En arrivant devant le tableau suivant, je me rends compte que je ne vois plus le précédent, et pas encore le prochain. C’est comme si le couloir tournait avant chaque tableau de façon à dissimuler les autres. J’en fait la remarque à Sophie.

- Ha oui, tu as raison. Et en y réfléchissant, ça s’explique.

- Pourquoi ?

- De ce que m’a dit Karine, l’artiste n’a jamais vraiment assumé leur relation. Elle voulait à la fois oublier ce qui s’était passé, et laisser la suite au destin. Je ne veux plus, mais continue. C’est du moins comme cela que je l’ai analysé.

Elle s’arrête de parler pour se tourner vers moi et voir ma réaction devant la vue du nouveau tableau.

Et ma réaction doit parler d’elle-même.

- Choqué ?

- Qu’est-ce que ça veut dire ?

- Tu ne devines pas ?

Le tableau de plus de deux mètres de côté, semble être peint sur un fond entièrement noir. Le modèle, dans le haut de la moitié basse, parait écrasé. En fait de fond noir, il s’agit de la silhouette d’un homme.

Il domine entièrement l’œuvre.

Les mains tendues devant lui, juste visibles par quelques notes de gris, il tient le corps nu du modèle dans ses paumes.

Karine semble totalement abandonnée, ailleurs. Et cet ailleurs doit lui plaire, car l’artiste l’a peinte extatique.

En dehors de l’impression d’écrasement produite par le tableau, deux détails choquent plus particulièrement.

D’abord, dans la moitié haute, les deux yeux dorés, brulants, qui regardent, non pas le modèle, mais l’artiste. Et donc le spectateur. Un regard de flamme qui semble lancer une invitation.

Ensuite, de chaque doigt de la silhouette, partent des cordes rouges qui s’enroulent autour du corps de Karine.

Sophie ne m’a pas lâché du regard.

- Alors, qu’en penses-tu ?

- Qui est cette silhouette ? L’artiste c’est représenté ? Ce tableau est malsain.

Elle tourne de nouveau les yeux vers le tableau.

- Non, ce tableau est magnifique, sans doute le plus réussi de la collection. Cette silhouette, cet homme, c’est…

Les mots se perdent dans un hoquet.