chapitre 8

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— Encore à l’espionner ? T’abuses un peu, non ? lança Modestie taquin.

Lueur sursauta. Sa tête tapa contre une rangée de livres. Il tourna à peine le regard, frotta le sommet de son crâne. Modestie se para d’une expression amusée.

— Alors toi, t’es vraiment pas fin.

— Nom d’une vache à trois têtes, tes parents auraient dû t’appelé Ombre ou Surprenant, se plaignit le prince.

— Ils auraient pu, se moqua-t-il de plus belle en approchant.

Il lui tapota l’épaule compatissent, et fureta son regard jusqu’au rouquin épris par sa lecture du jour.

— C’n’est pas comme ça que tu arriveras à t’en faire un ami. Puis il faut que tu saches que Savoir est une personne qu’on devine, plus qu’on ne comprend. À ce train-là, nous aurons quitté l’école que tu n’auras toujours rien trouvé de probant à son sujet.

— Merci pour la remarque. Comme si le fait qu’il m’ignore n’était pas suffisante. Tu as raison, rajoute une couche. Toi qui sais tout, tu n’aurais pas d’autres informations sur lui. J’aimerais arrêter de patauger et franchir le mur qu’il dresse entre lui et les gens.

Lueur soupir un long filet d’air et se ratatina sur lui-même. L’impression que son souhait de devenir ami de Savoir dévorait son énergie et le rendait bizarre.

— Savoir préfère être seul, et j’ai cru comprendre que sa famille suffisait à son bonheur, assura Modestie en faisant glisser son doigt sur le dos des bouquins.

Il s’arrêta sur l’un et le posa sur la petite pile de roman qu’il retenait dans son autre main.

Lueur fronça les sourcils d’étonnement en découvrant que son ami en savait tant sur Savoir. À aucun moment, ils ne les avaient vu ensemble ou échanger un salut. Alors d’où Modestie détenait-il cette connaissance ? Ce pouvait-il que lui-même ce soit prit un jour d’admiration ou de fascination pour le rouquin ?

— Comment tu en sais autant sur lui en fait ? demanda-t-il, à la fois intrigué et soupçonneux.

— Je t’ai dit avoir fait ma scolarité avec lui et sa sœur. Mais j’avoue que j’ai toujours trouvé intéressant le regarder. Mes yeux allaient constamment dans sa direction. Je ne m’en rendais même pas compte. Heureusement pour moi, j’avais du tact et je le regardais à la dérobée. Pas comme un certain garçon qui même caché est visible de n’importe qui.

— C’est facile quand on a la taille d’une souris. Je frôle les deux mètres. Je suis presque aussi grand que cette étagère. (il croisa les bras, haussa les épaules d’une façon enfantine, très loin de son rôle de prince. ). Tu as donc « épié » ce garçon, on dirait. Bon à savoir.

Lueur sourit facétieusement.

— Je n’ai pas honte de le dire, j’ai passé beaucoup de temps à le regarder, mais moi, je n’étais pas aussi insistant. Jamais il n’a su.

— C’est quoi cette remarque ? Je ne suis pas si voyant, disons que…

—…que tu n’es pas franchement discret ? Soyons franc Lueur, on dirait que tu vas le manger.

Modestie laissa échapper un rire de sourie entre les livres et les étagères.

—Tu ne serais pas en train de te moquer de moi par hasard ?

— Me moquer ? C’est une évidence mon cher, déclara Modestie. Mais, je te souhaite bien du plaisir avec lui. Il n’est pas du genre à se retenir quand on l’irrite. Cela étant, je me trompe peut-être. De toi à moi, je n’ai jamais su s’il était timide ou juste associable.

***

La journée s’était presque achevée, Lueur admirait le soleil se coucher sur la mer. Les vagues rose, or et argentées sculptaient des creux, comme mille nids.

Aujourd’hui, il en avait appris plus sur Savoir et la nouvelle le mettait en joie. Il sautait plus qu’il ne marchait, donnant à son allure un soupçon de naïveté.

Rendu chez lui, suivi de Tailus et Versus, Lueur quitta ses affaires pour se précipiter sur le papier à lettre et la plume dormant sur son secrétaire. Il s’appliqua à rédiger un courrier à sa famille, de quoi leur apprendre comment il se portait.

« Chers tous,

Le mois a filet comme un rien, sans que je ne le remarque. Apprenez que mes camarades sont sympathiques et que je me suis lié d’amitié avec Modestie, le fils aîné du Duc de Gardini. Un brave garçon si vous voulez mon avis. Sa franchise me plait. Il ne cherche jamais à faire dans la dentelle, me souligne mes incartades à l’égard d’une personne que j’affectionne.

L’ambiance est agréable, bien que je doive avouer que la seule personne avec qui j’aimerais me lier m’ignore superbement. Combien cette situation me frustre.

Je ne sais pas comment le prendre, comment lui dire les choses. Il parait si austère face à l’inconnu, si lointain.

Il me tarde de vous en apprendre plus sur mes journées. Je me tâte à reprendre des cours de violon. Versus m’y pousse, mais reste hésitant.

J’espère que vous vous portez bien.

Ce soir, la pleine lune nous éclairera. Ne nous vous inquiétez pas pour moi.

Je vais bien. Terriblement bien.

Lueur. »

La lettre achevée, le prince la tendit à Tailus qui sans parole la porta jusqu’au bureau de poste le plus proche. Versus resta un temps auprès du prince, jusqu’à lui indiquer :

¾ Je reviendrais dans une heure ou deux, quand il fera plus sombre.

¾ Tu n’aies pas obligé de revenir pour ça. Je n’ai plus cinq ans et j’y suis habitué depuis. De quoi as-tu peur ?

¾ Je préfère venir dans le cas où il y aurait des complications. Et si une de vos ailes se bloque à nouveau, pendant votre transformation ou pire ; votre tête !

¾ Ça ne m’est arrivé qu’une seule fois. Et seulement parce que j’avais un plâtre au bras. Tu sais Versus, un jour, il faudra cesser de te préoccuper autant de moi.

¾ J’ai votre vie en main et cela jusqu’à votre mort ou la mienne.

¾ J’entends bien. Alors, qu’à cela ne tienne, reviens plus tard, je veux me changer et prendre mon souper seul.

Le garde salua, puis l’abandonna. Un ordre était un ordre et il ne reviendrait pas dessus. Lueur restait raisonnable.

Le calme résonnait dans son appartement. Pas un bruit hormis la famille d’oiseaux qui avait élu domicile dans le pin juste sous son balcon.

Le garçon s’invita dans sa salle de bain et revêtit une chemise ample ainsi qu’un pantalon en toile souple avant de se pencher sur sa cuisinière.

Installé à la table de sa cuisine, il mangea les légumes vapeur et l’œuf poché qu’il c’était lui-même préparé. Il faisait cela en tournant les pages du carnet jaune. Dessus, il y avait tout un tas de notes, prisent dans la matinée auprès de Modestie. Chaque mot, chaque phrase était une information sur Savoir. Et Lueur s’en délectait faisant naître un sourire à la commissure de ses lèvres. Pus il lisait, plus il dévoilait le bonheur qui l’avait pris en otage.

Lueur ferma le carnet et se rendit devant l’immense baie-vitrée qui la journée baignait le salon. Il y contempla le ciel et les ombres du soir. Derrière un nuage blanc, la lune se montra. Belle et ronde. Elle brillait tant que le visage du prince semblait immaculé et que ses yeux bleu-rouge miroitaient comme un gouffre recelant mille trésors.

Une sensation de froideur circula dans son corps. Elle éveilla une fine douleur au creux de sa main. Pareil à ce jour où il avait cueilli la fleur transformatrice. Aussitôt ses veines se peignirent de violet et son être se courba vers l’arrière. Sa mâchoire se crispa, tout comme ses doigts et son cou. Lueur se mit en boule, puis prit de fatigue s’allongea au sol. Une voile noire recouvra son corps. Ses cheveux poussèrent plus long, s’entortillèrent à lui, puis se changèrent en plumes obscures. Un crissement se fit entendre, en même temps que la porte d’entrée s’ouvrit.

Versus passa la tête, et s’élança vers Lueur, ou plutôt vers un cygne noir échoué sur le sol.

¾ Votre altesse, va bien ?

Le volatil hocha la tête. Ses yeux bleu-rouge brillèrent de sympathie, ainsi que d’une fine douleur.

¾ Voulez-vous que je reste ?

Lueur secoua la tête négativement.

Doucement, il se redressa avec l’aide de son garde, chancela, une seconde plus tard, fut rattrapé par la main de Versus. Précieusement, il se dirigea d’un pas pataud vers sa chambre où il monta un escalier de livre, pour enfin s’affaler sur son lit d’un air exténué.

Versus le suivit d’un regard mêlant inquiétude et doute. Il attendit quelques instants, puis posa une couverture sur le dos de l’animal. Son oreille s’approcha du pouls de son Altesse. Il était bien sûr que Lueur dormirait sans interruption.

¾ Bonne nuit, mon prince, souffla-t-il avec une affection toute indiquée.

Le blond retourna chez lui, sur le palier en face, tandis que Lueur se redressa et passa le rebord de sa fenêtre dans un jeu de jambe à mourir de rire. Il décollait attentivement ses pattes du sol pour exerçait un bruit minime. En soit, c’était plus pour se rassurer lui, que de peur qu’on l’entende.

Sur son balcon, il accueillie la nuit et l’astre brillant dans un halo de beauté lumineuse.

Une petite escapade lui disait bien. Il étendit ses ailes et vola au-dessus du plus grand parc de la ville. Il se fraya un chemin dans l’air, se laissa planer et absorba la caresse du vent. Lentement, il battit son plumage. Son regard fureta vers un quartier où les façades d’une centaine de maison étaient pastel. Il se souvint de ce que lui avait dit Modestie : « Savoir vit dans le quartier Sable-Fin. Les maisons y sont claires, et en bordure de la plage. La sienne est turquoise. Il y a plusieurs étoiles de mers sur le muré et sa terrasse et la plus grande du quartier. Son grand père, étant couturier, il y a une enseigne devant le portique. ».

Modestie aimait le détail.

Au port de la première ruelle, le royal volatil rejoignit la terre. Il s’aventura sur le trottoir exigu et déambula, éclairé tantôt par la lune, tantôt par les candélabres. Le cou étirait, Lueur contemplait le quartier, les charmants jardins touffus semblables à des forêts miniatures, ainsi qu’un ou deux passants, qui le dévisageait. Il fallait dire que ce n’était pas habituelle de croiser un cygne en plein promenade nocturne. Surtout, un cygne noir ! Dans son enfance, lorsqu’il se métamorphosait et que l’envie de rejoindre les cygnes blancs de l’étang, derrière le château de Blancheplume, lui faisait envie, Lueur observait les courtisans crier vers d’autres : Oh, la grosse oie noire est revenue ! Comment ne pouvaient-ils pas remarquer la ressemblance qu’il y avait entre lui et les cygnes blancs ? Seule la couleur les différencier… Encore ce soir, il se demandait péniblement ce que les passants avaient cru voir.

Lueur agita la tête de déconvenue, alors que ses yeux fixèrent une maison turquoise. Il visualisa les étoiles de mer sur la façade et se pressa devant la bâtisse. Elle avait un aspect réconfortant, doux et calme à la fois. Elle offrait sa sympathie à qui la regardait.

Aussitôt, il s’envola dans le jardin où multiples plantes se côtoyaient et où les arbustes n’étaient que des entrelacs de branches, puis perdis son regard sur quelques fleurs sauvages endormies devant les marches du parvis et s’attarda sur les statues et les petites fontaines à oiseaux dispersés de ça et de là. C’était beau, énigmatique dans le sens où chaque statue semblait regarder vers la mer. Une étrange aura paraissait flotter autour de lui sans qu’il ne trouve l’explication à cela.

Lueur s’appliqua à ne pas trébuchait sous les vaguelettes du sol, puis inhala le parfum d’herbes aromatiques. Il alla jusqu’à la terrasse, contempla la mer. La lune déposait un voile scintillant sur la surface de l’eau.

Devant un escalier extérieur, Lueur leva la tête et avisa la lumière qui vacillait derrière une porte-fenêtre. Il y en avait deux, jouxtés l’une à l’autre.

Curieux, l’animal déploya ses ailes pour observer le veilleur. Il plana jusqu’à l’éclat, arrondi la courbe de ses ailes et se posta devant la vitre entrouverte. Tout naturellement, le prince passa la tête dans l’embouchure où une odeur d’encre et un parfum citronné l’enveloppa. Il connaissait cette fragrance. Une seule personne la possédait. Savoir était là, dos à lui, face à un bureau. Le rouquin avait la tête inclinée vers un plafond peint de nuages et de volatils en tout genre et il faisait passer sa plume entre ses doigts. Un soupir plein de réflexion fit s’affaisser son corps sur sa chaise. À quoi pensait-il ?

Lueur le fixa, demandeur de réponse, quand on frappa à la porte. L’oiseau se dégagea un peu, se cacha sur le côté, et ne laissa voir que le bout de son bec et un œil bleu-rouge.

Savoir, lui, se redressa sur son assise, tandis qu’une femme immense entra. Ce n’était pas Cécilia au vu de sa chevelure rousse. Probablement la mère des jumeaux.

¾ Fils, tu ne dors pas encore ?

La voix de la mère confirma la pensée du prince et l’intonation lui fit penser à celle de son père. Est-ce que tous les parents avaient la même voix lorsqu’ils parlaient à leurs enfants ?

¾ Bientôt, j’aimerais terminer ce paragraphe avant. Je ne sais pas comment le tourner. J’ai la sensation qu’il perd de la vitesse. Qu’il est trop plat.

¾ Je peux t’aider. Montre-moi.

La femme s’avança. Sa tête toucha le lustre, elle se déporta et attrapa la feuille que son fils lui tendit.

Elle l’analysa, pencha la tête.

¾ Et si tu mettais ces deux phrases à la place de celle-ci et que tu raccourcissais celle-là.

Savoir se pencha pour aviser ce que sa mère lui proposer.

¾ Hum, c’est plus entrainant. Merci.

¾ De rien, mon poussin. N’oublie pas de dormir.

Elle se pencha sur lui, donna un baiser sur son front, puis fixa quelque chose en face sur le mur jouxté au bureau.

Lueur ne vit pas de quoi il s’agissait, mais il écouta :

¾ Qui est-ce ? Il est joli. C’est un camarade ?

Savoir se raidit. Un nouveau soupir traversa la pièce. Il hocha la tête.

— Un camarade pour le moins collant.

— Tu l’aimes bien ?

— Pas vraiment. Disons qu’il a une chose chez lui que je n’arrive pas à sonder. Tu sais combien je préfère rester seul. Eh bien, lui, il adore me déranger dans ma solitude.

— C’est pour ça que tu l’as dessiné et accroché ici ? se moqua la femme.

— C’est pour mieux le cerner. Rien de plus.

— On ne dessine pas une personne pour ensuite l’accrocher au mur sans en ressentir le besoin, affirma la femme avec une pointe de mélancolie au fond des yeux.

Le rouquin se tourna de trois quarts, laissa à Lueur la possibilité de regarder sa fatigue mélangée à son étrange beauté. Ce visage que seul lui pouvait trouver à son goût, car Modestie lui avait avoué que si Savoir était populaire ce n’était pas pour sa beauté, mais pour son charme. Il possédait une aura attirante. Dès lors qu’on posait ses yeux sur lui un lien se formait et inexorablement, on avait envie de lui parler, de capter son regard particulier.

Seul à nouveau, Savoir bascula l’avant de son corps sur son bureau et griffonna sur un carnet, puis, il se leva. Il marcha dans sa chambre comme à la recherche d’un objet en particulier, d’une idée, peut-être. Enfin il se rendit vers la porte fenêtre.

Lueur recula et descendit vite les marches afin de se cacher dans le jardin. Même lui ne savait pas pourquoi il le faisait. Sous cette forme que craignait-il ?

En haut, Savoir suivit le même chemin et se perdit dans le jardin dévoré par le rayonnement de la lune, puis longea l’allée qui menait à la plage.

Lueur l’observa, toujours tapis dans le jardin. Il le trouva si éblouissant sous le rayonnement lunaire, que son cœur battit trop fort. Il sentait les pulsations, voyait presque la forme qu’elles faisaient sous son poitrail plumé.

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