il avait pu, mais sans succès. La planète sur laquelle il vivait détruisait chaque jour un peu plus la nature qu’il chérissait tant. Bientôt, la végétation ne serait plus qu’un souvenir devant l’expansion sans fin des entreprises réclamant de l’espace pour installer leurs fabriques. C’est pourquoi le botaniste avait choisi de mettre en fonctionnement son plan.

Pendant des années, il avait réfléchi à la création d’une immense barricade faite de plantes hybrides puisant ses ressources dans le sol ainsi que dans la pollution de l’air. Cette barrière avait pour but d’isoler l’homme de ce monde qu’il répugnait tant. Il avait trouvé pour lieu de son projet le toit d’un immeuble. Le bâtiment abritait une entreprise qui exerçait une grande influence sur la commercialisation des alentours. Cet individu était connu pour ses idées profondes, ses sciences et son humeur fluctuante. Le botaniste avait installé en toute discrétion ses affaires sur le site, car il considérait comme juste d’utiliser ce lieu qui détruisait la Terre pour créer son œuvre végétale. La sécurité ne l’avait pas remarqué et il était tranquillement en poste. Il avait bientôt fini. Une fois le projet achevé, la barricade de plantes le protègerait de tout. Il n’avait pas d’appréhension.

Alors que la nuit continuait son cours et que l’homme établissait les serres et dispositifs selon son plan, il s’interrogeait. Tout cet assemblage de matériaux, ces manipulations sur les végétaux avaient couté très cher. Il n’aurait jamais pu y arriver seul. Il y a un an de cela, il avait reçu des moyens financiers d’un mystérieux bienfaiteur. Depuis cet évènement, les fonds n’étaient plus un problème. Il n’avait jamais eu connaissance de l’identité du donateur. « Sans doute un excentrique souhaitant participer à un projet au hasard tourné vers l’écologie », se disait le botaniste.

Lorsqu’il arriva à un moment critique de l’assemblage de son invention, son tournevis cruciforme rompit. Cela était très dérangeant, car il n’en avait qu’un et ne pouvait utiliser un autre format. Il en était à l’acte le plus décisif et ne pouvait se permettre un manque de précision. Après réflexion, il pensa qu’un outil devait bien se trouver plus bas, dans l’entreprise. Il devait y avoir des locaux pour le personnel chargé de l’entretien du bâtiment. C’était la nuit, personne ne le verrait s’introduire dans les couloirs. Il quitta son repaire et commença son chemin à travers les bureaux et étages où se déroulaient quotidiennement d’innombrables choix jamais concernés sur l’essentiel pour lui. Alors qu’il jetait un coup d’œil sur un meuble, il trouva un journal posé en coin. Le gros titre mentionnait l’entreprise. Son propriétaire était annoncé disparu depuis plus d’un an maintenant. Ses comptes s’étaient vidés en même temps que l’absence de signes de vie de sa part. Une photo accompagnait la légende. Il avait été un bel homme aux cheveux courts bien taillés et un rasage de près. Ses yeux étaient particuliers : ils semblaient de couleur dorée et argentée. Ils avaient une forme de lune.

Le botaniste progressa à travers les étages jusqu’au local technique. Ses pensées allaient au mystérieux bienfaiteur. Et s’il s’agissait du propriétaire ? « Non, j’aurais eu un indice et les services de police m’auraient questionné sur un tel transfert de monnaie. J’aurais été un suspect concernant sa disparition. » Se disait-il ? Mais était-il sûr ? Il se souvenait peu de certains détails de sa vie avant l’œuvre de son projet. Et s’il avait été mêlé à l’absence de cet homme ? Sa haine de l’industrie, son besoin de fonds l’avaient peut-être fait commettre des actes innommables. « Si seulement ma mémoire pouvait être moins défaillante », regretta-t-il.

Il découvrit le local idéal et emporta un tournevis à tête plate, entamant ainsi le voyage du retour. Il passa à proximité des toilettes de l’étage. Là, il se fit la réflexion qu’il n’avait pas vu son reflet depuis longtemps. Sa quête de la barricade végétale l’avait tellement obnubilé qu’il en avait oublié à quoi il ressemblait. Pris de curiosité, il alla se regarder dans un miroir. Alors que ses yeux se posèrent sur une apparence inconnue, il laissa tomber tout ce qu’il tenait en main. Son visage exprima la stupeur devant ce qu’il observait, car au milieu des cheveux longs et de la barbe hirsute, il pouvait distinguer ses yeux de couleurs dorés et argentés en forme de lune.

Bas dans l’immeuble, un homme contemplait son œuvre, seul.

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