chapitre 5
On s’était déjà agglutiné auprès de Lueur et on le faisait encore, alors qu’il pénétrait dans la seconde salle de cours de la matinée. Il n’aimait guère l’attention qu’on lui portait, mais resta docile. Pour le moment. Lueur savait se montrer compréhensible, jusqu’à un certain point. Après, son regard froid savait se faire comprendre.
Toutefois, il ne l’utiliserait pas dans l’immédiat. Il préféra sourire et cette seule action eut raison de chacun.
Ses camarades cessèrent tout mouvement et lorsque le jeune prince demanda un peu d’air, il fut entendu.
Libéré, Lueur découvrit la pièce chargée en tentures et en fresques. Il se tourna ici et là, balaya les pierres brunes du sol de sa longue veste beige, puis accrocha son attention vers deux autres de ses camarades qui ne lui prêtaient guère attention. La curiosité l’avait happé et l’étrangeté du frère et de la sœur le fascinait. Si un mot devait définir les jumeaux, il choisirait : immense. Il était si difficile de détacher son regard d’eux.
En s’approchant, Lueur sentit le doute monter en lui. Devait-il se présenter ? Est-ce que ça ne serait pas présomptueux ? Qu’avait-il à perdre ? Personne ne paraissait désagréable ici… Pas même les deux géants, bien que ce Savoir parût plus silencieux et mystérieux que sa sœur vive et amicale.
Lueur cessa de tergiverser et vint se planter devant Cécilia. La jeune fille paraissait plus accessible que son frère, juste derrière elle. Un grand rouquin au regard carmin. Il était silencieux, absorbé par un carnet sur lequel il griffonnait. Lueur l’avait reconnu sans détour ; le rouquin de la librairie. Il se tenait devant lui et il était bien plus fascinant que lorsqu’il l’avait vu de loin.
Pendant toute la première heure, il n’avait pas cessé de le fixer et Savoir n’en avait rien su.
— Tu es Cécilia, c’est ça ? demanda-t-il.
Lueur se posta devant elle, qui allait pour s’assoir. Elle leva très légèrement la tête et croisa le regards bleu-rougeâtre du prince. Amicale, elle lui sourit.
— Oui, c’est ça. Cécilia, dit-elle de sa voix pétillante. Tu as besoin de quelques choses ?
— Heu, pas vraiment. Je me suis juste dit que je ne m’étais pas présenté à toi et à ton frère.
Il pointa de son menton le rouquin les yeux parcourant des lignes manuscrites.
Savoir était à des lieues d’eux, perdu dans la contemplation d’un poème qu’il cherchait à achever.
Devant le regard fasciné de Lueur, Cécilia crut comprendre que le prince en pinçait pour son frère ou quelque chose du même genre et s’en amusa intérieurement. Elle savait déjà que le prince allait ramer avec son boucan de frangin.
— Ok. Et bien ravie de te rencontrer Lueur.
Elle poussa l’épaule de son frère, attrapa sa mâchoire et lui fit lever la tête.
Savoir fronça les sourcils et eut un mouvement de recul. Il se dégagea de l’emprise de sa sœur, la fixa. Un tic nerveux fit trembler son œil.
— C’est quoi ce sourire de maniaque ?
Il grimaça, devant le visage détendu et espiègle de Cécilia.
Le jeune homme n’avait pas prêté attention à Lueur qui se tenait à quelques centimètres de cette dernière, préférant la darder elle.
— T’as un truc à me demander ? continua-t-il. Parle, mais arrête de sourire comme une idiote…
— Ah ! Cette bouche. Tu fais bien de la laisser fermer ! Notre camarade Lueur vient tout juste de se présenter, tu pourrais lui dire bonjour.
Les lèvres de Cécilia s’étirèrent un peu plus, levant un voile de frisson sur le corps de son frère.
Qu’a-t-elle derrière la tête ? Encore à manigancer un truc bizarre ! pensa-t-il.
Savoir tourna la tête vers le grand brun et posa sur lui un regard stupéfié.
Il sourcilla, perturber par le garçon. Sa bouche s’entrouvrit à peine. Son expression habituellement froide, se réchauffa et ses joues s’empourprèrent très légèrement. Cécilia s’étonna de la réaction de son frère, sans rien faire paraître. Rare était les fois où les émotions traversaient son visage.
— Je crois qu’on n’aura pas mieux dans l’immédiat, j’espère que tu es patient ! dit-elle à Lueur. Excuse mon frère, il est un peu lent avec ses congénères.
Elle le précisa, sans que le rouquin réagisse.
Lueur étouffa un rire.
— Je le suis dans les grandes occasions, je ferais un effort pour Savoir.
Les mots de Lueur lui parvinrent, cependant, il resta encore un instant à le dévisager.
N’était-il pas le garçon qu’il avait entrevu, il y a quelques jours, celui dont il avait esquissé et collé le portrait sur le mur jouxté à son bureau.
Savoir demeura statique, la bouche toujours entrouverte, et contempla le visage blanc de son vis-à-vis. Il arrivait enfin à voir le détail et ce regard lourd et pénétrant. Le garçon était encore plus beau à regarder que la première fois. Sa figure était envoûtante, structurée dans un ovale parfait. La longueur de ses cils noirs ourlés adoucissait à peine la puissance de son regard tentateur. Savoir vit en Lueur une muse, ou quelque chose qui s’y apparentait. Pour tout ça, il resta muet, incapable d’allonger son bras pour une poignée de main.
— Intéressant, s’amusa Lueur en le fixant à son tour. Gardera-t-il le silence ?
— C’est une probabilité. Tu verras, mon frère sait parler. Je t’accorde qu’on ne le dirait. Il semble un peu empoté, mais ça lui arrive d’être passionné. Peut-être l’impressionnes-tu un peu ?
La remarque de Cécilia resta indifférente dans l’oreille du rouquin et fit sourire un peu plus le prince.
— Et toi, est-ce que je t’impressionne ?
— Malheureusement non, jeune prince.
— Oh ! Non… Lueur. Il n’y a pas de prince ici.
— Comme il te plaira. Navrais pour mon frère. Ce n’est pas dans ses habitudes de dévisager quelqu’un !
— Puis-je croire que c’est de bon augure ?
Son rit détonna dans la pièce, suivi de celui de Cécilia.
Plus, ses lèvres s’étiraient, plus celles de Savoir s’entrouvraient. Cécilia avait rarement vu son frère dans cet état, hormis lorsqu’il allait au musée avec Confidence, et qu’il observait les muses en marbres et leur nudité.
— Bon, je vais à ma place, alors. Ravie de cet échange, dit Lueur en s’éloignant d’eux.
Savoir ne quitta pas le prince des yeux, complétement chamboulé par ce qu’il n’aurait pu clairement expliquer.
Cécilia, elle, les regardait l’un après l’autre et arqua un sourcil.
Après s’être assit, elle murmura pour elle :
— Je sens la romance à plein nez. Ouh, comme ça va être drôle ! Pauvre Lueur.
Le cours commençait, Lueur visualisa le tableau, alors que Savoir poursuivait son analyse. Même de côté le prince avait quelque chose d’insaisissable. Ça lui faisait peur. Il se promit de ne pas se retrouver seul avec lui, craignant pour sa vie ou pour son cœur. Mais n’était-ce pas la même chose ?
Une main sur sa poitrine et il répudia les battements féroces qui s’activaient idiotement.
Annotations
Versions