Chapitre 26: Le récit (partie 2: Le conseil)
- Et donc le lendemain, j'y étais, au milieu de tous ces gens plus éminents les uns que les autres, les élites de l'île. Il y en avait même qui étaient venus des autres villes pour m'écouter. Le conseil n'avait normalement lieu qu'une fois par mois, mais le doyen avait déclaré un état d'urgence. Je me souviens très bien maintenant des mots qu'il m'a dit le soir où je lui avais rapporté les faits, et je n'avais pas encore pris conscience de l'ampleur qu'ils prendraient dans ma vie bien plus tard: " La septième s'est montrée, l'heure est grave. Demain nous serons engloutis par les flots, je le pressens. Ce n'est qu'une préquelle, comprenez-vous ? Nous courrons tous à une mort certaine désormais. Et ceux qui s'y opposeront se feront dévorer de l'intérieur, leurs certitudes se transformant en les plus viles créatures qu'il puisse exister. Tout ce que je peux faire maintenant c'est accepter cette fatalité qui se présente à moi. La prophétie s'accomplira bien un jour..."
J'y avais longuement réfléchi, jusqu'à ce que ces mots hantent mon sommeil, mais sans résultat. Pour moi, c'était sûrement juste une énième affabulation de ce soi-disant sage. Car après tout, la seule raison pour laquelle il dirigeait les habitants de l'île était son âge, non pas sa popularité. Avant, je croyais dur comme fer qu'il s'agissait uniquement d'un vieil homme qui n'avait plus toute sa tête, mais ce jour-là, lors de la réunion, quelque chose était venu ébranler mes positions. Faisant des noeuds à mon cerveau, faisant s'écrouler le château de cartes de mes convictions. Ce jour-là, j'avais vu, pour la deuxième fois, un homme se faire dévorer de l'intérieur.
Je ne me rappelle plus vraiment de son nom...
- Henri Dolom.
- Oui, voilà, c'est ça. Et malheureusement, il n'allait être que le début d'une longue liste de noms. C'était au dernier mot de mon rapport, à la dernière syllabe. Le dernier son sorti de ma bouche avait annoncé les siens. Faisant irruption dans la salle au moment même où je m'étais tu, tirant un coup en l'air comme menace, il avait jeté un regard circulaire sur l'assemblée, s'assurant que tout le monde l'avait remarqué. Et plus encore, il m'avait regardé, moi. Ce regard m'avait transpercé. Ce jour-ci, j'étais devenu plus fou que je ne l'étais déjà. Les mêmes mots que j'avais entendus la veille au soir montaient désormais dans un gargouillement sinistre en emplissant la salle entière: "Laissez-moi entrer !"
Entrer ? N'était-il pas déjà à l'intérieur ? avais-je tout d'abord pensé. C'est seulement après avoir plongé mes yeux dans les siens que j'ai retenu un hoquet de terreur. Et comme je le fixais, ses répugnantes pupilles obscures se sont à nouveau tournées vers moi: "Tu es le prochain !"
Sur ces mots, l'homme partit dans un rire de dément à en déchirer les tympans.
- Folie, la septième...
- Que dites-vous ?
- Continuez.
- Pris de panique, les membres de l'assemblée se sont précipités vers la sortie. Ce fut pourtant inutile, car l'homme au pistolet avait d'ores et déjà disparu.
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