3-2
Le son se rapprochait, semblait longer les terrasses de restaurants.
Lueur entendit le cliquetis d’une manivelle et étira son cou. Ça lui rappelait les fêtes qu’organisaient ses cousines quand les feuilles des arbres devenaient orange et brunes.
— De ce côté, fit remarquer Talius, en pointant deux hommes.
Une brise tiède souffla sur leurs chemises entrouvertes. Le garde rabattit une de ses mèches brunes derrière son oreille, puis guida le regard du prince.
— Juste là, près du bouquiniste. Vous les voyez.
— Oh ! laissa échapper Lueur. Des siamois. C’est la première fois que j’en vois en vrai. Etonnant.
L’adolescent scruta la difformité des deux musiciens ambulants, tout en captant la beauté mélancolique du son que faisait leur orgue de barbarie. Il se laissa tendrement fasciner par les deux bustes et les trois jambes des hommes, quand son regard dévia sur la chevelure rousse d’un garçon, derrière eux. Le jeune homme était penché sur deux livres, hésitant sur l’un, puis, sur l’autre. Séduit par la blancheur du jeune mériodien, Lueur ne se préoccupa plus des musiciens. Il se perdit sur la contemplation du rouquin et détailla son visage carré, ses lèvres gorgées de rose, la raideur des mèches qui venaient embrasser des joues creuses. Un instant, l’inconnu se tourna vers la lumière et laissa à la vue du prince la couleur écarlate de ses iris. Le rouge était aussi vif que les iris de Sergus, son père.
— Etrange, marmonna-t-il en buvant une gorgée de son nectar acide.
À aucun moment, Lueur ne lâcha son regard du garçon, lui trouvant un air de famille et un charme captivant. Il lui parut irréel, dans le sens où ce garçon aurait pu naître d’un rêve.
— Lueur ? Mon prince ?
Versus agita sa main devant l’adolescent et le rappela à la réalité.
— Eh bien, vous rêvez ?
— Hein ? Heu… Un peu. Regarde ce garçon, là-bas, près du libraire.
Versus se tourna, fureta son regard bleu ciel et vint le reposer sur le prince.
— Le rouquin ?
— Oui. Il est beau.
— Eh bien, un peu jeune mais joli garçon, effectivement. Vous a-t-il tapé dans l’œil ?
Un sourire amical se dessina sur les lèvres du garde.
— Un peu. C’est tout à fait mon genre, confia Lueur.
— Oh ! Notre prince a donc des préférences, le taquina Talius.
— Notre altesse grandit, il devient un homme, enchérit Versus avec un sourire protecteur. Mais notre cher Lueur est ici, essentiellement pour travailler. N’est-ce pas votre majesté ?
Le blond s’amusa de la moue formée sur le visage cuivré du prince. L’adolescent n’avait presque plus cet aspect enfantin qu’il lui connaissait il y a encore si peu de temps.
— Évidemment que je le ferais. Je disais cela comme ça. Il n’y avait pas la pensée de séduire un inconnu.
— De séduire, répéta Talius, étonné par la maturité des mots employés.
— Oh, pitié, je ne suis plus un enfant, affirma le garçon d’une voix grave.
— Mais pas tout à fait un adulte, déclara le garde aux yeux bruns. Ne grandissait pas plus que vous ne le faites déjà.
— Il le faudra bien. J’ai promis à mes parents et à mon parrain d’être irréprochable afin qu’ils me laissent vivre seul.
— Vous allez vite en besogne, nous serons sur le même palier que vous, poursuivit Versus.
— Sur le même palier, pas dans le même appartement. J’aurais donc ma liberté.
Lueur sourit et reporta son regard sur le rouquin. Une jeune fille, très semblable au garçon tira sur sa manche. Qui était-elle pour lui ?
Le prince inclina la tête sur le côté et les observa, jusqu’à ce qu’ils partent, bras-dessus, bras-dessous.
Un peu déçu, il revint à la contemplation de la place et se passionna pour un spectacle de marionnettes.
Versus et Talius se laissèrent distraire par les passants, veillant toujours d’un œil protecteur leur prince. Ils étaient presque collés à lui. S’il y avait une personne importante dans leur vie, c’était bien le prince et sa joie de vivre. Les deux hommes avaient toujours eu de bonnes intentions envers lui, mais une peur grandissante les obligeait à être toujours surprotecteurs
Le mauvais sort qu’avait écopé le prince dans sa jeunesse, les tenait eux aussi. Ils désiraient rester auprès du jeune homme et le servir parce qu’ils savaient qu’un jour, les mutations dont il était le malade finiraient par le rendre entièrement animal. Ils guettaient ce moment, comme la famille royale, et profitaient de chaque instant.
Bien qu’ils ne pouvaient pas aller à l’encontre de cette magie, ils pouvaient le protéger des autres dangers que représentait la vie.
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