Un bout de papier
Thomas inspira profondément, enchanté de retrouver l’atmosphère du Jardin des Plantes. Durant les huit semaines de confinement, il avait respecté scrupuleusement les consignes gouvernementales, il n’était sorti de chez lui que pour la promenade quotidienne de son chien et quelques achats indispensables. Quand le moment fut venu de faire son retour au monde, il avait choisi ce parc qu’il connaissait si bien.
Thomas était arrivé par l’entrée principale, celle qui donnait directement sur le parvis nord de la gare. En traversant le parvis, il aurait presque pu apercevoir le château des Ducs de Bretagne, à quelques centaines de mètres sur la gauche.
Parfaitement situé, figurant parmi les visites indispensables dans tous les guides touristiques, le Jardin des Plantes attirait habituellement de nombreux touristes de passage à Nantes. Rares étaient ceux qui en repartaient déçus. Dès les beaux jours, et jusqu’à ce que l’automne soit bien avancé, Thomas observait en souriant ces familles enivrées par les fragrances des camélias ou émerveillées devant la majesté des sculptures étonnantes de Claude Ponti.
Le jardin n’attirait toutefois pas que des visiteurs éphémères. Lors des fins d’après-midis où, tel un rituel immuable, il s’asseyait quelques dizaines de minutes pour lire face à la verdure, Thomas avait repéré quelques habitués sensibles comme lui au charme d’un parc bucolique au coeur de la cité.
Ce quinquagénaire bourru qui fumait un cigarillo en lisant son exemplaire du jour d’un quotidien sportif bien connu. Cette dame âgée, comme on pouvait probablement en voir dans tous les jardins publics du pays, qui s’installait sur un banc, piochait des miettes de pain dans un sac en plastique, et les lançait dans l’allée pour le plus grand bonheur des pigeons venus s’agglutiner autour d’elle. Cette jeune femme et son ami, ou son petit ami, qui déambulaient dans les allées du parc. Thomas n’avait jamais déterminé avec certitude s’ils formaient un couple ou un duo d’amis inséparables, mais il enviait l’insouciance de leur jeunesse.
En ce jour de mai, tous les habitués n’étaient pas au rendez-vous. La fin du confinement était encore récente, l’inquiétude sans doute encore bien présente. L’activité touristique étant en panne, seuls quelques locaux profitaient de cette belle journée de printemps dans le cadre verdoyant du parc.
Thomas déambula quelques minutes dans les allées, puis grimpa le chemin aménagé menant au sommet autour de la petite butte au milieu du parc. Il constata avec soulagement que son banc favori était libre, et il y prit place.
Confortablement assis, Thomas profita quelques instants de la légère brise qui caressait son visage, puis il tira un livre de son sac et reprit sa lecture. Plongé dans la lecture de ces pages, il était difficile de l’en extraire. Même les cris des enfants qui jouaient en bas de la butte ne l’empêchaient de rester concentré sur ce roman qu’il aimait relire régulièrement, comme des retrouvailles nostalgiques avec l’époque révolue où il l’avait lu pour la première fois.
Ainsi absorbé dans sa lecture, Thomas ne prit garde qu’au dernier moment au bruit de pas qui approchaient. Il leva les yeux au moment où le jeune couple - ou le duo d’amis - atteignit le sommet de la butte. Il les salua d’un léger hochement de tête, auxquels ils répondirent par de francs sourires. Ils s’installèrent sur l’autre banc, tourné à quatre-vingt-dix degrés par rapport au sien. Thomas baissa les yeux sur son livre et reprit sa lecture.
Ses deux jeunes voisins parlaient à voix basse, sans qu’il sache s’ils le faisaient pour ne pas le déranger ou s’ils souhaitaient que leur conversation reste privée. Ils laissaient parfois échapper un rire, presque aussi enfantin que ceux des bambins plus bas dans l’herbe. Se moquaient-ils de lui ou riaient-ils innocemment ? Il ne le saurait pas.
Vingt minutes plus tard, la jeune femme et son accompagnateur se levèrent. Ils le saluèrent par un « au revoir » chaleureux avant de redescendre la butte. Thomas retrouva le confort de sa bulle de solitude, protégé des regards qu’il imaginait toujours plus ou moins bienveillants.
À dix-huit heures, il plaça son marque-pages favori entre deux pages de son roman, referma le livre et le rangea dans son sac. Il se leva et s’apprêtait à redescendre quand il remarqua un bout de papier sur le banc qu’avaient occupé les deux jeunes rieurs. Il hésita, prêt à partir sans s’en préoccuper d’avantage, puis il céda à la tentation. La curiosité était trop forte. Il s’approcha du banc, tendit le bras, et saisit le papier oublié.
C’était une feuille pliée en quatre, arrachée d’un grand cahier à petits carreaux, comme ceux que l’on ne trouve dans les listes scolaires remises aux parents avant chaque rentrée, et dans les cartables de leurs enfants. Thomas déplia le bout de papier, et rougit en lisant les quelques mots écrits au stylo bleu :
« Je ne savais pas comment vous le dire, mais …
Votre braguette est ouverte. »
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