Chapitre 4: La marée haute (partie 1)
La marée montait...
Alexandre regarda sa montre: 19h00 pile.
Et pourtant, personne dehors. Il se dépêcha de rejoindre ses deux frères avant qu'ils ne tournent au coin de la rue et disparaissent de son champ de vision. Une fois à leur hauteur, il leur signifia de se presser avant que la marée monte. Ils étaient encore à quelques minutes de marche de chez eux et la pluie tombait déjà à son intensité maximale. Chaque parcelle de terre sous leurs pieds était entièrement mouillée et ils ne progressaient que très lentement, les semelles à moitié enfoncées dans la boue. Il n'y avait toujours pas un chat dans la rue, et cela était loin de le rassurer. Il avait la sensation d'être constamment en danger de mort... Comme si un prédateur tapi dans l'ombre n'avait plus qu'à refermer sa mâchoire salivante autour de son cou. Alexandre en avait presque la certitude, on les observait. Pourtant, toujours personne à l’horizon.
Et c'était loin d'être rassurant.
Perdu dans ses pensées, le chemin lui avait paru court car déjà, ils étaient arrivés à destination. Leur père les avait sûrement vus de loin car il se tenait sur le seuil de la porte et leur faisait signe de vite se mettre à l'abri. Lui qui avait pourtant l'habitude des marées hautes du Vas ne pouvait que cacher son inquiétude derrière un sourire de façade qui n'était que très peu rassurant. Ils savaient tous que cette marée haute n'allait pas être comme les autres. C’était comme un pressentiment, une sensation de danger imminent... À force de vivre sur cette île, ils avaient fini par comprendre l'entièreté des changements climatiques de cette dernière mais seulement, ce jour-là, la vitesse du vent qu’ils avaient enregistrée était sans commune mesure avec celles des autres jours. Le vent, déjà violent ce matin, augmentait encore et encore en intensité, c'était du jamais vu !
Mais maintenant qu’ils étaient à l'intérieur, Alexandre comptait bien se relaxer un peu, et aussitôt dit, aussitôt fait ! Il plongea en direction du canapé et s'allongea alors de tout son long entre les coussins et les couvertures. Maintenant bien installé et bien au chaud, il saisit la télécommande sur l'accoudoir et alluma la télé. Un plaisir vraiment simple, mais aussi tellement réconfortant ! Il s'apprêtait alors à basculer sur une autre chaîne pour regarder son programme préféré du moment, quand son père se glissa derrière la télévision, et d'un geste brusque, débrancha le câble tout en s'exclamant:
"Pas question ! L'orage est de plus en plus proche, et si jamais l'eau entre à l'intérieur de la maison... Enfin bref ! Je suppose que tu n'as pas envie de mourir comme ça Alexandre !
- D'accord..." répondit-il avec une mine dépitée.
Se voyant ainsi sans occupation, il se dirigea vers ses frères, qui étaient en train de construire un château de cartes. Bien décidé à le faire tomber, il fit d'abord plusieurs tours de la structure, histoire de l'examiner, tout en affichant un intérêt feint pour celle-ci. Après avoir trouvé le point parfait, il s'accroupit, et soufflant d'un coup sec, entraînai la chute de toutes les cartes minutieusement arrangées, sans exception. Il se releva, et dans un élan de victoire, s'écria "Strike !" sous le regard consterné de ses deux jumeaux.
"Alexandre, arrête d'embêter Timéo et Thomas, ils ne t'ont rien fait ! ordonna sa mère depuis la cuisine.
- Pfff... Je peux jamais rien faire... répliqua-t-il.
- Va dans ta chambre, je suis sûre que tu trouveras une occupation ! intima-t-elle, ce qui mit fin à la conversation.
Alors, traînant ses chaussons sur le sol dans un bruit affreux pour montrer son extrême mécontentement, il se dirigea vers sa chambre en soupirant.
L'instant d'après, il ouvrit la porte, et tout en regardant le sol, continua d’avancer, lentement mais sûrement, jusqu'au moment ou il se heurta violemment contre quelque chose.
Pourtant, il ne lui semblait pas avoir mis ”quelque chose”dans le passage. Et surtout d'une taille assez grande pour que ce soit sa jambe entière qui ressente la douleur du choc...
Il releva lentement, très lentement la tête, dans un silence inquiétant. Peu à peu, il commençait à distinguer la forme que lui semblait avoir à peu près le ”quelque chose”. Toujours lentement, il en voyait maintenant la moitié et ses dents se mirent à se serrer et à trembler frénétiquement. Il savait déjà ce qui se trouvait alors devant lui dans la chambre, mais voulait tout de même essayer, tenter sa chance... Si ça se trouve, ce n'est que mon imagination qui me joue des tours, pensa-t-il pour se rassurer. Malheureusement, plus il en voyait, plus ses certitudes se trouvaient fondées.
Oui, au moment même où il releva entièrement la tête, il se retrouva nez à museau avec un loup ! Cet énorme bestiau au pelage gris le regardait lui aussi, étonné de sa présence en ces lieux. (Saut de ligne)
Tout ce qu’il avait à faire c'était de rester calme. Surtout ne pas paniquer. Les loups ne sont pas des prédateurs naturels de l'humain, il le savait. Il n'y a qu'en cas d'extrême faim qu'ils se décident à nous attaquer. Il fallait donc juste ne pas bouger, tout en espérant de tout son coeur que le gentil louloup n'ait pas un petit creux.
Cependant, continuant de l'observer, la bête semblait perdre de son étonnement et commençait à le regarder d'une toute autre manière. De la bave ruisselait le long de sa mâchoire, ses crocs acérés en évidence au coin de sa bouche, sortis dans un rictus menaçant. Malheureusement, Alexandre ne put s'empêcher de réprimer un cri d'horreur quand il vit le loup recourber ses pattes arrières pour se mettre dans une position d'attaque imminente. (Saut de ligne)
Mais quelle ne fut pas sa surprise quand ce dernier, qui avait semblé plus terrifié encore que le garçon, avait, en réaction à son cri, sauté par la fenêtre qui se trouvait grande ouverte.
C'était sûrement par là-même qu'il était entré à l'intérieur !
La mère d’Alexandre fit irruption dans la chambre. Il se jeta immédiatement dans ses bras avant de déblatérer une suite de mots incompréhensibles. Encore chamboulé par l'évènement, il essayait de reprendre son calme, expliquant dans les moindres détails la rencontre surprenante à sa mère. Après qu’il ait fini, elle ne semblait bizarrement pas même quelque peu étonnée et pour toute réponse, lui fit un énorme câlin avant de lui chuchoter: "Comme tu as dû avoir peur, mon chéri... Repose-toi autant que tu veux dans mes bras. Je serai toujours là pour toi, mon chéri...
Après avoir fermé la fenêtre, ils retournèrent au salon pour rejoindre le reste de la famille. Dehors c'était le déluge mais le plic-ploc de la pluie qui tombait sur les tuiles du toit avait quelque chose de rassurant.
Venant briser le calme, un hurlement de loup démultiplié s'éleva dans la nuit. Presque en même temps, quelqu'un toqua à la porte. Le père d’Alexandre se précipita pour aller ouvrir. Effectivement, aujourd’hui, ils attendaient la visite de Fabien, un maraîcher de l'île voisine. Il était censé venir dans l'après-midi mais apparemment, il avait eu du retard.
Étonnamment, ce n'était pourtant pas lui qui se trouvait là sur le pas de la porte, en train de discuter avec le père d’Alexandre. Non, il s'agissait en fait d'une femme. Sa tenue orientale d'un rouge éclatant contrastait avec le teint de son visage, livide. Presque d'outre-tombe... Tandis qu’ils échangeaient des banalités, sa bouche s’ouvrit sur deux rangées de dents si blanches qu'elles en étaient repoussantes avant de prononcer:
"Fabien devrait arriver d'une minute à l’autre. Et si nous discutions un peu en l’attendant, histoire de faire plus ample connaissance ?”
Annotations