La queue entre les jambes
Antoine a la tête qui tourne. Il voit flou. Comment est-ce possible ? Que foutait ce type pendant une heure et demi ? Le biologiste se décompose, il n’entend qu’un bourdonnement sourd. Il entend à peine son ancien voisin demander au nouveau de lui rendre sa place, ce que ce dernier fait immédiatement. Il sursaute quand il le voit le rattraper ensuite, et lui dire :
- Pardon mais vous n’auriez pas vu un sac avec mon sandwich ? il était sur le siège d’à côté.
C’est la fin. Le squatteur va dire que oui, il y avait bien un sac, mais le contenu a été dévoré par le porc du siège d’à côté. Il l’entend pourtant répondre en s’éloignant :
- Non, désolé.
Contrarié, le voisin s’installe à sa place, se penche vers Antoine, qui feint la concentration maximale sur son Kindle.
- Pardon monsieur, vous n’auriez pas vu mon sac Paul, c’est mon diner ?
Antoine retire son écouteur gauche, qui ne diffuse aucune musique. Au bord de l’évanouissement, il ose répondre.
- Non, je ne l’ai pas vu.
L’homme ne le croit pas, c’est évident. Il sait sûrement qu’il est parti longtemps, trop longtemps, et que la seule personne qui pourrait lui avoir pris son sac est son voisin de droite. Mais il n’a aucune preuve, alors il s’agite. Il se penche, regarde au sol, puis sous les sièges. Il se lève, demande aux autres voisins « Vous n’auriez pas vu un sac Paul ? Il était juste là ! » Il pointe en fait Antoine, qui garde bêtement une main sur son pull, camouflant les restes de son forfait.
L’homme le sait, c’est lui, ça ne peut être que lui.
Il sait même qu’il cache quelque chose sous son bras droit. Il pourrait lui demander de se lever, de vider son sac… Mais au fond il sait aussi que c’est trop tard, qu’il ne retrouvera rien de son diner.
Vaincu, il ouvre sa sacoche, sort son ordinateur, et se met en place pour bosser, pour oublier la faim. Antoine passe le reste des deux heures de trajet le visage impavide, droit dans son livre, suant dans sa chemise, relisant sans cesse le même paragraphe.
Tous les quarts d’heure, l’homme se lève et inspecte le wagon dans tous ses recoins, comme si son diner pouvait se trouver entre deux valises. Quand il se lève pour aller aux toilettes, Antoine se précipite sur les restes du sac Paul qu’il met au fond de son sac à dos. Plus. Aucune. Preuve. C’est fini.
En arrivant enfin chez lui à plus de minuit après cette journée hors norme, tremblotant malgré la chaleur, Antoine s’imagine déjà raconter sa near death experience à Amandine. Sous le coup de l’adrénaline, il sort ses clés, ouvre la porte d’entrée de son appartement, et la referme en la claquant.
Son fils Théo se met à hurler.
- Alors là, lui dit Amandine qui sort de la chambre, t’es un homme mort.
FIN.
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