Chapitre 40: Le récit (partie 7: "Fuir")
- Le souffle de la créature me suivait comme mon ombre.
Le brouillard, de ses longs bras fumeux, me faisait trébucher sur les racines des arbres, mettant mon équilibre en péril. Je ne devais pas tomber, pas me retourner. Le danger était derrière, prêt à bondir au moindre écart. Sur le chemin sinueux, les cailloux s'enfonçaient dans mes chaussures, plus pointus qu'ils ne l'avaient jamais été. Le sol, irrégulier, me faisait danser une valse macabre avec la mort. Me touchant de temps en temps de ses griffes acérées, éraflant ma joue déjà rouge sous l'effort, la chose prenait son pied, un rire sinistre sortant de sa gorge. Je courais, de plus en plus vite, lançant mes jambes de plus en plus loin. Je ne pouvais rien faire d'autre que retarder un peu plus le moment fatidique où je m'effondrerai, à sa merci.
Dans les premières secondes, la frayeur était telle, et l'adrénaline me poussait si fort que je ne sentis pas la douleur. Quelques instants plus tard, j'étais à terre. Je regardai vers ma jambe droite: les dents aiguisées d'un piège à ours resseraient peu à peu leur étau sur celle-ci. Un pas lourd se rapprocha lentement. La créature savourait mon agonie.
Elle se pencha sur moi, le vent redoublant d'intensité autour d'elle dans un vacarme assourdissant. Un sourire aux crocs cauchemardesques se dessina sur son horrible faciès. La chose me regarda droit dans les yeux, comme pour sonder mon âme, puis, commença à s'exprimer. D'abord, dans un grognement incompréhensible. Mais ensuite, et avec une facilité déconcertante, elle se mit à prononcer très distinctement ces mots: "Penses-tu que ta vie soit importante ?"
Sonné, je ne répondis pas.
"Penses-tu que ta vie soit importante ?" répéta-t-elle.
Elle marqua une pause.
"La vie n'est qu'un simulacre. Si je te l'ôte, elle ne m'appartiendra pas pour autant. Si je la déchire et la répand aux quatre coins de cette forêt, elle sera quand même terminée. Penses-tu que ta vie soit importante ? Tu ne peux pas le savoir avant d'être mort."
Silence.
"Qu'est-ce que ta mort provoquera, à ton avis ? C'est la seule manière de savoir si ta vie est importante. Veux-tu mourir aujourd'hui ? Non, tu penses seulement que le "destin" t'y oblige. Mais le destin n'existe pas, je peux t'en donner la preuve... Nous pouvons t'en donner la preuve. Viens, viens.
Viens.
Viens.
Viens.
Viens.
viens.
viens.
viens.
...
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