Chapitre 21: Emeric
- Ne faites pas ça !"
Un homme venait d'apparaître dans l'entrebâillement de la porte. Plutôt âgé, il était vêtu tout de gris, et son expression grave trahissait son inquiétude. La main se desserra petit à petit, et l'énergie malsaine sembla disparaître en même temps. Le nouvel arrivé semblait désormais soulagé. Il regarda le nouveau levé d'un oeil où l'on pouvait encore lire l'angoisse et lança d'une voix douce et autoritaire :
- Maintenant, éloignez-vous du buffet, lentement... Ne regardez pas en arrière."
L'homme ne se fit pas prier et s'exécuta sans plus tarder. Une fois le présumé danger éloigné, le vieil homme lui demanda :
- Quel est votre nom ?
- Mon nom ? Je...
...
Je...
- C'est bien ce que je pensais...
- ...
- Vous êtes Emeric, n'est-ce pas ?"
À peine le prénom fut-il prononcé qu'un flot de souvenirs ressurgit d'un coup dans la tête du jeune homme. Les inondations, les disparitions, les incendies, les hallucinations, la peur, la colère, la folie, la mort, mais surtout l'oubli. L'atroce et éternel oubli. Il y avait quelques secondes encore, il ne se connaissait plus. L'oubli qui lui avait rongé l'esprit, qui avait entretenu son ignorance, qui l'avait fait devenir quelqu'un d'autre. Il n'avait plus eu conscience de lui-même pendant si longtemps. Qui avait-il été ? Qu'était-il devenu ? Emeric regarda ses mains, fit bouger ses doigts... Et pour la première fois depuis une durée inestimable, il sentit la vie couler en lui. Il se souvenait maintenant. Emeric, je suis Emeric, Emeric le garde, Emeric le... Oui, il se rappelait désormais. Et tandis que les souvenirs continuaient d'affluer par centaines, une larme perla le long de sa joue. Qu'avait-il fait ? Oui, ou plutôt que n'avait-il pas fait ? Comment en était-il arrivé là ? Il cherche encore plus profond dans sa tête, de plus en plus loin, plus loin que le conseil, plus loin. Plus loin que la première inondation, plus loin encore. Bien plus même, que l'incendie dévastateur, oui, plus loin. Et une fois mis la main sur le souvenir en question, Emeric les put contempler tous les Neuf, avec un mélange d'horreur et de crainte, mais aussi, sans savoir pourquoi, d'admiration... Pourtant, c'étaient eux qui... Non, il ne voulait plus y penser. Il ne s'en souvenait que trop bien.
- J'imagine votre désespoir, dit le vieil homme comme s'il avait lu dans ses pensées. Je vais vous faire une tisane, et vous me raconterez votre histoire. Ensuite, je vous dirai pourquoi je connais votre nom.
- Je... d'accord, répondit Emeric, encore tout chamboulé.
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