Épilogue : Avec des si...

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Pendant longtemps, j'ai espéré un appel ou une visite de Nicolas, mais je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles. Je comprends qu'après mon geste violent, il ait pu ne pas en avoir l'envie. Mais malgré mon ressentiment, il m'arrivait très souvent de penser à lui, de m'enivrer de nos souvenirs coquins lors de plaisirs solitaires. J'ai l'impression de sentir son odeur lorsque je ferme les yeux. La douceur de sa peau sous mes doigts, ses lèvres, la chaleur de son corps contre le mien...

Je me rends compte aujourd'hui que j'ai vécu cette période comme une rupture amoureuse. Il m’arrivait de feuilleter nos photos de classes, juste pour plonger dans son regard azur et y noyer mes sentiments refoulés. La douleur de tous ces mots que nous aurions pu nous dire, de notre amour inavoué. J'aime à penser qu'il m'a vraiment aimé, que j'ai compté pour lui, que j'avais une place dans son cœur. Mais je n'en aurais jamais la certitude.

Le temps a passé et les blessures se sont refermées en emportant avec elles cet amour inachevé.

En 2009, alors que je travaillais dans un salon de thé de la ville voisine, il est entré pour boire un café et manger une pâtisserie. Je l'ai aussitôt reconnu, mais il n'était plus le même. Son visage était émacié, ses magnifiques yeux bleus avaient terni, il était d'une maigreur à faire peur.

Je me suis caché derrière le bar en attendant que ma collègue prenne sa commande et au moment de la lui apporter, je n'ai pas prononcé un mot. J'ai déposé sa tasse et son assiette sur la table devant lui dans le mutisme le plus total. Les griefs du passé m'étaient revenus comme une flèche en plein cœur. De son côté, je pense qu'il n'a pas osé m'aborder. Avait-il peur ?

J'étais horriblement gêné, onze ans s'étaient écoulés depuis notre dernière rencontre. De plus, cela faisait deux ans que j'étais en couple avec mon mari. Je culpabilisai à l'idée de lui cacher mon échange avec Nicolas. Aujourd'hui, je regrette de ne pas lui avoir parlé de ne pas avoir pris de ses nouvelles, savoir comment il allait. Cela aurait-il changé quelque chose ?

Il s'empressa de consommer et quitta les lieux sans un regard. J'étais soulagé et en même temps déçu, j'espérai inconsciemment qu'il fasse le premier pas, sans arrière-pensées. En retournant à ma voiture après mon service, je l'ai aperçu au bout de la rue. Nous nous sommes figés quelques instants puis je suis machinalement monté dans ma voiture, comme pour lui faire comprendre qu'il avait eu sa chance et qu'il l'avait laissé passer. J'ai démarré et l'ai observé dans mon rétroviseur central. Il est resté immobile tandis que je m'éloignai. Il n'est plus jamais revenu.

Je regrette de ne pas t'avoir fait signe. De ne pas t'avoir dit onze ans plus tôt que je t'aimai, que tu étais quelqu'un de bien, que tu avais de l'importance à mes yeux, que tu méritais d'être heureux, que ta vie importait autant que celle de quiconque...

Nicolas est décédé l'année suivante. Il avait tout juste vingt-sept ans.

J'ai entendu plusieurs sons de cloche selon lesquels il aurait fait une overdose ou se serait suicidé. Dans les deux cas, c'est une fin tragique pour une âme torturée et vulnérable. Il ne le méritait pas. La vie ne lui a pas fait de cadeau et s'est souvent montrée injuste à son égard. J'espère de tout mon cœur qu'il n'a pas souffert dans ses derniers instants et qu'il a trouvé la paix qui lui manquait tant dans ce monde.

En apprenant cette nouvelle il y a quelques semaines, je me suis replongé dans notre aventure, dans la relation tortueuse et incomplète que nous avons vécue. J'ai pris conscience de l'importance qu'elle avait eue dans ma vie, dans mes rencontres amoureuses. Grâce à Nicolas, j'ai appris à écouter mon corps, mes désirs, à me focaliser sur un plaisir partagé plutôt qu'égocentré. Bien qu'il se soit montré tyrannique et égoïste par moment, j'ai toujours senti de la réciprocité dans nos rapports, du respect, et cela même dans les plus violents. Jamais il ne s'est contenté de se satisfaire en profitant de moi. Je suis sûr qu'il prenait autant de plaisir dans sa jouissance qu'a m'y faire parvenir. C'était le cas pour moi.

Mais il m'a aussi appris à ne pas tout accepter, à affirmer mes choix et à mettre mes besoins au premier plan. L'abandon de soi est une belle preuve de confiance envers l'autre, si le partage est équilibré. Faire des compromis est indissociable d'une vie de couple solide, mais il faut s'y sentir bien, s'y sentir désiré et aimé tel que l'on est. Surtout ne rien se cacher.

Pour tout ça et bien plus encore, je te remercie du fond du cœur, Nicolas.

" L'amour est capable de transformer une personne, de lui donner force et courage, même dans ses faiblesses. Il guérit les blessures et apaise les conflits grâce à la compréhension et au partage. Il unit deux âmes en une seule, dans laquelle chaque sentiment est fusionné, cohérent. L'amour est une émotion qui n'a de grandeur que celle qu'on lui accorde."

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