Amanda était sortie diplômée d'une célèbre école de journalisme danoise. Ses parents étaient fiers d'elle. Son parcours scolaire avait toujours été exemplaire. Elle aurait pu être ingénieur aéronautique (le rêve de son père) ou directrice d'une agence publicitaire (celui de sa mère). Toutes les portes lui étaient ouvertes. Son dossier de dernière année comportait des appréciations dithyrambiques qui avaient impressionné tous les étudiants et suscité l'admiration des professeurs. Ils savaient qu'elle était destinée à un grand avenir.

Son choix se porta pourtant sur le journalisme car elle aimait écrire sur l'instant à propos d'événements en train de se produire. Elle appréciait la relation spontanée avec les gens qu'elle rencontrait sur sa route.

Sa façon d'interviewer faisait l'admiration de tous. Elle soutirait au bout de quelques minutes des informations capitales au plus récalcitrant des hommes. Elle se sentait prête à faire tous les sacrifices pour montrer ses capacités.

Son fiancé, Jurgen, ne voyait pas son choix d'un bon oeil. En plus d'être surprenant, il l'éloignerait inexorablement de lui, et cela ne semblait pas affecter Amanda le moins du monde. Les relations platoniques et épistolaires, très peu pour lui.

Malgré leur cinq années de relation, leurs liens n'étaient donc pas si forts puisqu'elle prenait une telle décision sans même se préoccuper de son avis. Il se sentait offensé, inutile. Il n'avait pas l'intention de lui promettre de lui écrire chaque semaine ni de l'attendre pendant que madame crapahutait aux quatre coins du monde. Son métier, chercheur en génétique dans un grand laboratoire influent d'Amsterdam ne lui permettrait pas une telle mobilité. Il en avait trop bavé pendant ses études pour lâcher ce job inespéré.

C'est ainsi que leur chemins divergeaient, chacun étant concentré sur sa jeune vie professionnelle qui leur demanderait un engagement important.

Il était déjà nostalgique de ce parcours amoureux jalonné de hauts et de bas, depuis leurs premiers émois, à dix-sept ans, jusqu'à aujourd'hui, jeunes adultes en pleine émancipation. Ses meilleures années, pensait-il.

Il allait falloir lui annoncer la rupture définitive. Mais comment s'y prendre ? Elle, si sûre d'elle depuis toujours, persuadée que tout le monde la suivrait au bout du monde, n'a pas senti que leur couple partait à la dérive.

Elle se leva ce matin-là pour se préparer un café lorsqu'elle entendit le bruit du moteur de la voiture des Postes s'arrêter devant leur petit appartement situé en rez-de-chaussée. Un coup de sonnette l'avertit qu'un courrier lui était destiné.

Le préposé lui présenta une enveloppe volumineuse.

• Bonjour, voici un courrier qui nécessite un accusé de réception, ne tardez-pas, les bureaux ferment à 13h00.
• Ah, merci, c'est gentil à vous, bonne journée.

L'employé s'éloigna rapidement, Amanda referma la porte sans tarder, un coup de vent froid s'était engouffré dans le couloir, elle frissonna.

Jurgen dormait encore en ce samedi matin. Elle avait l'habitude de se lever tôt, dès que le jour se levait et emplissait d'une douce lueur leur chambre. Le chat grattait à la porte immuablement au moment où elle ouvrait un oeil. Il réclamait ses croquettes et elle n'était pas contre un bon café.

Tout en se préparant le breuvage précieux, elle jeta un oeil à l'en-tête de l'enveloppe : Agence AFP, celle pour laquelle elle avait postulée, la plus prestigieuse, celle dont tous les étudiants de journalisme rêvaient.

Son coeur battait la chamade. Elle n'avait que vingt-deux ans, et si déjà elle intégrait le journalisme par la grande porte ? Elle n'avait aucune expérience de terrain en dehors du Danemark. Mais elle leur avait envoyé ses diverses enquêtes effectuées dans plusieurs villes, notamment "Les syndicalistes qui se plaignaient de fermetures d'usine et de délocalisations massives" ou "Les dégâts causés par l'épandage de produits toxiques sur les champs agricoles qui fournissaient en blé tout le Danemark". Elle s'était un peu spécialisée dans les sujets sensibles, et sa fougue intéressait ses futurs employeurs.

Elle remplit la gamelle de Gismo de croquettes, versa de l'eau dans son écuelle et s'assit pour lire son courrier.

Soudain, deux mains douces et chaudes lui entourèrent le cou, elle sentit un souffle doux derrière ses oreilles. Jurgen s'était réveillé.